Magazine Le Mensuel

Nº 3032 du vendredi 18 décembre 2015

general

Option Frangié. Rien avant début 2016

A mesure que les jours passent, les détails de «l’option Frangié» lancée par Saad Hariri se précisent et montrent les limites de cette initiative que l’on croyait pourtant salvatrice. Les principaux concernés continuent de dire qu’elle est toujours valable, mais il est clair qu’avant début 2016, le Liban ne connaîtra pas de grands développements dans le dossier présidentiel.

Depuis près d’un mois, le monde politique est secoué par un véritable séisme: l’annonce de la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, à la présidence de la République, appuyée par le chef du Courant du futur, Saad Hariri. Aussi bien dans le camp du 8 mars que dans celui du 14 mars, la surprise a été quasi totale. Certains ont crié à la trahison, d’autres ont parlé d’un poignard dans le dos (ce qui revient un peu au même), mais sous l’effet du choc, les chefs de file ont préféré garder le silence… le temps de mieux comprendre ce qui se passait.
Les «parrains» libanais de cette option, à savoir le chef druze Walid Joumblatt et le président de la Chambre Nabih Berry, ont aussitôt cherché, chacun à sa manière et selon ses moyens, à faire croire que le «deal» est conclu, et qu’il a l’aval, sinon plus, des parties occidentales et régionales, à savoir les Etats-Unis, la France, l’Arabie saoudite et l’Iran. Il y avait réellement une volonté de faire vite, justement pour profiter du choc provoqué par l’annonce et éviter des réactions qui auraient pu compromettre l’initiative. Les parrains avaient d’ailleurs bien raison de vouloir conclure rapidement l’affaire, car la première surprise passée, les positions se sont clarifiées et les obstacles sont apparus.
Si l’on veut faire un petit film de «l’option Frangié», on peut dire qu’elle a commencé par une idée du chef du Parti socialiste progressiste (PSP) Walid Joumblatt, qui a tenu compte de trois éléments, le premier est la nécessité pour Saad Hariri de revenir au Liban et d’y reprendre la fonction de Premier ministre pour des raisons financières et politiques liées à sa situation en Arabie saoudite et à ses relations chaotiques avec les deux hommes forts du royaume, les princes Mohammad Ben Nayef et Mohammad Ben Salmane. Le second élément est l’intérêt pour l’Arabie saoudite de parvenir à un accord sur le dossier présidentiel, qui préserve son influence au Liban, confortée et consolidée par l’accord de Taëf, conclu en 1989. Le troisième élément est le souci de Joumblatt et de ses partenaires de préserver le système en place depuis Taëf et le partage des pouvoirs entre les chefs de file politiques traditionnels (la fameuse troïka qui avait fait les beaux jours du mandat du président Elias Hraoui, accord quadripartite, en fait, puisqu’il fallait ajouter à Hraoui, Nabih Berry, Rafic Hariri et Joumblatt lui-même). Fort de ces trois intérêts convergents, Joumblatt a tenté d’en convaincre les dirigeants saoudiens et, après une longue période de froid avec le royaume, dû au fait qu’il avait été le facteur déterminant dans la chute du gouvernement de Saad Hariri en 2010, le chef druze a reçu une invitation à se rendre à Riyad où il a exposé son projet aux dirigeants du royaume et à Hariri. Ce dernier, enthousiasmé par l’idée, a aussitôt adressé une invitation au chef des Marada à se rendre à Paris pour un entretien. Il a pris soin de faire comprendre à Frangié que cette initiative avait obtenu l’aval de l’Occident et du royaume wahhabite. Frangié a donc répondu à l’invitation, pensant qu’au bout d’un an et six mois de vacance à la tête de la République, il serait peut-être bon d’envisager un plan «B». Comme il appartient au même camp politique que le général Michel Aoun et le Hezbollah, il croyait pouvoir convaincre ses alliés d’adopter sa candidature. Il avait toujours affirmé son appui à celle du général Aoun, mais si ce dernier, pour une raison ou une autre, devait se désister, c’est à lui qu’échoirait le droit à la présidence de la République, pour ses alliés du 8 mars.
La rencontre a donc eu lieu et les deux hommes ont évoqué tous les sujets conflictuels dans un esprit positif et dans une volonté réelle de parvenir à des accords. C’est ainsi que Saad Hariri n’a pas demandé à Sleiman Frangié de renoncer à ses relations avec le président syrien Bachar el-Assad, ni de condamner la participation du Hezbollah aux combats en Syrie ni, non plus, de mettre sur le tapis la question des armes de la Résistance, sachant que le chef des Marada aurait alors arrêté les discussions. De son côté, Frangié a compris les appréhensions de Hariri ainsi que ses motivations. Il s’est ainsi engagé à respecter les dispositions et la structure mises en place par l’accord de Taëf, rassurant son interlocuteur sur ses bonnes intentions à l’égard de l’Arabie saoudite avec laquelle son grand-père et toute sa famille entretenaient d’excellentes relations. Il est probable que Hariri ait demandé à son interlocuteur le maintien de la loi électorale de 2009 (la loi de 1960 amendée) et qu’il ait requis son maintien à la présidence du Conseil pendant toute la durée du mandat présidentiel. Mais Frangié ne s’est pas réellement engagé sur ces dossiers, sachant qu’il n’aurait pas le pouvoir de le faire sans avoir au préalable consulté ses alliés. Mais il aurait au moins promis d’essayer de les convaincre.
 

