La talentueuse Jo Witek, auteur de nombreux albums et romans de littérature jeunesse, pour les petits et les adolescents, présentera lors du prochain Salon du livre ses différents opus, de Y a pas de héros dans ma famille, ou la série Mentine, à son dernier roman, Fille de. Entretien avec une écrivaine qui prend les jeunes au sérieux.
Quel message désiriez-vous passer avec l’histoire du jeune Maurice Dambeck, alias Mo? Ce roman aborde le regard des autres et surtout les stéréotypes sociaux qui ont la vie dure…
Je rencontre environ 3 000 à 4 000 jeunes chaque année et j'ai constaté qu’il y avait un fossé de plus en plus grand, peut-être même un retour en France d'une discrimination sociale. J’ai eu envie de planter l’action d’un petit héros qui aurait deux pays: celui de l’école où il est plutôt bon élève, où il apprend la langue, la politesse, le respect, etc., et le pays de la famille où c’est très baroque, très fantasque, avec une certaine misère sociale et culturelle. Ses frères disent beaucoup de gros mots, c’est le bazar. Mo perd ses repères d’un monde à l’autre mais il s’organise bien. Jusqu’au jour où il découvre que ce n’est pas comme ça dans toutes les familles, et il va éprouver une certaine honte de son milieu. J’ai écrit ce roman pour les gamins qui n’ont pas cette chance d’être épaulés dans leur éducation au quotidien, qui se retrouvent seuls. Je trouve que la société doit prendre soin de ces enfants-là, pour que l’on reste dans une égalité de droits à la culture.
Comment les jeunes lecteurs ont-ils reçu ce roman?
C’est un livre qui a déjà été sélectionné dans 14 prix, qui a reçu le prix Cultura en France, je suis vraiment heureuse. Les documentalistes, enseignants, se sont emparés de ce livre pour travailler avec les élèves. J’ai rencontré une classe de 6e où les enfants avaient fait ce travail, en abordant l’idée du héros, de la mémoire familiale. Ils avaient fait une recherche documentaire sur les héros de leur famille et s’interrogeaient sur ce qu’est un héros. Comme la mère de Mo qui finalement est toujours là à faire des crêpes, à donner son amour à travers ça, est-ce qu’elle n’est pas elle aussi, à sa manière, une héroïne? J’aime beaucoup quand les jeunes s’approprient le modèle du héros. Cela leur a permis de comprendre que la littérature jeunesse, ce n’est pas un manuel scolaire ou moral. Un roman jeunesse, c’est un roman à hauteur de regard d’enfant qui dit le monde. Et le monde n’est pas fait que de gens qui parlent comme Marcel Proust!
Comment êtes-vous venue à l’écriture jeunesse?
C’est une littérature de grande liberté. Il y a moins de pression pour les auteurs. Il y a une place énorme à l’expérimentation, à travailler les formes, à passer d’un album plutôt poétique et très imagé pour les plus petits, puis au roman noir. Je peux passer d’un album poétique pour les tout-petits, au roman noir puis à un roman plus «coup de poing», d’engagement, ou encore à un texte plutôt moderne et léger comme avec la série des Mentine. C’est cette grande liberté de ton, de forme, de recherche qui me plaît en littérature jeunesse. J’aime l’idée que l’écriture peut être utile. Quand je déclenche une envie de lecture chez un jeune, ça vaut tous les prix Goncourt. C’est important la jeunesse, c’est sérieux. Ca n’a rien d’une petite littérature, on n’écrit pas plus mal, ni plus vite, au contraire, c’est très exigeant. On doit faire attention, nous adultes, à ce qu’on leur apporte à manger, à penser, à lire. Ils sont très demandeurs. Le livre, comme je leur dis souvent, ça fait partie du soin de votre âme. On lit pour son esprit, pour les mots, pour enrichir sa langue, sa pensée…
Finalement, on parle beaucoup de la jeunesse, il y a beaucoup de livres de parentalité, mais quid de l’ado? A quel moment entend-on les jeunes? La littérature jeunesse est partagée, ils peuvent aussi bien être lus par des jeunes que par des adultes, surtout depuis le phénomène J.K. Rowlings et Harry Potter.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que l’école ne réserve plus autant de place à la lecture, ou que les jeunes lisent moins, à cause notamment des nouvelles technologies?
Je trouve que notre société parfois les malmène. Or, les jeunes ont vraiment besoin de douceur, de lenteur, d’accompagnement, de répétitions. Beaucoup de gens disent que les jeunes ne lisent pas mais ne prennent pas le temps d’aller à la médiathèque avec leurs enfants, ou eux-mêmes ne lisent pas. J’invite la presse à se rendre dans les festivals de livre jeunesse. Ça m’est arrivé de recevoir des prix avec 400 jeunes complètement hystériques, contents de me voir parce qu’ils avaient lu mon roman. Valorisons ces jeunes, remettons le goût de la lecture à la mode! Etonnamment, avec les nouvelles technologies, ils ont de plus en plus besoin de matérialité, de convivialité. Les clubs lecture fonctionnent très bien en médiathèque. Nous, les adultes, devons arrêter de dire la jeunesse c’était mieux hier.
Puisez-vous parfois vos inspirations dans les préoccupations des jeunes que vous rencontrez dans les classes et les ateliers?
Parfois, je mets le doigt sur une thématique qui m’intéresse en tant qu’écrivain. Dans la série Mentine, c’est une petite surdouée qui fait pas mal de bêtises. Dans chaque roman, elle commet une bêtise et ses parents mettent en place une punition. Ca interroge sur ce qu’est une punition. Cette idée m’est venue d’un jeune à qui j’avais demandé de lister ses colères et qui avait écrit «mes parents ne me punissent pas bien», ce qui était incroyable quand même. Il était très en demande de frontières, de limites, justes, à la hauteur de la bêtise qu’il avait fait. J’ai trouvé que c’était très intéressant et intelligent comme réflexion.
Votre dernier roman, Une fille de, porte sur un sujet très sensible, voire tabou, avec l’histoire d’une fille dont la mère se prostitue.
Après avoir vu le film de James Gray, The immigrant, dans lequel Marion Cotillard est obligée de se prostituer pour pouvoir rester à New York, j’ai ressenti un cri archaïque qui disait, non, c’est pas possible, il faut arrêter ça avec les femmes. La prostitution me concerne moi, en tant que femme. J’ai eu envie d’écrire là-dessus et d’en parler aux jeunes. J’ai décidé qu’il serait plus facile d’aborder le sujet avec une jeune fille dont la mère se prostitue, avec en arrière-plan toujours, le poids familial. Mine de rien, ce bébé qui porte déjà cette honte que la société porte avec son regard. Je me suis imaginée ce que je pourrais raconter à une fille de 13 ans, avec pudeur. De la pudeur, mais sans édulcorer le propos, l’objectif étant de pousser les jeunes à s’interroger.
Jenny Saleh