Magazine Le Mensuel

Nº 3050 du vendredi 22 avril 2016

general

Anbara. Histoire d’une femme libre

Anbara Salam el-Khalidi est la première femme arabe à avoir enlevé publiquement son voile. C’était en 1927, à Beyrouth. Anbara, la pièce de Aliya el-Khalidi, retrace le cheminement de l’une des féministes pionnières du monde arabe.

Féministe, loin d’un mot étroit qui enserre la chose et son contraire, militante d’un devenir femme plutôt, Anbara Salam el-Khalidi sert sa cause et celle des femmes arabes, en maniant et aiguisant le pouvoir des mots et du geste. Ce geste historique qui remplace tous les mots: en 1927, elle a donné une conférence à l’AUB intitulée Une femme orientale en Angleterre qui décrit justement les deux années qu’elle a passées par-delà ces frontières. Dans la salle, Anbara s’apprête, se lève, se place devant l’audience, et avant de commencer sa conférence, elle enlève son voile. Les mots n’ont plus lieu d’être. Le silence. Les yeux brillants. Le rideau tombe.
Un geste historique, un choc, qui a secoué, ébranlé tous les conservateurs d’alors jusqu’à provoquer des violences dans les rues de Beyrouth. Un geste qui vaut tous les mots, qui résume, qui couronne tout un cheminement vers la liberté. La liberté de la femme arabe. C’est ce cheminement que retrace la pièce Anbara, écrite et mise en scène par Aliya el-Khalidi sur une dramaturgie signée Noura Sakkaf.
 

L’Histoire, une impression sépia?
Une pièce qui marque les esprits, non seulement par son impact historique, sa trame narrative, mais aussi par tous les éléments scéniques, sonores, visuels et audiovisuels, éclairage, costumes et décors, mis au service du théâtre. Fruit d’une collaboration avec toute une équipe de professionnels, Anbara joint le théâtre à la photographie au cinéma, sans jamais créer une sensation de surplus, d’un trop plein d’informations et de donnes. Au contraire, l’ensemble reste épuré, tout en effeuillant ses multiples couches.
Les photographies se juxtaposent aux vidéos, jeux d’ombre et de lumière, déplacement synchronisé sur scène, merveilleuse reconstitution d’une époque, notamment à travers le maniement de l’accent, parfaitement maîtrisé par tous les acteurs. Nazha Harb, Fadia Tannir, Abdel-Rahim Awji, Najwa Kondakji, Ziad Chakaroun, Dana Dia, Omar Jeba’i, Sara Zein et Hani el-Hindi: des acteurs au jeu maîtrisé, juste, passionné, entre le sourire, le sérieux, le tragique et l’humour.
Impression d’histoire sépia, la pièce commence par le regard d’une fillette de 10 ans dont le destin semble déjà scellé par les traditions, us et coutumes. Elle portera le voile, ou plus justement une forme de niqab d’époque la recouvrant de noir de la tête aux pieds. Pour que les gens ne parlent pas. Quelques années plus tard, elle épousera l’homme choisi par ses parents, sa mère surtout. Mais Anabara ne l’entend pas de cette manière. Elle a d’autres idées, d’autres pensées, d’autres aspirations. La nuit, elle lit, cachée sous les couvertures. Non pas que la lecture soit un acte banni par la famille, au contraire, à la maison Salam l’éducation est un point d’honneur; son père, Salim Ali Salam (Abou Ali) est une figure publique importante de Beyrouth, ses frères également, dont le Premier ministre libanais Saeb Salam. Petit à petit, de contestation en victoire, à mesure que les avis conservateurs font entendre leurs voix-off masculines plaignant son père, Anbara trace son chemin…
Le sien et celui des femmes arabes. Elle écrit des articles dans le journal al-Mufid, elle cofonde la première association concernée par la femme, Society for the awakening of the arab girl, elle traduit Homère, Virgile, elle milite, elle donne des conférences, elle refuse tous les prétendants, elle rencontre en secret l’homme qu’elle aime, elle fait face à Jamal Pacha, elle écrit ses mémoires Jawlah fil thikrayat bayna Lubnan wa Filastin, traduit plus tard en anglais sous le titre Early Arab feminism; The life and activism of Anbara Salam el-Khalidi… Elle est convaincue que la femme a un rôle aussi important que l’homme à jouer, dans la société, dans l’engagement politique, dans l’éducation, dans la vie… Rappel tonitruant pour la femme arabe d’aujourd’hui à poursuivre une action entamée il y a des années et stoppée net…

Leila Rihani
 

Anbara, c’est au théâtre Babel, Hamra, jusqu’au 28 avril.
Billets en vente à la Librairie Antoine et en ligne (www.antoineticketing.com) et au guichet.

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