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Nº 3072 du vendredi 2 décembre 2016

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Ziyad Baroud: «J’ai refusé de donner au TSL les empreintes digitales des Libanais»

Ministre de l’Intérieur de 2008 à 2011, Ziyad Baroud revient sur cette période marquée par un intense bras de fer entre le 8 mars et le 14 mars. Cette confrontation a abouti à sa démission après l’insubordination du directeur général des FSI de l’époque, le général Achraf Rifi.

Lorsque Ziyad Baroud est nommé ministre de l’Intérieur et des Municipalités dans le gouvernement de Fouad Siniora, en juillet 2008, le Liban n’a pas encore pansé les plaies provoquées par les événements du 7 mai de la même année, quand le Hezbollah brise, par la force des armes, l’élan du mouvement du 14 mars, entamé trois ans plus tôt. Agé seulement de
38 ans, ce militant de la société civile côtoie, dans le Cabinet, les protagonistes de la crise, réunis par l’accord de Doha, conclu sous l’égide des monarchies du Golfe avec la bénédiction des grandes puissances. Certes politisé, le jeune avocat, choisi par le président Michel Sleiman, se considère comme un «novice» face aux poids lourds de la politique.
Pourtant, Ziyad Baroud peut déjà se prévaloir d’une riche expérience dans la chose publique. Membre fondateur du mouvement du Renouveau démocratique aux côtés du député, aujourd’hui disparu, Nassib Lahoud, il prend, en 2005, la tête de l’Association libanaise pour la démocratie des élections (ALDE). Nommé à la Commission chargée de rédiger un projet de loi électorale, dirigée par Fouad Boutros, il se distingue par son approche résolument moderne et démocratique et inscrit sa dissidence en insistant, entre autres, sur l’adoption du mode de scrutin proportionnel. En 2007, il est invité, par l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, à la rencontre interlibanaise de La Celle Saint-Cloud, pour représenter, avec d’autres personnalités, la société civile.
La rencontre sera un échec. Elle aura, cependant, eu le mérite de faire découvrir aux Libanais ce jeune homme au verbe facile, aux idées clairement exprimées, au regard vif et au sourire malicieux.
élections 2009: l’argent est roi. Les trois ans que passera M. Baroud à la tête du ministère de l’Intérieur seront étonnamment calmes au plan sécuritaire, après la tempête de mai 2008 et la vague d’assassinats politiques des années précédentes. «Cette période sera, toutefois, marquée par la poursuite du bras de fer entre les protagonistes locaux», se souvient l’ancien ministre. En filigrane de cet affrontement, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), chargé de juger les meurtriers présumés de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri.
C’est dans ce contexte politique tendu que le ministre de l’Intérieur s’attelle à la préparation des législatives de 2009. «Le savoir-faire en matière électorale que j’ai acquis à l’ALDE et à la commission Boutros m’a beaucoup aidé dans cette tâche», affirme M. Baroud qui a également tiré profit de ses contacts auprès d’ONG (organisations non gouvernementales) et d’autres instances internationales pour garantir le succès du scrutin. «Nous avons obtenu auprès de l’Union européenne (UE), du Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) et d’autres organisations, des donations en nature s’élevant à 74 millions de dollars», dit-il.
Les législatives de 2009 ont été saluées dans le monde entier. Ziyad Baroud a réussi à les organiser en un seul jour, démentant le commentaire d’un responsable politique libanais qui l’avait traité de «fou». L’ancien président Jimmy Carter dira que des 74 scrutins qu’il a observés, les élections libanaises étaient les mieux gérées. «Avant, pendant et après le processus électoral, le ministère de l’Intérieur a fait preuve d’une impartialité exemplaire, souligne M. Baroud. Je suis satisfait de la gestion. Un ministre qui organise des élections est rarement reconduit dans ses fonctions. Or, je l’ai été en 2010, dans le gouvernement de Saad Hariri».
Toutefois, Ziyad Baroud n’est pas entièrement satisfait. «J’émets une réserve au sujet des dépenses électorales, explique-t-il sans complaisance. Le plafond fixé par la loi n’est pas suffisant. Lors de l’examen du projet de loi électorale au Parlement, j’avais réclamé la levée du secret bancaire pour tous les candidats, mais ma proposition avait été rejetée».
Les législatives de 2009 étaient les mieux gérées et les plus chères. «Toutes les élections coûtent de l’argent, mais pas à ce point, s’indigne l’ancien ministre. Payer pour acheter des voix dépasse toutes les limites». L’argent coule effectivement à flot, des sources avançant le chiffre d’un milliard de dollars, que M. Baroud n’est pas en mesure de confirmer. Quelques corrupteurs ont été arrêtés en flagrant délit… des prises bien modestes devant l’ampleur du phénomène. «Ils étaient subtils au point que les billets d’avion qu’ils ont fournis aux électeurs résidant à l’étranger ont été achetés ailleurs qu’au Liban pour ne pas laisser de traces», se souvient-il.
L’expérience vécue par Ziyad Baroud au ministère de l’Intérieur sort des récits colportés par la tradition. L’ancien ministre assure n’avoir jamais subi de pressions de la part des forces politiques, pourtant réputées pour être envahissantes et sans scrupules. Même le président Sleiman n’a jamais rien exigé de lui. «Quand il n’était pas tout à fait d’accord avec une décision que je prenais, il me disait: ‘‘Je ne vous impose rien; vous assumez la responsabilité de vos décisions’’. Dans une large mesure, les choses se passaient très bien», dit-il avant de poursuivre: «Je n’ai jamais eu de clash avec l’une des forces politiques du pays (…). J’ai essayé de traiter impartialement avec tous. Les différents partis étaient satisfaits. Il était évident que je ne pratiquais pas le favoritisme. Quand je ne pouvais pas accéder à une requête, ma décision était acceptée, car tous savaient qu’avec les autres, ce serait pareil… Certes, certaines personnalités étaient mécontentes, mais cela ne m’empêchait pas de faire mon travail convenablement».

