Dans son dernier ouvrage, Eric-Emmanuel Schmitt a choisi de parler de quatre destins, quatre histoires. L’auteur aux multiples prix y explore les sentiments les plus violents et les plus secrets qui s’emparent des hommes.
Pourquoi parler de quatre destins à la fois?
J’examine un diamant noir à multiples facettes: le pardon. Raconter quatre histoires me permet d’en considérer plusieurs: le pardon par amour, le pardon pour se simplifier la vie, le pardon comme une douce vengeance, le pardon à soi-même. Les histoires sont différentes, mais elles s’éclairent.
Vos personnages sont étranges.
Mes personnages sont des individus ordinaires qui font des choses étranges. Comme nous tous, non? Des sœurs dont l’une se montre aimante, l’autre haineuse, j’en ai vu souvent (Les sœurs Barbarin). Un homme qui se réfugie dans le cynisme parce qu’il n’arrive pas à admettre qu’il adore une femme, j’en rencontre parfois (Mademoiselle Butterfly). En revanche, une mère qui visite en prison l’assassin de sa fille (La vengeance du pardon) constitue un cas plus rare, je le reconnais, et pourtant c’est un fait réel auquel j’ai été confronté. Quant à la dernière histoire (Dessine-moi un avion), elle décrit un aviateur allemand qui a bel et bien existé. Les gens sont encore plus étranges que les personnages des livres, la vraie vie est une romancière inspirée.
Vous avez choisi d’aborder les thèmes de la vengeance et du pardon.
Quand on nous trompe, lorsqu’on nous blesse, nous avons le choix entre deux attitudes: pardonner ou nous venger. La vengeance veut supprimer le mal et la souffrance en rajoutant du mal et de la souffrance: je doute qu’elle y parvienne ; on ne sort pas apaisé d’une vengeance. Le pardon, lui, tente de faire exister la paix: la paix intérieure, la paix avec l’autre. Il offre un beau chemin, difficile d’accès car on peine souvent à pardonner. Je crois qu’il comporte deux moments, le pardon volontaire et le pardon émotionnel qui ouvre un espace intérieur où l’on retrouvera la sérénité.
Vous faites passer un message de tolérance.
Pardonner un acte à quelqu’un, c’est lui dire: je ne te réduis pas au crime que tu as commis, je sais que tu es capable d’autre chose, apte au bien comme au mal, comme tout homme. Le pardon n’affranchit pas seulement le pardonné, il libère aussi le «pardonneur»; il réinsuffle de l’humanité et propose aux individus de rendre possible la vie ensemble. Comme disait Nelson Mandela, le pardon n’efface pas le passé mais ouvre le chemin de l’avenir.
D’où puisez-vous toutes ces idées?
Les gens m’inspirent. Et ils me parlent. En fait, je crois être amoureux de l’humanité, mais vraiment amoureux, c’est-à-dire que j’aime l’humanité avec ses défauts. Comment peut-on écrire sans être passionné par ses semblables? Je suis doté d’empathie, ce qui me permet de saisir des détails au-delà même de l’observation, et j’ai l’impression de devenir les autres lorsque je narre leur destin, de changer d’âge, de sexe, de profession, de territoire, d’époque. En réalité, grâce à ma vocation, je n’ai pas une vie mais mille.
Quel est votre procédé d’écriture?
Je conçois ma cuisine littéraire avec trois aliments: la réalité, l’imagination et la philosophie. La réalité, que j’observe passionnément, m’offre les sujets; l’imagination les développe ; la philosophie les problématise. Ensuite, lorsque je rédige, je suis attentif au suspense, j’essaie de surprendre. Le premier jet fini, je lisse, polis, coupe, recouds, époussette, précise, afin d’obtenir une grande fluidité. Idéalement, le texte doit sembler facile, ce qui demande beaucoup d’art.
Christiane Tager Deslandes