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Nº 3062 du vendredi 15 juillet 2016

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Jacques Audiard. «Le cinéma est d’essence réaliste»

Dans le cadre des célébrations des 10 ans de Metropolis et la reprise à Beyrouth de la 55e Semaine de la Critique, le cinéaste français, Jacques Audiard, est venu présenter son 1er long métrage, Regarde les hommes tomber, précédé d’une rencontre avec le public libanais, le 9 juillet, modérée par Antoine Khalifé. Magazine l’a interviewé.

Vous avez dit que vous êtes un grand lecteur. Quel serait le rapport de la littérature au cinéma, et plus particulièrement le cinéma de l’Hexagone?
Le cinéma français est peut-être le cinéma le plus littéraire qui soit dans son histoire. Il y a même toute une dimension psychologique et d’essence littéraire. Pour moi, je ne sais pas si j’établis un rapport entre le cinéma et mon goût, ma pratique de la lecture, pas seulement de la littérature, mais d’autres choses aussi. De temps en temps, je peux lire un livre et me dire, tiens! si j’allais dans cette direction-là, si on faisait un film à partir de ça. Mais c’est une instrumentalisation un peu simple de la littérature. J’ai tendance à penser que, pour moi, il n’y a pas de rapprochement entre les deux. C’est très faux ce que je vous dis, il y a forcément des rapports! Du point de vue de l’écriture, par exemple, l’écriture cinématographique n’a strictement rien à voir, c’est même l’opposé de l’écriture littéraire.
 

Dans un entretien, vous avez dit que votre père considérait le cinéma un métier et la littérature un art…
Ah! je ne suis pas du tout d’accord avec lui. S’il y avait un héritage paternel, et je lui en suis extrêmement gré, mon père a été un conseil de lecture, une ouverture à la lecture, à la littérature et un analyste très fin. Je pense que le fautif c’est lui (rires)… mes parents… J’ai eu assez tôt ce goût de la lecture. Mais c’est un truc de fainéant la lecture, on se met sur un lit, on ouvre un livre, hop on le referme, il s’est passé quatre heures. C’est une drogue dure.
Je ne suis donc pas du tout d’accord avec lui car, à mon avis, il avait une position d’époque et très locale. Il appartient à une génération des gens de cinéma dans les années 45-47 de l’après-guerre. A ce moment, l’industrie cinématographique était vraiment un ascenseur social très puissant qui a mené une, deux, trois générations à avoir des métiers, une pratique; ce sont même eux qui ont fait le cinéma d’après-guerre. Pour lui, la religion c’était la littérature, la musique, et le cinéma un truc de crétin. Alors que, pour moi, je l’ai toujours pensé, très tôt, avant même que j’en fasse, le cinéma avait une puissance évocatrice, ne serait-ce qu’en tant que spectateur, qui procurait des émotions d’un ordre tellement différent que celles que donnait la littérature.

Parce qu’il y a l’image?
Il y a l’image oui. Le cinéma, qu’on le prenne par où on veut, est d’essence réaliste. Quand on voit un visage, le visage a existé. On voit un visage en train de travailler, de pleurer, une bouche en train de rire, de parler, les mots qui sortent de la bouche ont vraiment existé. C’est un facteur d’émotion, cette espèce de proximité et d’absence en même temps. La littérature est purement une absence. Là, il y a une proximité, le personnage se dresse devant vous. Et quand vous travaillez avec des comédiens, son corps, son visage vont jouer entièrement et la caméra va en saisir, en 24 images/seconde, tous les mystères.
Le spectateur, ce qu’il y a d’extraordinaire et c’est peut-être ce qui est en train de disparaître aujourd’hui avec les nouvelles exploitations du cinéma, les films qu’on voit en salles et ceux qu’on voit sur son ordinateur. Il faut dire qu’à un moment donné, tout le monde entrait dans un endroit où il y avait de la lumière, des petits sièges, les gens s’asseyaient, toussaient un peu, la lumière s’éteignait et l’écran s’allumait. Ils restaient comme ça et puis les lumières se rallumaient et ils sortaient… Il y a ce truc qui est à la fois inexplicable et très explicable aussi. Il y a des films que j’ai vus… Ma nuit chez Maud, j’ai dû le voir une quinzaine de fois… d’ailleurs je n’ai plus compté. Le cinéma est mystérieux, les grands films le sont tout comme les grandes œuvres littéraires. Et c’est plus étonnant dans le cinéma, car c’est représenté. La grande portée du cinéma c’est qu’il est incroyablement démocratique, ça s’adresse à beaucoup de gens, ça doit s’adresser à beaucoup de gens.

Est-ce que le cinéaste doit prendre en considération ce qui se passe, par exemple, au niveau du fait qu’on ne voit plus le cinéma de la même manière?
On pourrait parler de cela pendant des heures… et là, j’ai peur de radoter. Je pense qu’on appelle cinéma, on emploie un mot, on définit une chose qui n’est plus la chose que définissait ce mot-là. Le cinéma c’est 1895, cette définition d’écriture du mouvement va tenir jusque dans les années 90. Après, il y a la révolution numérique et on continue à appeler cette chose cinéma. C’est faux, pour moi c’est un défaut lexical, il faudrait employer un autre mot. Parce que c’est le rapport avec le réel qui a changé, comment l’outil qui sert à filmer l’entrée d’un train en gare de la Ciotat ou la sortie de l’usine Lumière, cet outil-là va être le même, jusque dans les années 80, c’est de la pellicule argentique. Cela suppose que ce qui est en face existe vraiment dans des conditions de durée et d’éclairage suffisants pour être capté. Aujourd’hui, vous pouvez inventer des choses entièrement à partir d’un calculateur, donc ça n’a pas l’exclusivité de la représentation du réel.
Avant, je sais que beaucoup de mes souvenirs sont, pour une part, garantis par le cinéma, quand je vois un vieux film sur Paris dans les années 60, un film de Louis Malle, de Truffaut. Aujourd’hui, je ne pense pas que je pourrai avoir le même rapport avec le cinéma puisque la question qui me serait posée ne serait pas la même. Je serai toujours dans une ère de soupçon, de me dire mais qui a fait ça et comment? Il faut s’interroger…

Propos recueillis par Nayla Rached

 

Un moment dans une salle de cinéma
A l’occasion de ses dix ans, l’association Metropolis Cinema a lancé un appel à un concours de courts métrages sur le thème Un moment dans une salle de cinéma, à l’adresse des jeunes âgés de 16 à 30 ans. Quinze participants ont été jugés par un jury international composé de Rebecca Zlotowski, Michael Andreen, Tobias Pausinger et Joana Hadjithomas. Les résultats ont été annoncés lors d’une cérémonie ouverte au public le 8 juillet.
Les lauréats sont: Valentina Khawand pour Rasel, François Yazbeck pour Mein Herz Brennt et Mention spéciale du jury à James Chehab pour EyeLight.

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