Démission, en mai 2011
Ziyad Baroud se dit «agréablement surpris de constater que, lorsqu’on décide de faire son travail convenablement, cela est possible. Lorsqu’on choisit d’appliquer la loi, on peut le faire». «Cela fera des mécontents qui peuvent vous rendre la vie difficile dans les médias, ou par ricochet, ajoute-t-il. Le fait que je n’avais pas d’intérêts privés, pas de dette envers qui que ce soit, m’a permis d’exercer mes fonctions dans le cadre de mes convictions. Parfois, j’ai réussi; d’autres fois, j’ai échoué».
Puis tout a basculé, en 2011. Le 26 mai, le ministre des Télécommunications de l’époque, Charbel Nahas, se rend dans un bâtiment relevant de son ministère, près du Palais de Justice. Il se retrouve nez-à-nez avec des dizaines de membres du service de renseignement des Forces de sécurité intérieure (FSI), qui lui interdisent l’accès au 2e étage de l’immeuble. «J’ai trouvé scandaleux qu’un ministre ne soit pas autorisé à entrer dans son ministère, se souvient M. Baroud. J’ai appelé le général Rifi et je me suis rendu compte que les enjeux étaient bien plus importants que je ne l’imaginais».
Cinq ans plus tard, l’ancien ministre révèle un épisode inconnu de cette mystérieuse affaire: «Lorsque le général Rifi a refusé d’obtempérer, j’ai décidé de me rendre en personne sur les lieux, en pensant que je réussirai à convaincre les agents des FSI d’évacuer le secteur. C’est alors qu’un officier supérieur m’a pris à part pour me montrer une note d’évaluation d’un service de renseignement, qui s’attendait à un échange de tirs au cas où je me rendrais sur place. J’ai alors demandé à l’officier: ‘‘Quoi? Ils vont me tuer?’’. Il m’a répondu: ‘‘Non, mais le sang risque de couler. Etes-vous prêt à l’assumer?’’. ‘‘Oui’’, lui ai-je dit, en prenant place dans ma voiture. Alors que j’étais en route, j’ai reçu un appel téléphonique d’une personnalité haut placée qui m’a conseillé de ne pas me rendre sur les lieux».
Après cette affaire, Ziyad Baroud a rédigé une lettre de démission, affirmant qu’il ne pouvait pas être un «faux témoin». «Dans les textes de la loi, un ministre de l’Intérieur est le chef des directions générales sous son commandement, qui sont tenues d’appliquer ses directives, explique-t-il. Beaucoup de personnes m’ont reproché ma démission. Mais après avoir pris toutes les mesures que la loi m’autorisait, le fait de rester à mon poste après le non-respect de mes instructions aurait montré trop de faiblesse».
Achraf Rifi a-t-il fait preuve d’insubordination? «Oui, mais je suis sûr que ce n’était pas intentionnel de sa part, répond M. Baroud avant de poursuivre: «Il ne voulait pas se rebeller, mais, à ses yeux, l’affaire était d’une grande gravité. Pour ma part, je ne pouvais pas accepter qu’une question, aussi importante soit-elle, supplante les prérogatives d’un ministre de l’Intérieur».
Des années plus tard, M. Baroud a appris l’importance que revêtait ce fameux 2e étage du ministère des Télécoms pour les protagonistes. «Le temps viendra pour dévoiler ce qu’il contenait», dit-il mystérieusement. Du matériel d’écoute? «C’est possible», répond-il. En lien avec la crise syrienne? «L’avenir le dira. Les enjeux étaient importants, au point qu’une décision du ministre de l’Intérieur n’a pas été respectée», confie-t-il.
Le mystère du 2e étage n’a-t-il pas montré que le général Rifi avait un autre chef que le ministre de l’Intérieur. «Oui, tout comme Abdel-Menhem Youssef qui a rendu la vie difficile à plusieurs ministres des Télécoms», lance M. Baroud.

