Correspondant de guerre, reporter, analyste politique, animateur de talk-shows, auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier en date est le livre le plus vendu dans le monde arabe. En une vie, le journaliste Sami Kleib en a vécu plusieurs. Pour la première fois, il se dévoile pour Magazine et nous entraîne sur ses pas, faisant escale sur les moments forts d’une carrière exceptionnelle qui l’a mené aux quatre coins du monde.
Il est originaire de Niha, dans le Chouf, ce village qui a également vu naître le grand Wadih el-Safi. Plus jeune, il détestait l’idée d’être journaliste. «Pour moi, être journaliste n’était pas un métier». Malgré cela, Sami Kleib opte pour une licence en Information. «Je me suis inscrit à la faculté d’Information pour la simple raison qu’il fallait présenter un concours pour y être admis». Pourtant, une fois ses études entamées, il commence à apprécier la profession et à rédiger quelques articles qu’il publie dans la presse. Mais ce qui causera un tournant dans sa vie et déterminera la carrière de ce grand journaliste, c’est la mort de son père, tué par un obus durant l’invasion israélienne en 1982.
Parfaitement francophone, c’était tout à fait logique qu’il poursuive ses études en France, à la Sorbonne. Sami Kleib accumule les diplômes, notamment un doctorat en analyses pragmatiques du discours politique. Entre 1990 et 2009, il occupe en France les fonctions de rédacteur en chef de RFI (Radio France internationale) et de RMC (Radio Monte Carlo). Il devient le conseiller présidentiel de la holding médiatique française adressée au monde arabe, regroupant RFI, RMC et France 24. Kleib est le seul à posséder un double titre et une double fonction, celui de directeur général et de journaliste. «Avec RFI, j’ai sillonné le monde, couvrant toutes les guerres, celles de Yougoslavie, du Rwanda, du Tchad, la guerre du Golfe, d’Algérie, de la Somalie».
Infatigable voyageur
En parallèle, il écrit pour le quotidien libanais as-Safir et devient le correspondant de la LBCI à Paris. Accrédité à l’Elysée et au Quai d’Orsay, il accompagne des présidents français tels que François Mitterrand et Jacques Chirac dans leurs voyages officiels. Sami Kleib tisse un riche réseau de relations et de connaissances. Il publie en exclusivité dans le Safir un éditorial écrit par Jacques Chirac. Il présente sur la LBCI la première interview du président du Soudan Omar Hassan al-Bachir.
En l’an 2000, Sami Kleib entre à al-Jazeera, où pendant onze ans, il présente deux émissions phares: Visite privée (Ziyara khasa) et Le dossier (al-malaf). «Je voyageais constamment, jusqu’à deux fois par semaine. J’ai plus vécu dans les avions et les chambres d’hôtels que dans un appartement». Aux côtés des émissions politiques qu’il a toujours présentées, Sami Kleib a également animé des émissions culturelles sur le cinéma et le théâtre et a couvert de nombreux festivals comme ceux de Cannes, Hollywood, Berlin et du Caire. D’ailleurs, peu de gens savent que ce journaliste chevronné est aussi un véritable musicien qui joue plusieurs instruments. «Je possède une collection composée de tous les instruments de musique que j’ai ramenés de mes voyages en Amérique latine et en Afrique». Ce grand voyageur publiera d’ailleurs prochainement chez Antoine, un récit de voyage en langue arabe.
Ambitions académiques
Pour RMC, il anime Chemins Croisés, une émission hebdomadaire qui présente un pays chaque semaine. Il fait ainsi découvrir la Mauritanie, où les femmes jouissent d’une grande liberté, peuvent se marier jusqu’à 10 fois et ont leurs propres poésies. Durant les années passées à al-Jazeera, cet infatigable globe-trotteur parcourt la planète, présentant aux téléspectateurs des contrées et des civilisations peu connues. «J’ai vécu avec les Amérindiens, qui sont les premiers habitants de l’Amérique, j’ai visité les îles d’où provenaient les esclaves, faisant le voyage d’Afrique jusqu’en Amérique où ils débarquaient. J’ai fait des reportages sur les pays et les déserts de l’Afrique et bien d’autres».
