Le centre d’éducation non formelle installé dans le quartier défavorisé de Hay el-Gharbé, dans la banlieue sud de Beyrouth œuvre depuis plus de dix ans sur le terrain. Modèle d’engagement et de solidarité, il constitue aussi un microcosme de la misère et du dénuement qui hantent notre société.
Dans le centre d’éducation non-formelle Tahaddi, les enfants préparent la fête de Noël et de fin d’année sur les toits, aménagés en aire de recréation. Ils défilent un par un en récitant de courtes phrases qui disent tout: «Nous voulons vivre en paix, nous sommes tous égaux, nous avons droit à une enfance, à une identité, à l’éducation… Nous vous souhaitons une bonne année 2019». Des éducatrices bienveillantes et patientes veillent sur leur tenue sur scène et sur leur élocution; elles ne sont pas forcément complaisantes. Garçons et filles sont mélangés, Syriens, Libanais et Doms – des Libanais d’origine gitane – chantent, jouent et étudient ensemble.
Parce que c’est dans l’enfance que tout commence, Catherine Mourtada, la cofondatrice de Tahaddi, et son équipe, ont choisi depuis dix ans de semer des graines d’éducation auprès de ces enfants qui auraient été autrement, les laissés-pour-compte d’une conjoncture et d’un système. Au lendemain de la guerre, Catherine Mourtada, Suissesse de père syrien, vient enseigner le Français, à l’école Notre-Dame-de-la-Paix à Dora. Elle découvre aussi la misère du quartier de Hay el-Gharbé, où résident de nombreux Doms – naturalisés pour beaucoup d’entre eux dans les années 1992-1994 – et Libanais, à quelques mètres du rond-point de Cola et de la Cité Sportive. Avec une amie française, médecin de profession, le Dr Agnès Sanders, elles arpentent les ruelles du quartier et prodiguent des soins de base à ceux qui en ont besoin. Elles y viennent une fois par semaine et boivent souvent le café avec les habitants. Un lien se crée. A l’époque, elles constatent que beaucoup d’enfants souffrent d’infections oculaires et, au-delà de ce problème spécifique, combien cette population a difficilement accès aux soins médicaux et à l’éducation. C’est notamment le cas des Doms, souvent «rejetés» selon Catherine Mourtada, du fait de leurs origines. Avec un groupe d’amis, Catherine Mourtada et Dr Agnès Sanders se mobilisent pour collecter 100 dollars par enfant afin de les scolariser dans l’école publique. Elles louent par la suite un deux-pièces dans le quartier pour accueillir une quinzaine d’enfants âgés de 8 ans et plus et n’étant jamais allés à l’école. Quelques années plus tard, en 2008, elles fondent l’ONG Tahaddi qui devient un centre d’éducation non-formelle.
Réinsérer les exclus du système
Le centre reçoit des enfants dans le cadre d’un programme préscolaire de 3 ans avec l’objectif de les insérer ensuite dans l’école publique. Il accueille également ceux qui n’ont pas pu être admis à l’école publique, à cause de certaines difficultés, de manque de place ou de leur âge, l’école gouvernementale ayant aussi certains critères d’admission. Par exemple, à partir de l’âge de 8 ans, un enfant n’y est plus admis s’il n’a pas été scolarisé au préalable, sachant aussi que l’école n’est pas obligatoire avant l’âge de 6 ans. Ainsi, «ceux qui ont 8 ans et plus seraient condamnés à l’illettrisme», déplore Mme Mourtada qui cherche justement à lever cette fatalité, de même qu’à augmenter les chances de réussite de ceux qui sont déjà inscrits à l’école publique en fournissant à plus de 100 enfants un soutien pour les devoirs. Le programme de Tahaddi suit le curriculum libanais tout en étant adapté aux besoins émotionnels et cognitifs de ces enfants.
L’ONG reçoit les élèves pendant un maximum de 7 ans. Ensuite, ceux qui le désirent sont placés avec l’aide de l’assistante sociale du centre dans des organismes comme Dar el-Chabab, Moujad, le Mouvement social ou dans les formations offertes par le ministère des Affaires sociales. Certains font des stages de pâtisserie, de pharmacie ou autre dans des établissements de renom comme la pharmacie Mazen ou la pâtisserie T-Square à Sodeco. Le centre prodigue aussi des cours d’informatique, d’arts plastiques, de chant, de théâtre. Un atelier de couture permet aux femmes de vendre le produit de leur travail au travers de marchés solidaires. Depuis deux ans, ces femmes ont par exemple cousu des centaines de couvertures, distribuées dans les camps de réfugiés de la Békaa.
A côté de l’éducation, Tahhadi propose des services de soutien psychologique et social à une population qui en a bien besoin, au vu de l’état d’insalubrité, de promiscuité et de dénuement dans lequel elle survit. Deux psychologues, cinq assistantes sociales, deux orthophonistes, une psychomotricienne collaborent avec l’ONG, qui reçoit également des enfants à besoins spéciaux intégrés dans les classes de son centre éducatif. Un centre médical dirigé par un médecin libanais accueillant des résidents de l’AUBMC, fournit gratuitement des soins de base et les vaccins nécessaires aux enfants.
Redonner de la dignité
Dans ce contexte d’extrême pauvreté, la drogue et la petite délinquance sont des fléaux fréquents parmi les adolescents, ainsi que le mariage précoce des jeunes filles. Tahaddi cherche à relever les défis de la pauvreté et des préjudices en soustrayant les enfants de la rue, en accueillant des familles et en employant des personnes sans distinction de religion, de nationalité ou de niveau social. Une quarantaine d’employés issus de différents coins du pays, collaborent aux activités du centre. Près de 400 enfants bénéficient actuellement de ses différents programmes éducatifs. «Une des particularités de ce centre est qu’il reçoit de façon égale Syriens (52%) et Libanais (48%) qui étudient et jouent ensemble sans problème», explique Catherine Mortada, sachant que les Libanais et Syriens ne vont pas aux mêmes horaires à l’école publique, les capacités d’accueil des salles de classe de ces établissements étant limitées.
Modèle de mixité et d’ouverture, le centre Tahhadi a pu, heureusement, trouver de nombreux soutiens. La Principauté de Monaco, Les Apprentis d’Auteuil, la Coopération Suisse, celle du Liechtenstein, la Lebanese Society for education and social development (LSESD et la Coopération française figurent parmi les principaux donateurs institutionnels. Des particuliers, Libanais et autres, contribuent également financièrement mais aussi avec des dons en nature (habits, jouets, etc.) et du temps. «Notre équipe est motivée parce qu’elle voit que donner accès à l’éducation ou à la santé physique ou mentale, fait une différence, même si la vie reste très difficile pour les familles de Hay el-Gharbé», souligne la directrice du centre, qui avec ses collaborateurs, a «constamment de nouveaux projets pour l’ONG». «Depuis que nous avons commencé, nous voyons l’impact sur la population. Nous cherchons à ce que les gens ne soient pas dépendants de notre aide mais qu’ils puissent vivre dans la dignité et le respect». L’équipe mène son combat avec entrain. «Le jour où ça sera lourd pour moi, j’arrêterai», confie Catherine Mortada, qui entraîne par son enthousiasme, dans la foulée, de nombreux bénévoles, collaborateurs et contributeurs.
Nicole Hamouche