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Nº 3036 du vendredi 15 janvier 2016

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Confrontation entre l’Iran et l’Arabie. Le processus syrien première victime collatérale

La poussée de fièvre entre l’Arabie saoudite et l’Iran n’est pas encore retombée, presque quinze jours après l’exécution polémique du cheikh Nemr el-Nemr, par le royaume wahhabite. Des tensions qui pourraient avoir des répercussions sur le processus politique pour parvenir à une solution dans le conflit syrien, censé débuter le 25 janvier.

Si les masses populaires se sont, semble-t-il, calmées, après l’exécution du dignitaire chiite saoudien, le 2 janvier dernier, décidée par le royaume wahhabite, la tension générée entre Riyad et Téhéran reste, elle, au sommet. Après les incidents contre les représentations diplomatiques saoudiennes en Iran, les liens diplomatiques entre les deux pays ont été rompus dès le 3 janvier. Sans trop de surprise, les autres monarchies du Golfe ont quasiment toutes suivi le mouvement, à des degrés différents, comme Bahreïn où la majorité de la population est chiite, à l’exception, toutefois notable, du Qatar et de Oman qui se sont contentés de condamner les attaques. Les Emirats arabes unis se sont, eux, bornés à réduire leurs relations diplomatiques avec l’Iran, sans doute en raison des liens commerciaux existant entre les deux pays.
 

Soutien arabe à Riyad
L’Iran a répliqué, lui aussi, en accusant l’aviation saoudienne d’avoir bombardé son ambassade au Yémen, un pays où les deux puissances s’affrontent par milices interposées. Une accusation fermement démentie par la coalition arabe conduite par l’Arabie saoudite.
Au Caire, le ministre des Affaires étrangères saoudien, Adel el-Jubeir, a notamment accusé l’Iran de «s’ingérer dans les affaires des pays arabes, d’encourager les tensions confessionnelles et de déstabiliser leur sécurité et leur stabilité». Il a été soutenu dans ses propos par son homologue égyptien, Sameh Choukri, qui a demandé si «les responsables iraniens accepteraient-ils, par exemple, les ingérences d’autres pays quand l’Iran applique ses lois dans ses rapports avec ses citoyens sunnites».
C’est dans ce contexte qu’est intervenu, sans trop de surprise, le soutien de la Ligue arabe à Riyad. Réunis dimanche 10 janvier au Caire à la demande express de l’Arabie saoudite, les chefs de la diplomatie des pays de la Ligue ont exprimé leur «solidarité totale» face aux «actes hostiles et provocations de l’Iran». A l’exception notable du Liban qui a opté pour la politique de distanciation. Les pays de la Ligue arabe ont fermement condamné, dans un communiqué, «les déclarations iraniennes hostiles» à l’Arabie saoudite, en réaction, «à l’exécution de décisions de justice qui concernent un certain nombre de terroristes». Rappelons que le dignitaire chiite a été exécuté en même temps que 46 autres condamnés à mort, dont nombreux étaient liés à al-Qaïda. Enfin, la Ligue arabe s’est émue de «l’ingérence flagrante» iranienne, manifeste dans les affaires internes du royaume saoudien. Cet appui arabe a fait écho à celui déjà formulé samedi par le Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui avait apporté son «soutien total», menaçant même de «prendre d’autres mesures contre l’Iran si ce pays poursuit ses agressions».
Si les risques d’une escalade militaire entre les deux puissances régionales, dans ce contexte explosif, restent, a priori, à exclure, cette crise inquiète quant au devenir des négociations de paix pour la Syrie qui doivent s’ouvrir le 25 janvier. Le 18 décembre 2015, pour la première fois depuis le début du conflit syrien, la résolution 2254 pour un processus de paix en Syrie avait finalement été votée à l’unanimité par les membres du Conseil de sécurité, ouvrant la voie à un espoir de cessez-le-feu et une transition politique. Quelques jours plus tard, la mort de Zahran Allouche, le chef de Jaïch el-islam soutenu par Riyad, tué par un bombardement de l’aviation russe, avait jeté une ombre sur les futures négociations. Riad Hijab, ex-Premier ministre syrien choisi pour coordonner la délégation de l’opposition qui devait discuter avec le régime syrien, avait d’ailleurs prévenu que la mort de Allouche aurait «des conséquences sur tout le processus politique entamé à Vienne et Genève».
Dans ce contexte, la cristallisation des tensions entre le royaume wahhabite et la République islamique tombe on ne peut plus mal. Dans ces conditions, on voit mal comment les pourparlers de paix pourraient reprendre à la date fixée et, encore moins, comment ils pourraient aboutir à un accord.
Pour autant, les deux puissances ont assuré, chacune de son côté, leur détermination à poursuivre le processus de Vienne. «Nous assisterons aux prochaines discussions sur la Syrie et nous ne les boycotterons pas à cause de l’Iran ou de qui que ce soit», a ainsi déclaré Abdallah el-Mouallimi, l’ambassadeur de l’Arabie saoudite à l’Onu. «C’est toujours d’actualité, nous y croyons et nous soutenons pleinement [le processus], malgré nos différends avec l’Iran», a aussi renchéri le chef de la diplomatie saoudienne Adel el-Jubeir. Côté iranien, on ne veut pas non plus apparaître comme celui qui ralentirait les négociations. Dans un communiqué, le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif, a souligné que son pays ne «ne permettr(a) pas aux actions saoudiennes d’avoir un impact négatif sur la résolution de la crise syrienne». Dans une lettre adressée à Ban Ki-Moon, le secrétaire général de l’Onu, Zarif a stipulé que l’Iran «n’(a) aucun désir ni intérêt de voir une escalade de la tension dans notre voisinage». «Nous devons tous être unis face aux menaces que des extrémistes continuent de faire peser sur nous tous», poursuit-il, sur un ton visiblement apaisant. Avant d’inviter Riyad à «faire un choix crucial: continuer à soutenir les terroristes extrémistes et à entretenir la haine sectaire, ou opter pour des relations de bon voisinage et jouer un rôle constructif en faveur de la stabilité régionale».
Dans le même temps, l’émissaire spécial pour la Syrie auprès des Nations unies, Staffan de Mistura, ne ménage pas ses efforts pour réconcilier les deux ennemis de toujours. «Le ministre saoudien des Affaires étrangères m’a assuré qu’il n’y aurait aucun impact de leur côté», a dit De Mistura devant la presse dans la capitale iranienne. «En Iran, on m’a fait la même promesse». Réponse le 25 janvier…

