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Nº 3034 du vendredi 1er janvier 2016

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2016, une année cruciale. Des scénarios contradictoires

Les deux camps rivaux au Liban sont en désaccord sur presque tout sauf sur un seul point: la conviction que l’année 2016 sera porteuse de changements à la fois internes et régionaux. En ce premier janvier, tout le monde pense que le Liban se trouve à la croisée des chemins. La formule peut paraître un peu cliché, mais elle résume bien la situation: en 2016, les choses peuvent évoluer pour le meilleur ou vers le pire.

Dans le scénario positif, la multiplication des congrès et des réunions internationales en ce début d’année, que ce soit à Vienne, à Genève ou ailleurs, montre que les dossiers brûlants sont en train de se diriger vers des compromis. Et ce contexte favorable aux solutions, même si celles-ci sont encore éloignées, ne peut que rejaillir sur le Liban et sur son dossier présidentiel.
Si on veut entrer dans les détails, il est clair que les dossiers syrien, irakien et yéménite sont en train de bouger dans le sens de la préparation du terrain à des règlements.
 

Panier global au Liban?
Concernant le dossier irakien, la reprise par l’armée régulière, aidée par les «milices de la mobilisation populaire» (chiite), de la ville de Ramadi, en prélude à la reprise de l’ensemble de la province (sunnite) d’al-Anbar, montre une détermination internationale à réduire l’influence de Daech en Irak ainsi que le territoire que cette organisation contrôle dans ce pays. La province de Ninive et la ville de Mossoul sont sans doute laissées pour la fin, parce que c’est là que tout a commencé il y a plus d’un an et parce que ces régions sont proches de la Turquie. Mais la province d’al-Anbar est plus importante symboliquement parce que, d’une part, elle est le fief de la communauté sunnite en Irak et, ensuite, elle est proche de la frontière syrienne. Même si, selon les spécialistes, il ne faut pas s’attendre à l’élimination totale de Daech d’Irak au cours de l’année 2016, cette organisation devrait perdre une partie non négligeable du territoire qu’elle contrôle et se retrouver ainsi dans une dynamique descendante.
Cette situation en Irak devrait avoir son équivalent en Syrie. On comprend mal en effet comment Daech pourrait perdre du terrain en Irak et en gagner en Syrie. Là aussi, rien n’indique que la guerre qui dévaste ce pays depuis bientôt cinq ans est sur le point de se terminer, mais, dans une perspective optimiste, on peut dire que l’offensive aérienne russe devrait se poursuivre et marquer des acquis importants sur le terrain où se battent l’armée syrienne et ses alliés. Toujours dans cette perspective optimiste, la marge de manœuvre des pays qui appuient Daech devient de plus en plus étroite et l’organisation terroriste devrait perdre du terrain en Syrie au profit des forces du régime et du processus politique. Au Yémen, le même processus est envisagé puisqu’au bout de dix mois de bombardements et de combats au sol, la coalition menée par l’Arabie saoudite n’a pas réussi à enregistrer un acquis décisif contre Ansarallah (les Houthis). La place est donc aux négociations de Genève pour trouver un compromis honorable.
Si ces prévisions sur les trois dossiers brûlants de la région se vérifient, le Liban devrait profiter de cette dynamique pour sortir de l’impasse politique dans laquelle il se trouve. L’option Frangié lancée par le chef du Courant du futur, Saad Hariri, était une première tentative qui devrait se préciser au cours des prochains mois à la lumière des développements dans les dossiers régionaux. Que la candidature de Sleiman Frangié soit retenue ou qu’un nouveau nom soit avancé, les protagonistes devraient chercher des terrains d’entente et, en particulier, revenir à la fameuse idée avancée par le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, de «panier global». Autrement dit, il n’est pas question, comme le Courant du futur avait tenté de le faire avec l’adoption de la candidature de Frangié, de s’entendre sur la présidence et de laisser tout le reste en suspens. Il faudrait ainsi parvenir à un accord sur la loi électorale, sur la formation du gouvernement et sur les nominations administratives et militaires, avant de procéder à l’élection d’un nouveau président. Ce scénario n’est pas impossible, il est juste tributaire des développements régionaux. Si la guerre contre le terrorisme, et en particulier contre Daech, est sérieuse et se traduit par des victoires sur le terrain, cet état de fait devrait se concrétiser au Liban par une volonté commune des deux camps de parvenir à un accord qui reflète les rapports de force sur le terrain, tout en sauvant la face du Courant du futur.
Face à cette lecture plutôt optimiste, il y en a une autre qui l’est beaucoup moins. Selon cette approche, la région est plongée dans une guerre entre sunnites et chiites qui ne connaîtra pas une fin de sitôt. Pour les Israéliens, c’est du pain béni qui leur permettra de compléter leur projet de diviser la région en entités confessionnelles et ethniques en guerre entre elles et, pour les Etats-Unis, il s’agit d’un pis-aller qui ne menace pas leurs intérêts directs dans la région qui se résument aux sources d’énergie et à la sécurité d’Israël. La guerre contre Daech serait donc un long enlisement pour les Russes, les Iraniens et leurs alliés, alors que l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie continueront à appuyer en douce cette organisation terroriste pour affaiblir l’Iran et ses alliés. Dans ce contexte, aucune solution sérieuse n’est à espérer sur aucun des dossiers litigieux, sauf s’il devient une menace pour la sécurité saoudienne. Il pourrait donc y avoir un compromis sur le Yémen, mais il n’aura aucune incidence sur les dossiers irakien et surtout syrien.
Dans la foulée de cette continuation de la crise ouverte dans la région, le Liban est appelé à continuer à survivre d’une impasse à l’autre, d’un dossier conflictuel à un autre. Aucun des deux camps rivaux n’est prêt à faire une concession véritable à l’autre et l’année 2016 se poursuivra comme s’est achevée 2015 avec, de temps à autre, une entente sur un dossier inévitable, selon le principe du partage des parts, mais sans solution pour les problèmes de fond. Ni président, ni nouveau gouvernement et un Parlement qui fonctionne au coup par coup, c’est ainsi que, selon cette lecture, se présente le déroulement de l’année 2016. Avec toutefois, un surplus de pourrissement interne et de déchéance des institutions.

