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Nº 3039 du vendredi 5 février 2016

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Les belligérants syriens «discutent» à Genève. Un processus difficile sans grandes illusions

Les discussions de paix visant à mettre fin au conflit syrien se sont officiellement ouvertes à Genève, lundi soir, après un suspense entretenu par la principale coalition de l’opposition. Régime et opposants ont désormais six mois pour parvenir à une solution, sous l’égide de l’Onu. Sur le terrain, la guerre fait rage et les attentats se poursuivent, comme celui revendiqué par Daech à Sayyeda Zeinab, qui a fait, dimanche 31 janvier, 70 morts et plus de 100 blessés.

Il s’en est fallu de peu, pour que ce nouveau round de pourparlers sur la Syrie ne meure avant même d’avoir commencé. Pourtant, les Nations unies ont officiellement annoncé le début des discussions de paix à Genève, lundi soir, après plusieurs jours de rebondissements. En cause notamment, la principale coalition de l’opposition, formée à Riyad en décembre dernier, qui a mis du temps et beaucoup de réflexion, avant d’accepter de venir participer à ces négociations indirectes. Le Haut-comité des négociations (HCN), qui regroupe des personnalités politiques et des représentants des groupes armés en Syrie, réclamait, avant toute participation, des améliorations notables sur le terrain, notamment de la situation des civils en Syrie. Le 27 janvier au soir, Riad Hijab, le chef du HCN, avait indiqué, depuis Riyad, qu’aucune participation ne serait envisagée tant qu’un accord autorisant l’aide humanitaire aux villes et villages assiégés ne serait pas trouvé.
Il aura fallu attendre dimanche, et une proposition de l’émissaire spécial des Nations unies, Staffan de Mistura, pour que l’opposition syrienne rassemblée au sein du HCN accepte, à reculons tout de même, de se rendre à Genève. Et ce n’est que lundi après-midi que le controversé négociateur en chef de la délégation de l’opposition, Mohammad Allouche, a finalement posé ses bagages avec son équipe, en Suisse. Il n’est autre que l’un des chefs de Jaïch el-Islam, un groupe armé salafiste ouvertement pro-saoudien, une organisation qualifiée de terroriste à la fois par le régime de Bachar el-Assad et par ses alliés russe et iranien.
Si la délégation du HCN et celle du régime, portée par son représentant aux Nations unies, Bachar Jaafari, se trouvent désormais toutes deux à Genève, une autre, en revanche, a déjà quitté le navire. Le Conseil démocratique syrien (CDS), constitué d’une alliance d’opposants kurdes et arabes, a finalement décidé de ne pas participer aux discussions. «Nous avons décidé de suspendre notre participation aux négociations tant que cinq délégués kurdes et un turcoman de notre liste n’auront pas reçu une invitation de la part du médiateur de l’Onu, Staffan de Mistura», a ainsi affirmé, lundi par téléphone à l’AFP, Haytham Manna, coprésident du CDS.
«Sur nos vingt noms, six ont été informés que leur participation sera examinée ultérieurement. Nous avons décidé à Genève avec nos amis kurdes, dont Saleh Muslim, le chef du principal Parti kurde syrien (PYD), de suspendre notre participation», a expliqué Haytham Manna. La participation des Kurdes aux pourparlers intersyriens est, en effet, au cœur d’une vive tension entre Moscou et Ankara, les Russes estimant qu’aucune négociation ne pourrait aboutir sans eux, tandis que la Turquie juge leur présence inacceptable, à cause des liens du PYD avec le PKK, sa bête noire.
