Présenté en compétition à la Mostra de Venise, et attendu prochainement sur nos grands écrans, Human Flow, le documentaire de l’artiste chinois agit-prop, Ai Weiwei, évoque la crise migratoire.
Depuis quelques semaines déjà, la bande annonce de Human Flow d’Ai Weiwei est partagée par centaine, par millier, sur les réseaux sociaux, depuis sa présentation à la Mostra de Venise. Human Flow, le flot humain déborde d'une planète, devenue trop étroite, en raison de tant d’éléments socioéconomiques et environnementaux, positionnant la notion d’espace même au cœur de la polémique.
«Etre réfugié, c’est plus qu’un statut politique, clame une voix dès le lancement de la bande annonce du film. C’est la forme de cruauté la plus perverse qui puisse être exercée à l’encontre d’un être humain. Vous êtes en train de dépouiller, de manière agressive, cet être humain, de tous les aspects qui rendent la vie humaine, non seulement acceptable, mais utile». Nous tous, témoins impuissants ou détenteurs de pouvoir et d’action, nous sommes pointés du doigt.
De par le mouvement de caméra d’Ai Weiwei, emmêlant des séquences vues du ciel, filmées par drones pour saisir davantage ce flot humain tassé, dispersé comme des fourmis et plans rapprochés marqués par sa présence sur le terrain, au cœur des camps de réfugiés en Turquie et en Irak, au Liban en passant par les bidonvilles de Gaza, la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, le Mexique et les Etats-Unis, Dadaab au Kenya, où se massent un demi-million de Somaliens, d’Ethiopiens, d’Érythréens…
Murs de barbelés
D’ailleurs, l’Afrique sub-saharienne, accueille à elle seule 26% des réfugiés de la planète. Les chiffres défilent à l’écran, entrecoupés de coupures de presse, de poèmes. Ai Weiwei suit les réfugiés dans leur longue marche: il y a ceux qui butent sur des murs de barbelés, ceux qui vivent parqués dans l’ancien aéroport Tempelhof de Berlin; ceux qui errent dans les rues de Paris ou se massent dans la jungle de Calais sans aucun confort matériel… Production germano-américaine, coproduite par Ai Weiwei, avec une équipe de plus de 200 collaborateurs, Human Flow a été tourné, pendant un an, dans 23 pays: de l’île grecque de Lesbos au Kenya, du Bangladesh au Mexique, de l’Italie à la Jordanie et Gaza, en passant par la Macédoine et la Hongrie.
Une nouvelle forme d'humanité
Le documentaire polymorphe d’Ai Weiwei est autant un poème épique qu’un cri d’urgence, certainement pas destiné au divertissement, comme le souligne The Guardian. C’est une véritable crise humaine, humanitaire, globale, qu’il dénonce. La plaie sanglante du XXIe siècle, la figure tragique de notre époque: l’homme inutile, injustice suprême érigée presque en normalité, trappe infernale de laquelle on ne peut sortir. En tête le statut de réfugié, qu’Ai Weiwei a voulu filmer au plus près de l’humanité, dans sa volonté d’aller au-delà des flashs infos et des reportages quotidiens sur ces tragédies. «Notre film est différent, affirme-t-il à l’AFP. Il cherche à remettre les réfugiés dans un contexte plus historique, à leur donner plus d’humanité et à raconter leur vie de tous les jours: comment une femme tient son enfant, comment un enfant se chausse, comment un homme allume sa cigarette».
Le Monde souligne «la nouvelle forme d’humanité… que le film rend ultrasensible. Une humanité déplacée, précaire, privée d’intimité, sevrée d’espérance, désespérée, humiliée, vivant d’expédients et de rebuts aux portes des démocraties, dans des camps de fortune. Une humanité de papiers et de cartons, de toiles ravaudées et de vieux plastiques, une humanité, en un mot, devenue elle-même flux, saignée, sanie. La recrudescence des guerres, l’expansion des iniquités sociales, l’accélération des mutations climatiques ne permettront plus, demain, que ce flux soit encore longtemps endigué».
Nayla Rached