Magazine Le Mensuel

Nº 3090 du vendredi 1er juin 2018

En Couverture general

Electricité. De grandes ambitions quelle volonté politique?

Le dossier de l’électricité constitue l’un de défis majeurs pour le prochain gouvernement. Les projets existent, les promesses de financement aussi. Y a-t-il une volonté politique de fermer cette plaie?

 

Le secteur de l’électricité a constitué depuis la fin de la guerre l’un des dossiers les plus épineux. Vingt-huit ans après la fin des combats, l’Etat est incapable de rétablir le courant 24h/24h, malgré les multiples promesses et innombrables plans.
En attendant une solution globale pour le secteur, «fondée de préférence sur la construction d’usines terrestres», le gouvernement sortant a tranché en faveur de la reconduction d’un an du contrat de location des navires-centrales turcs – à condition de renégocier les prix de la production électrique à la baisse–, et de l’installation de stations pour stocker le gaz liquide.

Gouffre financier
Le montant global du déficit de l’EDL de 1992 à 2017 s’élève à plus de 32 milliards de dollars, ce qui équivaut à 45% de la dette publique, qui a dépassé les 80 milliards de dollars à la fin de l’année dernière.
Selon les experts, le règlement du problème de l’électricité au milieu des années 90 aurait permis de faire l’économie de la moitié de la dette publique, dont le montant serait aujourd’hui de quelques 43 milliards $ au lieu de 80 milliards. Mais l’absence de planification et de solution définitive a coûté aux Libanais un déficit qui a atteint les lignes rouges et touché l’économie dans son ensemble.
Le budget de 2018, voté récemment, prévoit un déficit de 1,4 milliards de dollars dans le secteur de l’électricité, un montant qui pourrait considérablement augmenter dans le cas où le gouvernement se déciderait à acheter les mégawatts manquants pour assurer le courant d’une façon permanente.
En 2017, la Banque du Liban a transféré 1,295 milliards de dollars sur le compte de l’EDL. De 2007 à 2016, le secteur a englouti 15,54 milliards $, soit plus de 20% du total des recettes de l’État. En 2008, le déficit du secteur de l’électricité a atteint 55% du déficit budgétaire, 75% en 2011 et 68% en 2014.
En 1970, l’EDL contrôlait 90% des activités de production, de transport et de distribution du courant électrique dans le pays. Elle produisait assez d’énergie pour en revendre à la Syrie, alors qu’elle en achète aujourd’hui à ce pays. Pendant la guerre (1975-1990), plusieurs stations de distribution ont été détruites, le vol du courant est devenu monnaie courante, ainsi que l’impossibilité de percevoir le montant des factures dans de nombreuses régions.  
À la fin de la guerre, le rationnement est draconien. Avec le chantier de reconstruction de l’infrastructure, l’Etat met en œuvre un vaste programme d’extension des réseaux, de réhabilitation des centrales électriques de Zouk et de Jiyé, et de construction des grandes centrales de Zahrani et de Beddawi, et des petites usines de Tyr et de Baalbeck. Vingt-huit ans plus tard, le rationnement est toujours là, malgré les promesses officielles.
Quand il était en charge du portefeuille de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, Gebran Bassil avait établi un plan approuvé en Conseil des ministres pour rétablir le courant 24h/24 à l’horizon de 2014. L’objectif était alors de porter la capacité de production totale à 4 000 mégawatts en 2014 et à 5 000 MW après 2015. Le plan prévoyait la construction de nouvelles unités de production de 600-700 MW au total, dont le coût de 750-875 millions de dollars serait financé par l’État, en plus de la réhabilitation des centrales existantes. Le plan n’a jamais été totalement mis en œuvre, à cause des blocages et des querelles politiques.  
La production est aujourd’hui limitée à 2 300 MW fournis par différentes sources: 1 800 MW produits par les usines; 115 mgw achetés à la Syrie; 385 MW à travers les deux navires-centrales Fatma Gül et Orhan Bey, loués à l’opérateur turc Karadeniz depuis 2012.
En parallèle, la demande augmente d’année en année, surtout avec la présence de plus d’un million de réfugiés syriens. Selon les estimations de 2012, le Liban produit 72% de ses besoins, et l’EDL en perd 45% en gaspillage. Aux heures de pointe en août prochain, la demande atteindrait environ 3 450 MW, soit un déficit de 1 150 MW. Le Liban aurait besoin de produire près de 1 666 MW à travers ses usines pour être en mesure de répondre aux besoins du marché. Cependant, la construction d’usines de production nécessiterait pas moins de trois ans. En attendant, il faut trouver des solutions alternatives.

1,2 milliards $
Parmi les projets avancés par le plan national du gouvernement présenté à Paris dans le cadre de la conférence CEDRE, la construction de deux centrales électriques à Zahrani et Selaata, afin d’augmenter la capacité de production du courant, et diminuer le coût de l’électricité en utilisant le gaz naturel dans la production. Le coût s’élève à 600 millions de dollars pour chaque centrale. La part des projets prévus pour le secteur de l’électricité dans le Plan national présenté par le gouvernement serait de 20,82% durant les deux premières phases prévues entre 2018 et 2026, pour un montant total d’environ 17 milliards de dollars, et de 35% durant la troisième phase, prévue entre 2026 et 2030, et pour un montant global d’environ 6 milliards de dollars.
Le plan établi par le ministère de l’Énergie, envisage donc jusqu’à 2030 une réhabilitation des usines de production, ainsi que l’ouverture à la participation du secteur privé dans le financement des projets. En plus de la construction de nouvelles usines de Zahrani et de Selaata, le plan prévoit la construction d’une nouvelle usine à Jiyé qui remplacerait l’usine actuelle.  
Au cours de sa dernière réunion avant de se transformer en gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes, le Cabinet Hariri a pris la décision de mettre un terme à l’appel d’offres actuel pour la production de 850 mégawatts de courant en vue de lancer une nouvelle procédure, avec un cahier des charges modifié, en plus de la prolongation de trois ans du contrat pour la location des deux navires-centrales de la société turque Karadeniz, conditionnée toutefois par des négociations en vue de baisser les tarifs actuels à 4,95 cents le mégawatt pour la période de trois ans. À défaut de quoi, le contrat ne serait reconduit que pour un an seulement au prix de 5,85 cents. L’État libanais pourrait résilier l’accord sans pénalité financière.
Le gouvernement a pris une autre décision concernant le secteur, celle de modifier le contrat établi avec la société en charge de la construction de la centrale électrique de Deir Ammar, afin d’en faire un contrat BOT.
Un chantier énorme attend donc le nouveau gouvernement. Les divergences cèderont-elles la place à une entente sur une solution définitive pour sauver le secteur, améliorer le rendement, et réduire le déficit annuel?

Facture salée
Les Libanais paient actuellement une facture de 3,35 milliards de dollars par an pour le courant électrique. 39% du montant provient des transferts du Trésor à l’EDL; 26% des factures des usagers; 35% payés aux propriétaires de générateurs. C’est ce qui ressort d’un rapport présenté par le président de la République Michel Aoun au cours d’une réunion du Conseil des ministres. Le document présidentiel indique que le déficit cumulé du secteur de l’électricité entre 1992 et 2017 a atteint 32 milliards de dollars, répartis entre montants des subventions et intérêts calculés sur une base moyenne de 6,8%. Toujours selon le rapport, le prix de l’électricité est indexé depuis les années 1990 sur un baril de pétrole à 24 dollars, alors qu’il se négocie aujourd’hui à 65 dollars.

Arlette Kassas

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