Oubliez le traditionnel à la bourguignonne, le célèbre mollusque fait coquille neuve et se réinvite à table. Au Liban, sa culture se développe.
Le secteur des cosmétiques le chérissait déjà pour les bienfaits de son mucus contre le vieillissement de la peau, et depuis quelques années, la cuisine aussi le remet au goût du jour. Souvent boudé, notamment à cause de sa texture visqueuse, ce mets détient pourtant de nombreux avantages nutritionnels, avec une chair composée majoritairement d’eau et de protéines, de très peu de matière grasse et dépourvue de cholestérol. Les plus gros consommateurs européens sont la France, l’Espagne et l’Italie mais il est très commun dans la cuisine populaire au Maghreb, le Maroc en étant l’un des premiers producteurs. Au Liban, plusieurs fermes se sont spécialisées dans l’héliciculture, des restaurants le mettent à la carte et le mois dernier, l’Alleyway à Gemmayzé accueillait le premier Beirut Snail Festival. Alors que la production de viande est considérée comme un mal environnemental, l’escargot pourrait-il la remplacer?
Si les chercheurs s’accordent à dire qu’il était consommé dès la Préhistoire, la légende raconte que lors des temps anciens, le poète grec Anacréon avait une vingtaine de recettes à partir d’escargots, faisant d’eux un mets raffiné. Au Moyen-Âge, ils remplaçaient déjà la viande lors du Carême. En 1814, après avoir disparu pendant deux siècles des traditions culinaires, le gastéropode revient. Le fin gastronome et conseiller du roi en matière de bouche, Talleyrand, le proposa au menu lors d’un banquet à l’occasion de la venue du tsar de Russie, Alexandre Ier. Le cuisinier de la cour à l’époque, originaire de Bourgogne, les servit accompagnés de beurre et d’ail persillé, popularisant cette recette française, que l’on retrouve surtout lors des fêtes de fin d’année.
SEPT ÉLEVAGES AU LIBAN
En Europe, certaines variétés d’escargots comme le Bourguignon sont en voie d’extinction et nécessitent des mesures de préservation. Leur exploitation est une pratique récente puisque la première ferme fut inaugurée en Italie en 1974. Aujourd’hui, les mollusques que l’on trouve à table sont toujours à 85% issus de la nature même, le reste provenant de la culture. Très sensibles au climat, les dérèglements environnementaux ont un impact direct sur leur espérance de vie, nécessitant pour leur subsistance d’un taux d’humidité élevé ainsi que de verdure pour se nourrir et se protéger du soleil, leur ennemi numéro 1. Au Liban en revanche, la culture d’escargots bat son plein grâce aux conditions climatiques favorables des montagnes, à la fraîche, loin de l’air et de l’eau polluées. Le pays compte en tout 7 élevages dont 3 situés dans la Békaa. Ici, c’est le «Petit-Gris» qui a du succès, plus petit que son cousin d’outre-Méditerranée, son élevage est plus rapide car il atteint sa maturité au bout de 7 mois contre 3 ans pour le premier. Victimes des pesticides et de l’élevage intensif, cette même espèce est cependant en voie de disparition dans les pays d’Europe de l’est, qui en furent auparavant les principaux exportateurs.
Le Petit-Gris, un succès libanais
«Les Libanais en raffolent», nous confie Rami Salman, rencontré à l’occasion du festival hissant le helix en star. Les restaurants du passage couvert de la rue Gouraud avaient pour l’occasion concocté des mets spéciaux à base d’escargots: en version pizza par le restaurant méditerranéen Zimi, des bouchées par le bistrot français Couqley et autres déclinaisons par le traiteur l’Olivier. Et en bonus, une course de mollusques était organisée… Ce type d’événements est très populaire en Italie, où l’on en recense près de 200 par an, tandis que la péninsule ne compte pas moins de 9 000 fermes. Professionnel du domaine avec sa compagnie Food and Beverage National Company (FBNC), Rami Salman crée il y a trois ans son propre élevage de 24 000 m2 dans les hauteurs de la Békaa, à Aamiq, où il élève environ 1,5 millions de gastéropodes. Il y a un an, il ouvre une cuisine à Hazmieh lui permettant de stocker 18 tonnes d’escargots vivants dans un entrepôt frigorifié et de les préparer sur place. Ils sont destinés à la vente dans les restaurants, aux supermarchés et même aux particuliers. Dans sa ferme, en pratiquant le «free range», il tente de reconstituer pour ses Petit-Gris un cadre ressemblant le plus à leur environnement naturel. Il nous explique proposer sous son label deux formules. La première, des vivants que les gens placent dans leur propre jardin pour les cuisiner ensuite; la seconde, des déjà cuits par ses soins avec coquille ou sans. Côté prix, il faut compter 22 000 L.L./le kilo d’escargots cuits en coquille et 25 000 L.L./pour 400g de viande cuisinée, qu’on retrouve ensuite dans les restaurants pour un ticket d’environ 20$ le plat. À Beyrouth, le Petit-Gris a même donné son nom à un restaurant où on le déguste en risotto, avec des linguinis, en version œufs brouillés… Ou à la libanaise, assorti d’une sauce «tarator», à base de tahiné. Malheureusement pour les héliciculteurs libanais, l’exportation vers l’Europe est compliquée, le seul port étant en mesure de recevoir des animaux vivants étant celui de Barcelone, raisons sanitaires obligent. Mais se contenter d’une agriculture modérée à destination d’une consommation raisonnée, assure finalement la préservation de l’espèce et de son environnement, se voulant être aussi le nôtre.
NOéMIE DE BELLAIGUE