Magazine Le Mensuel

Nº 3096 du vendredi 7 decembre 2018

general Société

Refuser une succession. Ce que disent les communautés

Les textes sur la succession sont différents selon les communautés malgré une jurisprudence qui tend à se rejoindre. Magazine vous propose des pistes pour comprendre cette question complexe.
 

Pour les non-musulmans, la loi de 1959 leur permet de renoncer à la succession. Pour les musulmans, il était admis depuis la nuit des temps qu’on ne doit pas renoncer à une succession, mais les tribunaux chériés ont approuvé la disposition appliquée par les non-musulmans, en admettant l’option du droit successoral hanafite applicable aux sunnites, explique Me Ibrahim Najjar, ancien ministre de la justice et professeur de droit.

La morale familiale
Qui peut hériter et quoi? Me  Najjar explique que «pour les non-musulmans, on ne peut pas déshériter ses enfants totalement. Pour les druzes, il n’y a pas de réserve, tout est possible. Chez les musulmans, c’est le «Chareh islamique» qui fixe les parts héréditaires, et non la volonté de l’individu. On ne peut pas léguer à un non-héritier plus du tiers de la succession. Le reste est attribué par le Coran à certains membres de la famille».
Professeur émérite à la Faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint Joseph (USJ), Me  Najjar indique que «grâce à un revirement spectaculaire de la jurisprudence en 2018 de l’assemblée plénière à la Cour de Cassation, dorénavant, pour les non-musulmans, la même réserve prévue pour les testaments et pour les legs s’applique aux donations entre vifs des non-musulmans».
«Il n’est plus question pour un non-musulman de dilapider sa fortune et de consentir des donations dans tous les sens sans tenir compte de la réserve héréditaire, dit-il. Un homme ne peut plus déshériter sa femme de son vivant, ni ses enfants ni ses petits-enfants en distribuant ses biens, ni faire disparaître ses biens sans tenir compte de cette police successorale qu’est la réserve. La morale familiale revient».
«Ceci est d’autant plus important qu’au Liban, on a recours à de nombreux subterfuges pour maquiller les déguerpissements (trusts, compte-joints, les ventes qui déguisent une donation, les donations manuelles, les transferts d’argent, les paiements pour autrui…)», poursuit-t-il.

L’incapacité successorale
Un homme chrétien ne peut hériter de sa conjointe musulmane et vice-versa, car chez les non-musulmans c’est possible mais à charge de réciprocité. Puisque l’Islam interdit la succession hors-communautaire, les de cujus chrétiens ne peuvent plus faire hériter leurs conjoint(e)s musulmans. Quant à la différence de nationalité, la succession est également soumise à charge de réciprocité comme pour la différence de communauté», précise-t-il.
Quid des druzes? Malgré la maxime «né héritier qui ne veut», Me Najjar soutient que l’on ne peut être héritier malgré soi. Il a lui-même longtemps soutenu la nécessité pour les non-musulmans d’accueillir le droit d’option successoral. La jurisprudence libanaise, timidement d’abord puis franchement ensuite, a fini par admettre la possibilité de renoncer à une succession.
Chez les druzes, c’est le testament du défunt qui prévaut. C’est donc la liberté du testateur qui est primordiale. S’il décède sans testament, on applique à sa succession le chareh hanafite sunnite.
L’option de refuser la succession a un double aspect, négatif et positif, quand elle est abdicataire. Dans le cas de cette renonciation pure et simple, l’on est considéré comme n’ayant jamais hérité, c’est-à-dire, on ne paie pas les droits de mutation successorale. C’est très précieux pour la maman dont le fils décède en laissant des enfants.
En renonçant en tant que père ou mère ou conjoint à l’héritage, ceci permet aux petits-enfants de recueillir la totalité de la succession sans avoir à payer deux droits de succession.

Echapper aux créanciers
Me  Najjar a proposé de nombreux projets de lois dont l’un sur le droit successoral dans le but de rendre toutes ces démarches juridiques plus claires. Ce projet de loi est en attente au Parlement.
Autre cas de figure, refuser la succession pour échapper aux créanciers de son père. Cette renonciation permet de ne pas confondre les biens du père et ceux du fils, et de séparer les deux patrimoines. «Cela peut devenir un nid à procès», prévient cependant le juriste, car cela peut-être une occasion d’escroquerie lorsque des héritiers veulent profiter de certains éléments sans payer les dettes. Le cumul des deux situations contradictoires qui consiste à accepter la succession puis y renoncer peut faire l’objet d’un recours en justice.
Quelle sont les démarches pour renoncer à la succession? Trois façons peuvent être adoptées. La première, après avoir demandé dans une démarche judicaire à faire l’inventaire de la succession, la question est posée aux présumés héritiers de savoir s’ils acceptent ou non la succession. La deuxième est une démarche qui peut avoir une forme notariée, c’est-à-dire, une déclaration chez le notaire qu’il faudra produire soit avant soit après l’inventaire de l’héritage. La troisième consiste à déclarer à la barre du tribunal, à l’occasion de la procédure de l’inventaire, qu’on renonce à la succession.
Pourquoi le renoncement? Dr Antonio el-Zeenni, du bureau d’avocats Eptalex-Aziz Torbey, explique les motifs qui pousseraient un héritier à refuser une succession. «Pour garder les affaires familiales entre les hommes qui conservent le nom du père, certaines femmes renoncent à leur héritage parfois même sans rien encaisser, d’autres prennent une somme symbolique en contrepartie, dit-il.
Certains héritiers préfèrent y renoncer lorsque les dettes du de cujus (personne dont la succession est ouverte), présumé joueur invétéré par exemple, excèdent ses avoirs. Certains héritiers proches d’un commerçant qui a fait de mauvaises affaires, et qui se retrouve en faillite, décident de renoncer à la succession. D’autres, pour éviter les différends entre les membres de la famille lors d’une succession compliquée, renoncent à leur part.
Et il y a aussi quelques héritiers pour éviter de payer deux fois les frais de transfert de propriété en matière d’immeubles, une fois pour les frais d’héritage et une fois pour les transferts de propriété, renoncent à leur part pour que ce transfert s’opère automatiquement aux autres héritiers».

En cas de divorce
Dr. Zeenni explique «qu’après avoir déterminé qui hérite, on vérifie comment il peut exercer son droit d’option. Dans les pays qui appliquent la Charia, la femme hérite le 1/8, et le 1/4 si les enfants font défaut et cette proportion est divisée entre les épouses en cas de polygamie. L’homme hérite quant à lui la moitié s’il n’y a pas d’enfants et le quart en cas de progéniture.
Au Liban, si le lien matrimonial est rompu (en cas de divorce), la femme n’hérite plus, ni chez les chrétiens, ni chez les musulmans. «Si l’ex-épouse n’hérite pas, a fortiori, la belle-mère n’hérite pas non plus», dit-il.
«Pour payer l’impôt sur la dévolution successorale, chaque héritier règlera l’impôt proportionnel à sa part». Les enfants naturels doivent être reconnus pouravoir droit à l’héritage chez les chrétiens. Chez les musulmans, les enfants naturels, même reconnus, n’y ont pas droit.
 

Micheline AbuKhater

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