Ce projet impulsé par l’ONG Sawa for Development and Aid collabore avec les réfugiés syriens pour créer des lignes de vêtements et de meubles en bois entre tradition et contemporain.
L’association, qui soutient les réfugiés installés au Liban depuis le début du conflit syrien en 2011, aide à ce jour plus de 80 familles dans la Békaa. En fin d’année dernière, Sawa for Development and Aid a lancé sa marque d’artisanat éthique et moderne: The Master Peace. L’atelier est installé à proximité des camps de Bar Elias où l’espace est divisé en deux parties. La première est consacrée au travail du textile pour la fabrication des vêtements, la seconde à celui du bois pour la création de mobilier. À ce jour, ce programme compte quarante participants qui mettent à profit leurs talents manuels pour créer des pièces qui lient formes et matières. En amont, ces hommes et ces femmes ont suivi une formation avec des professionnels en prêt-à-porter pour la maîtrise de tout ce qui est lié à la couture, à la broderie et au crochet ainsi qu’en menuiserie, pour tout ce qui se rattache à la technique du bois. Sur les murs de la fabrique, des photographies de Syriens en habits traditionnels révèlent le point d’ancrage dont est issu l’inspiration de la marque. Avec comme résultat, des robes, des chemises et des pantalons ainsi que des luminaires, des tables et des tabourets pensés de façon modernes, inscrits dans une démarche engagée et produits en séries limitées.
Une communauté soudée
Oum Fawzi est Syrienne, elle travaille dans l’espace de confection, aussi appelé «The creative heaven», où elle est présente pour les couturières et les initie à l’utilisation des machines à coudre et aux différentes techniques de couture. Jusqu’à la finition, elle veille au bon déroulement de la chaîne de production. «The Master Peace vient en aide à ces femmes, qui souvent ont perdu un mari ou un enfant, en leur donnant un travail mais aussi un soutien psychologique», confie-t-elle. «Nous sommes une famille et l’atelier est un espace de liberté où chacune des femmes peut exprimer ses émotions à travers son expression artistique». Dans le respect du savoir-faire traditionnel, ce groupe de femmes réalise les vêtements contemporains, sur lesquels le temps n’a pas d’impact. Une première collection très prometteuse, dont ressort aussi une série de meubles, le tout, dessiné par le designer Hazem Kais.
La première collection, baptisée Ruhal, a été présentée lors de l’inauguration au mois d’avril dernier à Mansion, une villa des années 30 située à Zokak el-Blat, abandonnée pendant la guerre et désormais réhabilitée en espace culturel, accueillant des expositions, des projections ou encore un café. Durant cette soirée, l’artiste Carla Daher s’est adonnée à une performance audiovisuelle, évoquant, par la danse et la musique, l’arrivée d’une femme syrienne dans l’un des camps à Bar Elias. En parallèle à cette première ligne, la marque a créé une seconde nommée Ruhal X, présentée en exclusivité au restaurant Tawlet qui a ouvert récemment un second espace dans une maison traditionnelle beyrouthine à Hamra. On a ainsi pu y découvrir une collection lumineuse de vêtements en coton aux couleurs pastel ainsi que des meubles mutualisant bois et tissus.
Le projet a attiré l’attention des cinq musiciens libanais du groupe de rock qui fait aujourd’hui la fierté du Pays du cèdre dans la région et dans le monde entier, Mashrou’Leila. De la rencontre des deux univers, est née une séance photo dans un château abandonné. Sur un fond d’architecture qui pourrait convenir à un décor de cinéma, les artistes ont habité l’espace avec des tenues qui reflétaient à la fois l’esprit du lieu et celui de leur musique, comme une célébration du Levant.
Un message de paix
Tout le projet The Master Peace est guidé par la volonté de gommer les frontières conflictuelles au profit de la solidarité et de l’union des forces. Le poids des conflits est allégé dans cet atelier pour laisser place à l’inspiration et la créativité. Une dimension qui se ressent dans la façon d’aborder les matériaux travaillés, à travers un mode de production qui privilégie le fait-main jusqu’au design des produits finis qui réinterprètent la mode du passé pour la rendre actuelle et branchée. Dans chacune des pièces créées, on saisit la trace du passé, qui se forge dans le présent, avec un réel engagement vers l’avenir.
Noémie de Bellaigue