Magazine Le Mensuel

Nº 3068 du vendredi 26 août 2016

Editorial

L’inconscience criminelle

Il y a trois jours, le Liban commémorait l’élection à la présidence de la République de cheikh Bachir Gemayel, le 13 août 1982. On ne peut pas oublier les conditions particulièrement difficiles dans lesquelles elle s’était déroulée. Défiant les menaces les plus dangereuses, les députés de l’époque avaient respecté la Constitution. Plus de trente ans après, faisant écho au chef actuel des Kataëb, Samy Gemayel, chacun se pose la même question: qu’avons-nous fait et que faisons-nous? Le crime ce n’est pas seulement l’assassinat d’un être humain, en l’occurrence c’est celui d’une nation et d’un peuple. Les mouvements de rue organisés par les militants de la société civile, certes tardifs après des années perdues, porteront-ils leurs fruits? Manqueront-ils de souffle ou seront-ils, en fin de compte, pris dans le tourbillon des revendications ne sachant par lesquelles commencer? Le premier mouvement civique avait enthousiasmé la population, tous âges, communautés et appartenances confondus. Sa motivation première ne pouvait laisser indifférents: celle de la santé publique frappée par les ordures dont les rues étaient envahies et qui le sont toujours. Son succès venait du thème qu’il défendait, sujet qui ne laissait pas de place à l’insouciance et qui ne cesse de se déplacer d’une région à une autre, toujours sans solution et avec autant de répercussions nocives. Les premiers mouvements populaires avaient entraîné dans leur sillage les plus réticents à descendre dans la rue. Infiltrée par des fauteurs de troubles professionnels, tirant probablement profit de la jungle dans laquelle nous vivons, la manifestation avait vite déraillé. Mais des gens du pouvoir, incapables ou intéressés, n’ont pas réagi aux cris de détresse et de colère dont les raisons étaient et le sont tout autant justifiées. Une électricité défaillante et quasiment inexistante dont les causes n’échappent à personne. Des augmentations de salaires promises aux serviteurs de l’Etat, qui attendent toujours la reconnaissance improbable de leur travail. Une cherté de vie dénoncée et jamais contrôlée, des produits alimentaires porteurs des germes de maladies graves et on en passe… Comme chaque jour est porteur d’un nouveau problème, ce fut la semaine passée, celui d’une circulation infernale et souvent provocatrice de drames entraînant parfois la mort. Face à ce désastre dans la gestion du quotidien des citoyens, déjà en mal d’être, les responsables de toutes ces misères, et d’autres bien plus sérieuses pour le destin de la nation, tentent vainement de donner le change. Obligés de mettre un bémol à leur m’en-fichisme arrogant, ils annoncent, à grand fracas, des efforts de recherches de solutions, autour des tables d’un dialogue dont la stérilité serait le fait des Etats voisins ou des pays plus éloignés. Les représentants de ces derniers, ministres des Affaires étrangères et politiciens de tous niveaux, font la navette au pays du Cèdre, alimentant les médias, non pas de promesses, mais de conclusions hâtives et éphémères très vite démenties et jetées aux oubliettes.
Certains de nos confrères «contradicteurs», pourtant avertis, tournent autour de la question cruciale qu’ils posent aux gérants du pays: pourquoi cette impossibilité d’élire un chef d’Etat? Question superflue s’il en est. Ils oublient que les derniers en date n’ont pu accéder au palais de Baabda que grâce au poids des tutelles de chaque époque. Ils prétendent ou font semblant d’ignorer l’identité de celle d’aujourd’hui. Ils s’étonnent, à juste titre d’ailleurs, des déclarations de quelques hautes personnalités, dont celles du patriarche maronite, qui rappellent sans se lasser, aux «élus» de la nation, leur devoir national édicté par une constitution qu’ils ont eux-mêmes amendée et votée. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas perdre de vue que la situation actuelle est l’héritage d’un cumul d’erreurs, d’incompétence à tous les niveaux, pour ne pas parler de malversations, de profits illicites et autres magouilles de tous genres. Ce sont ceux-là que nous portons sous la coupole de la Place de l’Etoile depuis des années et dont il semble que nous ne puissions pas nous passer, après dix ans d’un mandat auto-prorogé.
L’heure n’est plus aux sursauts citoyens, mais bien au réveil brutal de toute la nation.

Mouna Béchara

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