Réunis à Genève, les deux principaux acteurs du conflit syrien s’engagent à parlementer sur le sort de la Syrie pour six mois. Six mois qui s’annoncent, d’ores et déjà, épiques et semés d’embûches, chaque partie campant sur ses positions.
Si la feuille de route fixée par la résolution 2254 des Nations unies − la première qui n’avait pas fait l’objet d’un veto russe − vise à mettre en place une autorité de transition avant l’organisation d’élections à la mi-2017, de nombreux obstacles devront être surmontés.
Pour le HCN, le premier préalable à toute discussion porte clairement sur les questions humanitaires et l’arrêt des bombardements. «Trois questions sont importantes pour nous, la levée des sièges, la libération de détenus et l’arrêt des attaques contre les civils par les bombardiers russes (alliés de Damas) et par le régime», a ainsi stipulé Salim el-Meslet, un des porte-paroles de l’opposition. Lundi soir, on apprenait que, dans un signe apparent de bonne volonté, le régime syrien avait donné son accord de principe à l’envoi de convois humanitaires dans la ville assiégée de Madaya, près de Damas, où 46 personnes seraient mortes de faim depuis décembre, ainsi qu’à Foua et Kafraya.
Autre pierre d’achoppement de ces pourparlers indirects, le sort du président Bachar el-Assad, qui avait été évacué de la résolution 2254. La France, le Royaume-Uni, mais aussi la Turquie et l’Arabie saoudite, en font une priorité, la Russie reste, à ce sujet, droite dans ses bottes. Bachar Jaafari, qui mènera les négociations pour le régime, a d’ailleurs souligné que «la résolution 2254, notre boussole dans les discussions indirectes, fait référence seulement à la gouvernance et non pas au gouvernement d’unité nationale». «Cela dit, le gouvernement syrien est favorable à la formation d’un gouvernement national élargi, comme une étape avant la phase finale, qui sera décidée par les Syriens à Genève, si jamais les discussions décollent convenablement et dans des conditions sérieuses. Chose qui n’a pas été prouvée jusqu’à maintenant par les soi-disant délégations – au pluriel – des oppositions», a-t-il tempéré.
Et ce ne sont pas les déclarations-choc de l’opposition, lancées lundi au sortir d’une réunion avec Staffan de Mistura, qui devraient apaiser le débat. «Le régime russe va créer un nouvel Hitler, nous souffrons d’un Hitler en Syrie», a lancé Salim el-Meslet. Quant au chef de la délégation du HCN, Mohammad Allouche, il a stipulé, à son arrivée à Genève, que l’opposition était «venu(e) pour trouver une solution», tout en accusant le régime de vouloir éliminer celle-ci.
L’émissaire spécial de l’Onu pour la Syrie aura donc fort à faire pour parvenir à concilier des positions qui paraissent irréconciliables, avec des acteurs qui ne se parleront de toute façon, pas en direct. Car durant les six mois à venir, ce sont des émissaires qui feront la navette entre les différentes parties, afin de trouver des points d’accord entre elles. Dès mardi, De Mistura devait rencontrer tour à tour chaque délégation. Un diplomate occidental présent à Genève résumait ainsi la situation à l’AFP. «Soyons réalistes. On vient de très loin, on a des gens qui ne se sont pas parlé depuis deux ans et, en deux ans, les horreurs ont continué et la situation a empiré».

