Magazine Le Mensuel

Nº 3087 du vendredi 2 mars 2018

Cinéma en Salles

Hiam Abbas dans In Syria. La guerre, une survie au quotidien

Co-produit notamment par Né à Beyrouth Films, écrit et réalisé par Philippe Van Leeuw, In Syria a été tourné à Beyrouth, avec à l’affiche, Hiam Abbas, Diamand Abou Abboud et Juliette Navis. Entretien avec Hiam Abbas.
 

Vous avez souvent joué des rôles de femmes fortes. Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué dans le personnage d’Oum Yazan?
Sa force déjà, sa complexité, sa survie, sa détermination à son foyer dans une soi-disant paix, au milieu de cette guerre et le danger qui les bouffe de l’extérieur. Ce qui m’a plu dans le scénario, c’est qu’il n’est pas manichéen. C’est une histoire qui raconte l’individualité des êtres humains et leur parcours personnel, au milieu de toute l’information qu’on reçoit et des images qu’on gobe, du matin jusqu’au soir, sur une guerre telle que la guerre en Syrie. Cette fiction, pour moi, relève de l’universel; elle ne raconte pas qui se bat contre qui, mais l’être humain, comme la victime de toutes ses forces qui s’affrontent, alors qu’il essaie de continuer à vivre, à faire semblant de vivre d’ailleurs, pour pouvoir allonger les heures et terminer une journée.

Oum Yazan, Halima, Delhani, trois femmes fortes chacune à sa manière. Quel est selon vous la place d’une femme dans une guerre?
Les femmes sont au cœur et à l’avant de l’histoire. Comme l’homme est absent, qu’il fait la guerre, c’est la femme qui tient le pouvoir du foyer, de la vie, de la décision. En l’absence de l’homme, elle prend la place de tout le monde. Une mère de famille, surtout, devient la seule référence, notamment pour les enfants qui sont en bas-âge.

Le film parle d’un conflit d’un point de vue humain, universel. D’ailleurs, la Syrie n’est mentionnée que dans le titre. Est-ce que cela vous a touché en tant que comédienne au-delà d’un certain engagement, d’une appartenance?
Effectivement, on sait qu’on est en Syrie, mais on n’a pas envie de nommer l’ennemi ni le tyran. On a envie de parler de l’être humain. C’est plus cinématographique et universel, dans le sens où cette famille peut être n’importe quelle famille dans une autre guerre dans un autre pays. C’est un parti pris qui m’a beaucoup intéressé dans l’histoire de Philippe. Je trouve que ça promeut mieux la trajectoire différente des humains dans un conflit tel que cette guerre en Syrie.

On perçoit dans le film qu’Oum Yzan est d’origine palestinienne, spoliée déjà une fois de son foyer. Comment ces deux conflits s’interpénètrent-ils dans le personnage d’Oum Yazan? Et dans votre manière de l’interpréter?
Dès le départ, quand Philippe a écrit le scénario, il a écrit ce rôle en pensant à moi. Il ne voulait absolument pas m’infliger l’accent syrien ou une histoire autre que mon passé de Palestinienne. Ça a permis, à la fois, de renforcer cette idée de ne pas partir de chez elle, donc de ne pas quitter son foyer, encore une fois, comme son peuple l’a fait dans l’histoire. Ça ne relevait pas de l’ordre du personnel chez moi. C’est quelque chose qui appartient à Oum Yazan, pas à moi. Effectivement, c’est une mémoire avec laquelle je travaille quand je joue mes rôles. Mais ce n’est pas mon influence personnelle sur le rôle, c’est une volonté de la part de Philippe de lui donner cet historique. Mon interprétation ne dépendait pas nécessairement de cela, mais de la survie au quotidien d’Oum Yazan.
 

En situation de guerre, on est parfois amené à prendre des choix tellement humains qu’ils peuvent sembler déshumanisés par rapport à un regard extérieur, comme celui d’Oum Yazan qui ne porte pas secours à Halima. Une décision qui touche à l’éthique ou à la responsabilité?
Je crois qu’on ne sait vraiment pas ce que c’est que de se retrouver dans la situation d’Oum Yazan, au moment où elle s’enferme avec sa famille dans la cuisine pour protéger ses enfants, surtout ses filles, de ces monstres qui se trouvent à l’extérieur, dans cette scène de viol horrible de sa voisine Halima. Je crois que la décision de ne pas porter secours entre dans la moralité de l’éducation et des valeurs des gens normaux. Or, Oum Yazan n’est pas dans une situation normale où elle peut porter une moralité sur ses actes. Elle est dans la survie, tout comme Halima l’est dans cette scène. Je n’ai pas de jugement sur cette décision. Si j’en avais un, je crois que je n’aurai pas pu jouer ce rôle. C’est l’être humain face au danger, face à la mort qui, à n’importe quel moment, peut l’emporter, lui et ses proches. A partir de là, la décision qui est prise, ou la non-décision, parce que je ne crois pas que c’est un choix, est juste un prolongement de la façon dont on peut se défendre et survivre à ce moment-là.

In Syria
Dans la Syrie en guerre, d’innombrables familles sont restées piégées par les bombardements. Parmi elles, une mère et ses enfants tiennent bon, cachés dans leur appartement. Courageusement, ils s’organisent au jour le jour pour continuer à vivre malgré les pénuries et le danger. Par solidarité, ils recueillent un couple de voisins et son nouveau-né. Tiraillés entre fuir et rester, ils font chaque jour face en gardant espoir.

Nayla Rached

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