Formé au bio-mimétisme, l’architecte Adib Dada a pensé et conçu un projet pilote qui pourrait réhabiliter la zone du fleuve de Beyrouth. Ou quand le design et l’architecture se conjuguent à la nature pour un développement urbain plus respectueux.
Le nom du studio d’architecture serait justifié non seulement parce qu’il est l’autre Dada – son père est aussi architecte – mais aussi parce qu’il est différent. Dans son approche, par rapport à ce qui se pratique actuellement dans le pays. Adib Dada prend les devants, se mouille; il prend parti et si ça ne marche pas du premier coup, il continue autrement parce qu’il a choisi de se caler sur le rythme de la biologie — son dada — qui est celui de la nature, mouvante, puissante et qui fait bien les choses. The Other Dada est un laboratoire d’architecture intégrée. Les projets sont conçus dans une globalité, c’est-à-dire dans leur impact social et environnemental, puisant pour ce faire, dans les principes du bio-mimétisme cher au jeune architecte. Il a été formé à cette discipline à l’Institute of Biomimicry en 2009-2010, en sus de son mastère en Design et Technologie et de son diplôme en Architecture à l’AUB. Le bio-mimétisme consiste à s’inspirer de la nature et des systèmes vivants pour proposer des solutions innovantes et durables. Le principe de base est que «toute compétition dans la nature ne perdure pas» explique Dada. Toutefois, «la vie crée des conditions favorables à la vie». Ce qui l’a poussé à s’interroger, dans son travail: comment les designers, les architectes peuvent-ils créer des conditions favorisant le vivant?
Nature et urbanisme
C’est dans cet esprit qu’est né Beirut River 2.0., devenu depuis Beirut RiverLESS. Un premier projet pilote d’envergure — dans lequel le studio s’est engagé pro bono — et dont les résultats ont été exposés lors de la Beirut Design Week 2016. L’idée maîtresse consiste à ramener le fleuve de Beyrouth à la vie, avec tout ce que cela a comme impact sur l’écosystème et l’environnement autour. Ce projet novateur a permis à Adib Dada de figurer dans la liste des 100 personnalités élues par le magazine GOOD, honorant les acteurs du changement. Il a également présenté ce projet à la conférence Build it Green en 2016 organisée autour du thème Comment la nature peut-elle inspirer un développement urbain pour Beyrouth?
Pour défendre son projet, le jeune architecte rappelle les bienfaits et l’écosystème généré par la rivière: l’eau fraîche et le transport de sédiments, les organismes et nutriments, les services de régulation de la qualité de l’air et des inondations, de même que le contrôle des maladies. Au cœur du sujet, la question de l’eau, «l’or bleu» objet de multiples convoitises et conflits. D’autant que la dégradation du fleuve s’est clairement accompagnée d’un impact négatif sur les communautés résidant à proximité et sur l’environnement. Le studio OtherDada avait commencé son travail de recherche dès 2013. En 2016, le LCEC (Lebanese Center for Energy Conservation) et UN Habitat décident de s’associer au cabinet d’architecte sur ce projet, dont ils entrevoient l’importance. Mais la crise des déchets vient freiner les élans d’Adib Dada un temps, la rivière ayant été adoptée officiellement comme dépotoir, à son embouchure vers Bourj Hammoud.
L’architecte raconte d’ailleurs avoir pris contact, il y a quelques années, avec les plus hautes autorités à la Municipalité de Beyrouth pour son projet. Il se heurte alors à une fin de non-recevoir, l’officiel en question ne connaissant pas la localisation de cette rivière et affirmant que le fleuve de Beyrouth ne dépendait pas de Beyrouth. En effet, l’appartenance administrative en termes de caza mais aussi de ministères —quatre ministères concernés— et sa délimitation géographique floue, à l’entrée de Beyrouth (entre Bourj Hammoud, la Quarantaine, Mar Mikhael) ont favorisé l’abandon de ce cours d’eau, devenu un dépotoir lors de la crise des abattoirs.