En 2011, Sami Kleib quitte al-Jazeera et rentre à Beyrouth, où il crée une maison de production baptisée Zoom in. Avec le journaliste Ghassan Ben Jeddo, il fonde la chaîne panarabe basée à Beyrouth, al-Mayadeen. Sami Kleib y occupe le poste de directeur de l’information et anime son émission hebdomadaire Le jeu des nations (Lou’bat al oumam). «J’ai également formé un grand nombre de journalistes qui ont suivi 9 mois de formation continue, presque quotidienne, sur la technique du journalisme et sur la politique». En 2014, il démissionne de son poste de directeur de l’information et continue à présenter son émission. «Mon ambition académique est de créer un centre de recherches sur le discours politique au Proche-Orient entre la Sorbonne et le Liban».
Sami Kleib possède à son actif plusieurs publications en langue arabe. Son livre Assad, entre le départ et la destruction programmée est aujourd’hui un best-seller dans le monde arabe et a reçu le premier prix du Salon international du livre arabe de Beyrouth en 2016. «Quand la guerre en Syrie a éclaté, j’ai voulu écrire un livre basé sur une véritable recherche académique et scientifique qui explique les dessous du conflit. J’ai orienté mes recherches vers les comptes rendus et les procès-verbaux des séances et des réunions qui ont eu lieu entre Bachar el-Assad et Colin Powell. Ces textes sont publiés pour la première fois. Ce livre de 700 pages contient les dossiers secrets de la guerre en Syrie».
L’interview avec Nasrallah
De sa récente interview avec le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui a fait couler beaucoup d’encre, Sami Kleib dit que c’est la plus importante de toute sa carrière. «J’ai voulu briser des tabous et sortir le Sayyed du style classique et traditionnel des interviews qu’il accorde généralement». N’a-t-il pas eu de craintes? «J’étais inquiet qu’il ne se prête pas au jeu mais il est d’une telle intelligence et possède de tels réflexes qu’il est capable de répondre à toutes les questions et d’éviter tous les pièges, bien qu’il n’y en avait pas. J’ai posé les questions que tout le monde se pose sans oser le faire, demander tout haut ce que les autres se demandent tout bas. Pour moi, cette interview était une sorte défi. Je me demandais si je pouvais mener une interview de Hassan Nasrallah sans reprendre celles faites par d’autres collègues». Sami Kleib affirme qu’aucune condition ou restriction ne lui ont été imposées. «A mon arrivée, je l’ai prévenu que malgré mes sentiments et indépendamment de tout le respect et l’estime que je lui porte, durant l’interview je deviens un journaliste qui exerce son métier». Comment a-t-il eu le courage de lui poser une question aussi personnelle que celle portant sur le montant de son salaire? «En réalité, poser cette question précise à l’ombre des incidents en Iran a une portée politique. Cette manière de poser les questions était nouvelle pour Sayyed Nasrallah. Personnellement, il n’a pas été gêné mais une partie de son public l’a été». Lui a-t-il fait des reproches à la fin de l’interview? «Au contraire, il était très à l’aise et nous avons discuté à la fin de l’entrevue. Mon but était de montrer le côté humain du Sayyed, dévoiler un aspect que les gens ne connaissent pas». Sami Kleib estime que cette interview est la plus importante de sa vie à un double niveau. «D’abord, parce que j’ai rencontré le Sayyed et ensuite parce que j’ai pu lui faire dire des choses nouvelles. J’ai également réussi à respecter le métier de journaliste face à une véritable icône. Je voulais réaliser une interview purement professionnelle. Il était réel et authentique dans toutes ses réponses». Comment a-t-il trouvé le secrétaire général du Hezbollah sur le plan personnel? «C’est un homme sympathique, modeste, accueillant, qui vous met tout de suite à l’aise, un peu timide».
Quel regard porte-t-il sur la profession de journaliste aujourd’hui? «Je vois beaucoup de ‘Daechistes’ en cravate à la télévision, qui sont encore plus assassins que les terroristes. On voit plus des porte-paroles de politiciens que des journalistes professionnels. Rares sont ceux qui ont gardé un certain niveau professionnel, moral, humain et objectif du métier. Il y a peu de culture chez les journalistes et beaucoup de vœux pieux».
En chiffres
11
Il a passé 11 ans à al-Jazeera où il a animé deux émissions phares: Visite privée et Le dossier.
800
Il a réalisé plus de 800 portraits pour son émission Visite privée dont ceux d’Elias Hraoui, Nabih Berry, Walid Joumblatt, le patriarche Nasrallah Sfeir.
300
C’est le nombre d’épisodes de son émission actuelle Le jeu des nations qu’il présente sur la chaîne al-Mayadeen.
Joëlle Seif