Magazine Le Mensuel

Nº 3096 du vendredi 7 decembre 2018

Elle a réussi

Amal bitar Abi Khalil. Métier: Déboucheur d’égouts

Sélectionnée parmi les finalistes du 7ème Brilliant Lebanese Awards 2018, organisé par la BLC Bank, Amal Bitar Abi Khalil est la propriétaire de la compagnie Drain-Aid, spécialisée dans le débouchage des égouts et des tuyauteries. Une carrière quelque peu surprenante pour une femme qui allie charme et intelligence.
 

Il suffit de faire quelques pas dans la rue où elle habite, pour se rendre aussitôt compte de la popularité dont jouit Amal Abi Khalil. Ses portraits sont placardés partout sur les devantures des boutiques et petits établissements de son quartier. En 15 ans, elle est devenue la référence dans tout ce qui relève du débouchage des égouts et des tuyaux. Pourtant, rien ne disposait cette ancienne hôtesse de l’air à embrasser une carrière réservée exclusivement au sexe dit fort et de se faire une place dans un monde d’hommes. «Entre 1978 et 1984, j’ai travaillé comme hôtesse de l’air dans une compagnie aérienne, c’est ainsi que j’ai fait la connaissance de mon futur mari, pilote de profession», confie Amal Abi Khalil. Elle quitte son travail pour se consacrer à son rôle d’épouse et de mère et s’occupe de l’éducation de ses deux filles. «Malgré cela, je sentais que je n’étais pas productive et que j’avais encore beaucoup à donner. C’est comme si j’avais une énergie, un talent caché qui n’avait pas encore vu le jour». Lorsque ses enfants grandissent, Amal Abi Khalil fait du volontariat et donne des cours d’anglais sans cesser de s’interroger constamment quoi faire. «J’avais de nombreuses idées mais aucune ne me semblait lumineuse. Avec ma sœur, nous avons pensé ouvrir une société de catering. Mais un jour, mon mari constate qu’il n’y avait pas au Liban d’entreprises spécialisées dans le débouchage des égouts et des tuyaux».

DES DéBUTS DIFFICILES
Amal Abi Khalil trouve l’idée géniale et l’adopte. C’est ainsi que Drain-Aid est née. « J’ai relevé le défi malgré le scepticisme de nombreuses personnes et ma phobie des cafards» dit-elle avec amusement. Rien ne la retient ou freine son enthousiasme. Elle surmonte ses peurs et se lance à cœur perdu dans sa tâche. «J’ai commencé à partir de rien. A chaque obstacle, je trouvais une solution. Je me suis adressée à Kafalat pour un prêt bancaire puis démarré avec des machines basiques, secondée par 1 ou 2 ouvriers». Les résultats de sa première année d’exercice, en 2003, sont une véritable «mascarade » à ses yeux. «Le premier mois j’ai gagné 60$, le second mois 240$. J’étais très heureuse car cela représentait pour moi une progression», confie Amal Abi Khalil.
Elle fait du porte-à-porte, distribue des flyers dans la rue, dans les parkings, les entrées des immeubles. Puis le travail commence à croître. Elle achète une voiture lui servant à la fois pour ses déplacements professionnels et privés. «Il fallait un permis spécial pour conduire un van». Les difficultés sont nombreuses. «Souvent, je me rendais dans des endroits reculés et une fois arrivée sur place, on me disait que le problème avait été réglé. Je travaillais tard le soir et j’étais mal ou pas payée du tout. Je devais aussi supporter les états d’âmes des ouvriers. Pourtant, j’ai beaucoup appris de cette période. J’avais même honte à l’idée d’encaisser de l’argent. Mon but était de travailler et d’être productive».
Amal Abi Khalil se rend plus tard aux Etats-Unis et fait des stages sur de nombreux appareils. Avec les bénéfices réalisés, elle investit et achète un nouvel équipement, de plus en plus perfectionné. Aujourd’hui, la compagnie Drain-Aid compte 12 ouvriers et possède 4 grands vans. «Nous sommes passés de 511 opérations par an à 1 660 actuellement».

UN MONDE D’HOMMES
Si de nombreuses personnes accueillent favorablement cette femme qui exerce un métier d’homme, elle doit également affronter les préjugés et la misogynie des hommes, des plombiers en particulier. «Certains préfèrent travailler avec une femme parce qu’elle est plus méticuleuse, perfectionniste et ordonnée. En revanche, les plombiers me considèrent comme leur concurrente. Mais avec le temps et l’expérience, ils ont tous fini par m’accepter et admettre l’idée que je sois présente sur un chantier. Je suis très professionnelle et je fais toujours en sorte de finir mon travail à temps». On lui reproche parfois d’exercer cette profession alors qu’elle aurait pu travailler dans le commerce ou ouvrir un salon de coiffure. «Je n’aime pas le commerce, je préfère les choses techniques. J’ai entendu beaucoup de propos négatifs comme ‘mais que connaît-elle au débouchage des égouts cette femme?’» dit-elle. Avec les ouvriers qui travaillent avec elle, Amal Abi Khalil fait preuve d’autorité et de professionnalisme. «Ils ont fini par m’accepter et réalisent que je fais bien mon boulot. Chaque problème a une solution, sauf la mentalité des gens». Aujourd’hui encore, elle se rend régulièrement en personne sur les chantiers, à la tête d’une équipe d’ouvriers, participe au débouchage des égouts, une opération qui souvent peut nécessiter des heures de travail et se prolonger tard dans la nuit.

PROJETS DE FRANCHISE
Dans un souci de préserver l’environnement, Drain-Aid n’utilise pas de produits chimiques et privilégie les produits ecofriendly. Malgré qu’elle soit cette année l’une des finalistes du Brilliant Lebanese Awards, Amal Abi Khalil n’a jamais eu le sentiment de faire quelque chose d’exceptionnel. «C’est un métier comme un autre. Ma nomination est une sorte de reconnaissance de mon travail et m’offre une nouvelle ouverture».
Des projets, Amal Abi Khalil en a plein la tête. Elle voudrait acheter un hangar pour agrandir son business. «Je voudrais aussi collaborer avec les assurances de manière à faire une expertise sur les canalisations et égouts des appartements avant tout contrat de vente et qu’une police d’assurance y soit établie. J’aimerais pouvoir m’implanter en Syrie à travers une franchise de Drain-Aid. Je pourrais procurer l’expertise, faire des trainings, établir le setting, etc.». Elle ambitionne d’offrir à l’Etat libanais un volontariat qui consisterait à apprendre aux jeunes à pratiquer ce métier et à utiliser les machines.
Dans son travail, Amal Abi Khalil se voit secondée par sa sœur, «une véritable bénédiction» et son mari qui s’occupe des finances et des achats de pièces de rechange et du nouveau matériel. «Cette compagnie, créée à partir de rien est en quelque sorte mon bébé. Rien ne peut me procurer l’autosatisfaction que me procure mon travail».

Joëlle Seif
 

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