FINANCEMENTS
Autre raison pour laquelle Adib Dada s’est intéressé à cette partie de la rivière? Sa densité démographique et les problématiques sociales qu’elle soulève. Dans ce quartier, cohabitent plusieurs communautés défavorisées: travailleurs immigrés et réfugiés dotés d’une infrastructure inadéquate, engendrant, en plus des problèmes de pollution et des maladies, de nombreux décès de piétons. The OtherDada envisage d’ailleurs d’engager les communautés résidentes à élaborer des solutions pour leur quartier. Une première expérience a déjà eu lieu dans ce sens, avec l’appui d’ONG.
Pour concevoir son projet Beirut RiverLESS – qui n’est plus soutenu par UN Habitat et LCEC –, Adib Dada a puisé son inspiration dans des projets au contexte similaire, comme celui de Wad Hanifa à Riyadh, lauréat du prix de l’Agha Khan pour l’Architecture en 2007 et celui de la rivière Khandra au Japon, réaménagée en une «nature urbanisée». L’un des principes majeurs que Dada souhaite appliquer est celui des «rues bleues vertes», qui consiste dans la récupération des eaux pluviales et le filtrage des eaux pluviales/eaux usées, lequel suppose l’installation de canalisations moins onéreuses qu’une usine de recyclage de l’eau. En parallèle, il préconise de planter des plantes sélectionnées, pour apurer l’eau, en s’inspirant du platane, arbre local qui retient 50% de l’eau.
A côté de ceci, des ponts piétons, des pistes cyclables sont envisagés pour résoudre les problèmes de mobilité. Les plans sont déjà prêts à petite échelle. Ils ont été conçus conjointement avec des associations et acteurs de la société civile tel que The Chain Effect, dans le but de commencer avec des interventions concrètes et en l’absence de financements publics.
Le ministère de l’Eau et de l’Energie s’est déclaré prêt à octroyer au studio un terrain de 5 000 m2 sous réserve de l’obtention de financements. A ce stade, TheOtherDada recherche des financements de l’ordre de 20 000 à 100 000 dollars pour initier la mise en œuvre de certaines solutions.
Design régénératif
Cette approche biomimétique, The OtherDada l’a déjà adoptée et testée dans deux projets en Arabie Saoudite: l’un à Riyadh, intitulé Landform; l’autre dans le centre de recherche du groupe chimique SABIC. Landform est une résidence privée que l’architecte a imaginée inspirée des Nabatéens qui habitaient sur le site et qui auraient été «d’une certaine façon, les premiers architectes durables», selon Dada, «dans le sens où ils avaient travaillé avec la nature pour survivre dans des conditions difficiles». Les arbres plantés ont été choisis en fonction de la consommation d’eau, de leur origine – natifs de la région ou adaptés au site, de leur capacité à favoriser le retour de certains oiseaux. L’architecture n’a pas été choisie pour elle-même mais a été adaptée pour un dialogue entre la technologie et la nature. La consommation d’énergie a été réduite de 28%, la consommation d’eau de 49%, l’émission de CO2 de 29% tandis que 17% d’énergie renouvelable est produite. Le projet est certifié BREEAM Très bien dans la catégorie Phase Interim de Design. Adib Dada ne vise pas seulement à réduire la consommation d’énergie, d’eau, etc. Il s’intéresse surtout à ce que l’on appelle le «design régénératif», favorisant la création d’énergie. Il a déjà exploré ce principe dans son appartement à Gemmayzé encore inachevé mais qui lui sert de prototype. Les personnes intéressées par cette nouvelle façon de penser l’architecture, en réalité ancrée dans des siècles de savoir, mais adaptée au confort moderne, peuvent le visiter. Avec Home of Innovation chez SABIC, il a conçu un projet pilote pour montrer aux investisseurs, au gouvernement et au grand public qu’il est possible de réaliser des projets d’architecture durable en Arabie, peu onéreux et rapidement.
Quel que soit le lieu, ce studio d’architecture choisit de faire la lumière sur le patrimoine: la biodiversité, l’histoire et la culture. Quelle meilleure combinaison que le Liban pour l’appliquer? C’est pour cela que l’architecte s’engage dans son pays sur des sujets d’espace public, comme pour Save Dalieh où il a présenté un projet de stratégie urbaine visant à préserver le site en mettant en valeur la vie marine et les pêcheurs. Il promeut également les arts dans la rue. Encore faut-il que les jeunes architectes qui pensent la ville, l’espace public et l’interaction sociale puissent participer officiellement au débat public.
Nicole Hamouche