Un secret mal gardé
La rencontre aurait dû rester secrète pour permettre à chacun des deux interlocuteurs de préparer le terrain dans son propre camp. Mais elle a été divulguée trop tôt, sans doute par des «parties bien intentionnées». C’est alors que les critiques ont commencé à tomber sur cette initiative, directement ou non. Pour tenter de rattraper l’erreur, Frangié a essayé de discuter avec ses alliés. Il a tenté une première approche avec le président syrien, qui lui a conseillé d’en parler avec le secrétaire général du Hezbollah. Par le biais de ses canaux habituels, il a sollicité une rencontre avec sayyed Hassan Nasrallah. La réponse a été claire: il vaudrait mieux qu’il voit d’abord le général Michel Aoun. Il a donc demandé un entretien avec ce dernier, qui l’a renvoyé à Gebran Bassil. Il s’est rendu chez le ministre des Affaires étrangères à Batroun, avant d’aller présenter ses condoléances au chef du Bloc du Changement et de la Réforme (dont il fait d’ailleurs partie) pour le décès de son frère. Il s’agissait d’une première prise de contact entre Frangié et Aoun, suivie d’un entretien de près d’une heure mercredi dernier. Les informations ayant filtré sur cet entretien font état d’un climat froid et de l’absence d’entente entre les deux hommes. Aoun a ainsi rappelé à son interlocuteur qu’en tant que membre de son bloc parlementaire, il aurait dû le consulter avant de songer à sa candidature à la présidence de la République, lui affirmant, par ailleurs, qu’il restait lui-même le principal candidat et qu’il n’estimait pas que ses chances soient minimes.
Au lendemain de cette rencontre, le leader des Marada a été reçu par le secrétaire général du Hezbollah avec les égards dus à sa loyauté et à sa fidélité à la Résistance. Mais là aussi, en dépit des éloges de ses positions faits par «le sayyed», il a entendu que Michel Aoun restait le candidat du Hezbollah et, par conséquent, qu’il était hors de propos d’examiner une autre candidature. De plus, les conditions exigées par le Courant du futur sont inacceptables, car elles ne correspondent pas au rapport de force sur le terrain. Le Hezbollah et ses alliés n’ont pas perdu sur le plan régional pour se voir contraints de faire autant de concessions sur le plan interne… Frangié s’est, enfin, rendu auprès du président syrien où il a entendu le même son de cloche. Ce dernier lui a affirmé qu’il fallait prendre avec des réserves les conditions posées par le Courant du futur. La position du 8 mars et de ses alliés est donc claire: Aoun reste le candidat favori.
Celle du 14 mars l’est beaucoup moins. Saad Hariri continue à faire croire que «l’option Frangié» est toujours valable, mais son allié Samir Geagea estime que la page est tournée. Joumblatt en a fait son deuil sur Twitter et Berry garde un mutisme prudent. En bref, l’affaire est remise. Frangié et Hariri ne sont pas parvenus à parler d’une même voix et à lâcher leurs alliés pour un «deal» à deux.

Joëlle Seif

Une seule critique
La visite de Sleiman Frangié à Damas et son entretien avec le président syrien Bachar el-Assad, considéré «l’ennemi numéro 1» par le 14 mars, n’ont pas soulevé un tollé au sein du Courant du futur ni auprès de ses alliés. Autre temps, autre discours! Seul Ahmad Fatfat a mollement protesté, estimant que cette visite ne sert pas l’initiative de Saad Hariri. Mais aucun autre responsable du Futur ou du 14 mars n’a rebondi sur cette affaire. Pas même le ministre de la Justice Achraf Rifi…

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