 

L’armée minée de l’intérieur
Démotivée, l’armée sera minée de l’intérieur car, après tout, les soldats appartiennent à leurs milieux familiaux et ne peuvent pas résister au climat malsain qui règne dans le pays, les services de sécurité auront de plus en plus du mal à faire leur travail, sachant que le nombre des réfugiés syriens au Liban est appelé à se stabiliser, mais en même temps, ils seront mieux organisés. De plus, si les combattants de Daech et de ses semblables sont plus ou moins chassés de certaines régions syriennes, et mal vus en Jordanie, en Irak et même en Turquie, où ils commencent à constituer une menace sérieuse pour la stabilité, ils n’auront d’autre lieu où se rendre que le Liban. La faiblesse des institutions libanaises en l’absence de consensus politique et, surtout, à cause de la volonté des petits chefs politico-communautaires de maintenir leur influence et leurs privilèges, constitue le meilleur moyen de favoriser l’arrivée des combattants de Daech et de ses semblables et leur implantation dans certains milieux libanais.
Cette perspective très sombre n’est pas nécessairement la bonne, mais il faut en tenir compte pour éviter le pire et comprendre qu’en dépit du fait que le sort du Liban est lié à celui de la région, une grande responsabilité repose aussi sur les épaules des Libanais eux-mêmes. 2016, au final, sera ce que les Libanais en feront.

Joëlle Seif

Et les municipales?
En principe, en 2016, des élections municipales devraient avoir lieu au Liban. Cette échéance est d’autant plus cruciale que si le plan pour le traitement des ordures prend forme, les municipalités sont appelées à jouer un rôle plus important dans ce domaine. Mais comment organiser des élections municipales avec un gouvernement qui fonctionne au ralenti et un Parlement qui a sans cesse besoin de masques à oxygène pour rester en vie? Selon la loi, les élections municipales devraient avoir lieu au printemps, mais au printemps justement, on parle de la possibilité d’un règlement du dossier présidentiel. Dans ce cas, il reste prioritaire. Sinon, s’il n’y a pas d’entente sur la présidence et la relance du gouvernement, pourrait-il en avoir pour organiser des élections municipales? Le Liban reste le pays des surprises.

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