Les limites de Sleiman
L’ancien ministre estime-t-il avoir été lâché par le président Sleiman qui ne lui a pas apporté une protection politique suffisante dans cette affaire? «Non, il a fait tout ce qu’il pouvait, répond-il. Il a écrit au procureur général. Je ne lui reproche rien… A l’époque, le président n’avait pas de parti politique, de bloc parlementaire, de médias. Ça me porte à croire qu’un président de la République qui dispose de tous ces atouts peut, forcément, mieux gouverner».
Lorsque le ministre Nicolas Sehnaoui succède à Charbel Nahas au ministère des Télécoms, le 2e étage avait été vidé… Selon certaines informations, un équipement complet de réseau de téléphonie mobile, offert par la Chine en 2007, y avait été installé. Il aurait été utilisé pour coordonner certaines actions en Syrie. C’est un secret bien gardé! «Comme beaucoup d’autres choses», souligne l’ex- ministre.
De par le poste qu’il occupait, Ziyad Baroud était un interlocuteur privilégié du TSL, qui empoisonnait les relations entre les forces politiques libanaises. L’ancien ministre réfute énergiquement les critiques selon lesquelles il aurait refusé de coopérer avec le tribunal. «J’étais, dès le départ, favorable au TSL, car j’estimais qu’il fallait mettre un terme à l’impunité, précise-t-il. Pendant les trois années que j’ai passées à l’Intérieur, j’avais une collaboration fructueuse avec le tribunal, à l’exception d’une seule affaire».
De quelle affaire s’agit-il au juste? Un jour, M. Baroud reçoit une requête du TSL lui demandant de fournir au tribunal les empreintes digitales de tous les Libanais. Il répond, par écrit, qu’il lui est impossible de fournir les empreintes du président de la République, du mufti ou du patriarche, qui ne sont pas suspects, et réclame une liste nominative. Le TSL exprime ses craintes d’éventuelles fuites. Finalement, les empreintes de 800 personnes, dont dix ou douze suspects, noyés dans le lot, sont transmises au TSL. «Je suis juriste et je sais comment les choses fonctionnent, déclare M. Baroud. J’ai joué pleinement mon rôle de gardien des empreintes digitales des Libanais. C’est fâcheux que le fichier des étudiants universitaires ait été entièrement transmis au TSL. Il est possible de collaborer tout en préservant un minimum de souveraineté. Il ne faut avoir peur de dire, non quand cela est nécessaire. Les libertés individuelles sont sacrées et inscrites dans la Constitution».
Réformateur dans l’âme, Ziyad Baroud est conscient de l’immensité du chantier nécessaire pour mettre l’Etat à niveau. Cependant, il est convaincu qu’il est possible d’améliorer les choses à ce stade. Il a lui-même pris des décisions importantes. «Lorsque nous avons installé des radars sur les routes, le nombre de victimes de la voie publique a baissé de 57% en trois mois, se souvient-il avant de poursuivre: «J’ai supprimé l’appartenance religieuse dans les registres de l’état civil au moyen d’une circulaire. Deux cent quatre-vingts personnes en ont profité les trois premiers mois. Concernant le droit d’une mère libanaise à accorder la nationalité à ses enfants, j’ai préparé un projet de loi qui n’a même pas été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres… Pour réussir, il faudrait avoir le soutien d’un bloc parlementaire ou d’une force politique».
C’est parce que le général Michel Aoun dispose de ces atouts qu’il lui est possible de réussir son mandat. «Si quelqu’un de l’envergure du président Aoun ne peut pas réussir, qui d’autre le pourrait? C’est pour cela que je suis optimiste pour l’avenir», conclut Ziyad Baroud.

Paul Khalifeh
 

Sera-t-il candidat?
La candidature de Ziyad Baroud aux prochaines élections législatives dépend de la nature de la loi électorale. Selon lui, celle-ci doit être basée sur la proportionnelle totale, seule susceptible d’assurer une représentation authentique de tous les Libanais, y compris des minorités confessionnelles et politiques. L’ancien ministre doute, cependant, que cela soit adopté dans la prochaine loi. «Ils pourraient introduire partiellement la proportionnelle. C’est un début», dit-il.

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