Jenny Saleh
 

Pas de négociation sans cessez-le-feu
Le coordinateur de l’opposition syrienne, Riad Hijab, a déclaré, lundi 11 janvier, qu’aucune négociation ne serait possible avec Damas tant que les forces étrangères poursuivraient les bombardements de la population. «Nous voulons négocier mais, pour cela, il faut que les conditions s’y prêtent», a déclaré Hijab, depuis Paris, à l’issue d’un entretien avec le chef de la diplomatie française Laurent Fabius.
«Nous ne pouvons pas négocier avec le régime alors qu’il y a des forces étrangères qui bombardent le peuple syrien. Il y a quelques heures, il y a eu un massacre à Injara dans le nord-ouest d’Alep», a-t-il indiqué. «Trois écoles ont été bombardées par les Russes. Plus de 35 enfants ont été tués, il y a des dizaines d’autres qui sont encore sous les décombres et des dizaines de blessés».
Le régime s’était déclaré, le 9 janvier, disposé à négocier, mais en posant certaines conditions. Walid Moallem, le ministre des Affaires étrangères syrien, avait insisté sur deux conditions indispensables à cette réunion, à savoir l’accès aux noms des différents représentants de l’opposition, mais aussi définir la liste de groupes considérés comme terroristes.

La charge de Mohammad Javad Zarif dans le New York Times
Le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, a publié une tribune dans le prestigieux New York Times où il explique le point de vue de Téhéran et les choix qui se posent aux dirigeants saoudiens. Il souligne, comme dans sa lettre adressée à Ban Ki-Moon: «Les dirigeants saoudiens doivent à présent faire un choix: ils peuvent continuer à soutenir les extrémistes et à encourager la haine confessionnelle, ou opter pour un rôle constructif pour la stabilité régionale». Le ministre des Affaires étrangères a également accusé Riyad d’avoir tenté de stopper l’accord nucléaire entre l’Iran et les grandes puissances et de nuire à toute tentative de dialogue dans la région. «Aujourd’hui, certains à Riyad continuent non seulement d’empêcher une normalisation, mais ils sont déterminés à entraîner la région tout entière dans l’affrontement», déclare-t-il, ajoutant que «la véritable menace globale est le parrainage actif par l’Arabie saoudite de l’extrémisme violent».
Par ailleurs, Zarif indique que les jihadistes appartenant à des mouvements comme l’Etat islamique sont surtout d’origine saoudienne, rappelant les attentats du 11 septembre ou la récente fusillade de San Bernardino, aux Etats-Unis. «Presque tous les membres de groupes extrémistes» sont soit des «Saoudiens, soit des personnes à qui des démagogues financés par les pétrodollars ont lavé le cerveau encourageant, pendant des décennies, les messages antimusulmans de haine et de confessionnalisme», lance-t-il.
Il profite également de cette tribune pour aborder l’attaque contre l’ambassade saoudienne à Téhéran, qui avait été dénoncée par le président iranien Hassan Rohani, assurant que des «mesures immédiates pour rétablir l’ordre, ainsi que des mesures disciplinaires contre ceux qui n’ont pas protégé l’ambassade», avaient été prises. Pas sûr que cette charge soit appréciée par les autorités saoudiennes.

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