Alors que l’émigration des jeunes qualifiés s’accélère, l’entrepreneuriat séduit de plus en plus de Libanais qui souhaitent rester au pays, tout en travaillant dans un domaine en adéquation avec leurs compétences.
A 21 ans à peine, Elsa Abi Khalil a eu de la chance. Elle vient tout juste de décrocher son premier emploi de chargée de développement au Liban et dans la région Mena pour une entreprise française qui promeut l’entrepreneuriat social. Diplômée de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) en Business et entrepreneuriat, la jeune femme ne pensait pourtant pas rester au Liban après ses études.
«J’ai trouvé ce poste un peu par hasard, par mon réseau, livre-t-elle. Quand j’ai eu mon diplôme cet été, je pensais quitter le pays comme la plupart de mes amis». Selon elle, au moins 60% de ses camarades de classe auraient aujourd’hui quitté le Liban pour l’Europe ou Dubaï. 20% seulement des élèves de sa promotion auraient trouvé un emploi au Liban.
«Dans ce contexte, je pense que les jeunes qui souhaitent construire un avenir au Liban et travailler dans un domaine en adéquation avec leurs qualifications n’ont d’autres choix que de lancer leurs propres affaires, considère la jeune fille. Le problème au Liban est qu’il est difficile de trouver des postes qualifiés et bien rémunérés, c’est pourquoi la plupart des jeunes talents quittent le pays. Par ailleurs, parce qu’il n’y a pas de système de retraite, les personnes âgées ont tendance à occuper plus longtemps leurs postes, laissant ainsi difficilement la place aux nouveaux entrants».
Aujourd’hui, si Elsa se sent «très épanouie» dans son travail, la frustration de vivre dans un pays où la plupart de ses amis ou des jeunes de son âge ne rentrent que pour les vacances se fait de plus en plus pesante. «Je pense qu’il est primordial d’aider les jeunes à rester au Liban, insiste-t-elle. Puisque nous avons beaucoup de problèmes dans notre pays, nous avons autant d’opportunités de trouver des solutions pour les résoudre et ainsi d’entreprendre».
De nombreux avantages
Son avenir, Elsa le voit au Liban à une seule et unique condition: celle de lancer son propre business. «C’est, pour moi, le seul moyen de pouvoir évoluer professionnellement dans mon pays».
La circulaire 331 émise par la Banque du Liban (BDL) en 2013 a contribué à améliorer l’écosystème entrepreneurial au pays du Cèdre. Cette dernière permet aux banques libanaises d’investir dans des start-up exerçant dans l’économie de la connaissance, tout en bénéficiant d’une garantie de leur exposition à au moins 75%.
Avec 400 millions de dollars mis à la disposition des start-up libanaises, la Banque du Liban a ainsi au moins multiplié par dix l’argent disponible pour leur financement. 250 millions de dollars ont ainsi déjà été investis depuis 2013.
A l’UK-Lebanon Tech Hub, une société d’accélération d’entreprises créée grâce au dispositif mis en place par la circulaire 331, une soixantaine de Libanais seraient déjà rentrés de l’étranger, l’année dernière, pour lancer leurs entreprises au Liban.
Parmi eux, Mario Rizk. A 34 ans, cet ingénieur civil a passé 16 ans à l’étranger. En 2015, il décide de rentrer au Liban pour lancer une innovation technologique qu’il préfère pour le moment garder sous silence.
Titulaire de la double nationalité franco-libanaise, le jeune entrepreneur aurait pu lancer sa start-up en France, mais a préféré bénéficier du nouvel écosystème mis en place par la Banque du Liban. «Démarrer une entreprise au Liban présente de nombreux avantages dont celui d’avoir accès à une main-d’œuvre qualifiée et de bon marché, explique-t-il. Lancer mon business au Liban me permet aussi de bénéficier de démarches administratives simplifiées».
Des opportunités au Liban
Comme Mario, Malik el-Khoury a été séduit par le nouvel écosystème entrepreneurial développé par la BDL. A 21 ans, ce Libanais de Belgique est revenu au Liban pour lancer la première école de programmation du pays, Le Wagon, toujours à l’UK-Lebanon Tech Hub. «Au Liban, il y a des opportunités qui n’existent nulle part ailleurs, car il y a encore tout à créer, en particulier pour un entrepreneur, s’enthousiasme le jeune homme. L’entrepreneuriat joue un rôle extrêmement important dans la création d’emplois parce que ce sont les start-up et petites et moyennes entreprises qui en créent le plus».
Selon une étude de la Banque mondiale publiée en 2014, «les jeunes entreprises et start-up auraient été les premières créatrices d’emplois au Liban. Tandis que les entreprises plus établies auraient tendance à moins recruter, les jeunes et microentreprises (entre 0 et 4 salariés), dans leurs phases de «lancement» (les quatre premières années) auraient créé quelque 66 000 emplois au Liban entre 2005 et 2010, avant même les initiatives lancées par la Banque du Liban pour soutenir l’entrepreneuriat. La seconde source de création d’emplois serait les jeunes «grandes entreprises» (comptant entre 200 et 999 employés) qui auraient créé 12 000 emplois sur la même période».
Si les start-up cherchent définitivement à recruter, elles doivent surmonter le cercle vicieux de l’émigration libanaise. «Sur les huit personnes que j’ai recrutées pour enseigner au sein de mon établissement, seules trois étaient libanaises, se désole Malik. Les talents ont émigré et il devient alors très difficile de trouver une main-d’œuvre expérimentée localement».
De nombreux obstacles restent ainsi encore à surmonter pour le développement de la scène entrepreneuriale libanaise. Parmi eux, le défi des infrastructures. «Si l’Etat n’est pas capable de fournir de l’électricité à l’ensemble du pays, ainsi qu’une connexion Internet décente, pourquoi ne crée-t-il pas au moins une zone franche pour inciter l’implantation des grandes entreprises au Liban? demande Mario. Aujourd’hui, il est devenu quasiment impossible pour les grandes sociétés de s’implanter à Beyrouth à cause du manque d’infrastructures».
Soraya Hamdan
Etre son propre patron
C’est bien connu, les Libanais ont le sens des affaires. Ils savent prendre des risques et trouver des opportunités dans les crises. Selon une étude menée par le site Bayt.com, 63% des Libanais souhaiteraient devenir entrepreneurs, tandis que 30% seulement préféreraient travailler comme employés au sein d’une société.
82% des résidants auraient même au moins un entrepreneur parmi leurs connaissances. Plus de la moitié des employés libanais seraient sur le point de lancer leurs propres affaires. Selon les interviewés, les principaux obstacles pour lancer une entreprise au Liban restent l’accès au financement (57%), l’incertitude quant à la rentabilité économique (54%) et la nécessité de trouver la bonne «wasta», le fameux piston (42%).