Magazine Le Mensuel

Nº 3090 du vendredi 1er juin 2018

Editorial

Un instinct de survie

Les Libanais ont toutes les raisons du monde d’être dubitatifs face aux promesses de changement formulées par leurs dirigeants. On leur demande de croire que les responsables des maux dont souffre le pays depuis des décennies possèdent aussi le remède et, de surcroît, sont disposés à l’administrer. Si c’était vrai, la première question qui nous traverse l’esprit est celle de savoir pourquoi ont-ils tellement tardé à appliquer les solutions si celle-ci étaient déjà en leur possession! Pourquoi ont-ils attendu que la gangrène ronge les structures de l’Etat jusqu’à la moelle avant de sortir de leur chapeau le remède miracle!
Le scepticisme des Libanais est légitime, surtout qu’ils sont gavés de promesses depuis des générations et savent pertinemment que les paroles sont rarement transformées en actes. Comment peut-on prendre les mêmes au Parlement et au gouvernement et faire quelque chose de différent?
Le doute est justifié, d’autant qu’un changement de mentalité et de comportement est, normalement, un processus long, qui exige assiduité, patience, esprit de sacrifice et sens de la responsabilité, des qualités qui font défaut chez nombre d’hommes politiques libanais.
Mais c’est sans compter sur une autre qualité cardinale mais innée, qui existe chez la plupart des figures politiques: l’instinct de survie ou de conservation.
Les fondements du temple sont pourris et l’édifice risque de s’effondrer sur tous ses occupants. Ce n’est pas par conviction mais par urgence que les dirigeants promettent d’agir. La situation économique a atteint des limites dangereuses. L’Etat est au bord de la faillite, comme l’a dit le président Michel Aoun, avant que ses propos ne soient tempérés par d’autres responsables. La dette publique a atteint des sommets vertigineux, 80 milliards de dollars, soit 150% du PIB. Le déficit s’élève à près de 40% du budget, le chômage est en hausse, les investissements en baisse, l’industrie en berne, le tourisme en souffrance. La hausse des taux d’intérêt sur la livre libanaise a compromis une des plus importantes réalisations sociales: les prêts logement en livres libanaises, subventionnés par la Banque du Liban, qui permettent aux couples aux revenus moyens d’acquérir un appartement.
Le navire est en perdition, les rats l’ont déjà quitté. Les capitaines, eux, veulent tenter de le sauver pour ne pas couler avec lui. L’instinct de survie est capable des miracles les plus invraisemblables, comme par exemple convaincre Gebran Bassil d’inscrire le nom de Nabih Berry sur un bulletin de vote, pousser le chef du Législatif à envisager un autre que Ali Hassan Khalil au ministère des Finances, persuader les présidents Aoun et Berry d’enterrer la hache de guerre, ou, encore, décider le Hezbollah à former une commission spéciale chargée de la lutte contre la corruption au sein des institutions de l’Etat, dirigée par le député Hassan Fadlallah.
Il est permis de croire que des choses peuvent changer, car la bougeotte des dirigeants est motivée par leur salut, et non par le bien-être du citoyen.
Il faut seulement espérer qu’il ne s’agira pas d’une opération d’esthétique ou d’un vulgaire replâtrage pour limiter les dégâts. Sinon, l’effondrement, retardé un peu, n’en sera que plus brutal.

 

Paul Khalifeh
 

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