 

Le régime avance partout
Autre facteur essentiel à prendre en compte, les développements militaires sur le terrain. Et depuis le début de l’intervention russe aux côtés du régime syrien, le rapport de force s’avère défavorable pour l’opposition. Elle a permis au régime de freiner l’avancée des rebelles − toutes formations confondues − et de reprendre des localités clés.
Depuis quatre mois, et alors qu’il avait enregistré des défaites cuisantes lors des précédents rounds de négociations, le régime de Bachar el-Assad a repris l’initiative sur le terrain, conforté par le soutien aérien russe, et celui, au sol, des supplétifs iraniens et du Hezbollah. En témoignent les cinq offensives simultanées lancées, depuis, par les forces loyalistes, à Lattaquié dans l’ouest, au sud et à l’est d’Alep (nord), autour de Damas et dans la province de Deraa. Sans oublier celles de Qoneitra, dans le sud, au nord et à l’est de Homs, dans la province centrale, ainsi qu’à Hama. Dans la province de Deir Ezzor, en revanche, l’armée syrienne reste sur la défensive face aux jihadistes de l’Etat islamique.
Priorité des priorités, car elle constitue une partie de la Syrie utile et abrite la base aérienne russe de Hmeimim, Lattaquié a fait l’objet d’intenses combats ces derniers mois. L’armée syrienne a réussi à reprendre les deux principaux bastions rebelles de Salma et de Rabiha, qui étaient défendus jusqu’alors par des islamistes turkmènes d’obédience turque, le Front al-Nosra et d’autres groupes rebelles. Le régime est à deux doigts de reprendre l’ensemble de la province, y compris les 15 kilomètres de frontière avec la Turquie, pourtant contrôlée par les rebelles depuis 2012. Kansabba devrait être la prochaine cible de l’armée dans la région, préalable obligatoire à la bataille de Jisr el-Choughour, qui constitue un verrou stratégique entre Idlib et Lattaquié.
La plus grande ville de Syrie, Alep, a aussi fait l’objet de batailles acharnées, au terme desquelles l’armée appuyée par le Hezbollah a reconquis 800 km2 et une soixantaine de localités. Avec comme résultats, le désenclavement des quartiers ouest de la ville même d’Alep, déjà sous son contrôle, ainsi que la lancée des combats à l’ouest de la ville. Autre victoire du régime, le 10 novembre 2015, la rupture du siège de l’aéroport militaire de Kweirès, encerclé par Daech depuis deux ans. L’armée loyaliste concentre désormais ses efforts sur el-Bab, à 22 km à l’est d’Alep, un des principaux bastions de l’EI en Syrie. En remontant vers le nord, elle pourra encercler les quartiers à l’est de la ville d’Alep, aux mains des rebelles.
Lundi, on apprenait que l’armée et ses supplétifs avaient pris le contrôle de Tall Jbine et Dweir el-Zeitoun, dans le nord de la province d’Alep, après des combats contre le Front al-Nosra et des groupes rebelles qui contrôlaient ce secteur depuis 2012. Tall Jbine, situé à 25 km au nord d’Alep, pourrait permettre au régime de contrôler deux villages que doivent emprunter les rebelles pour rejoindre le nord de la province, puis la Turquie. L’armée pourrait aussi faire la jonction avec les villages chiites de Nebbol et Zahra, où se trouvent 5 000 combattants progouvernementaux.
La province de Deraa a aussi fait l’objet de toutes les attentions. La prise de Cheikh Meskin, à 70 km de Damas, a permis au régime de couper les voies de ravitaillement entre le sud et l’ouest de la province de Deraa. Elle donne aussi un avantage à l’armée syrienne, dans la perspective de la prochaine bataille qui se tiendra au sud de la Syrie, et qui aura pour objectif de sécuriser sa frontière avec la Jordanie.
Enfin, à l’est de Damas, l’armée a repris l’aéroport de Marj el-Sultan et procédé, ces derniers jours, à l’encerclement du fief rebelle de Daraya, au sud de la capitale.
Seul échec enregistré par les forces gouvernementales, celui de l’offensive visant à reprendre la plaine stratégique d’el-Ghab, entre les provinces de Hama, au centre, et d’Idlib, au nord.
Toutes ces avancées du régime, qui a reconquis quelque 250 villes et villages depuis l’intervention russe, sur une superficie de 2 500 km2, devraient avoir un impact sur le processus qui s’ouvre à Genève. C’est sans doute aussi pour cela que l’opposition a quelque peu traîné des pieds pour se rendre en Suisse. Le régime devrait être peu enclin à faire des concessions, alors qu’il est en position de force.


70 morts à Sayyeda Zeinab
C’est dimanche 31 janvier, alors que les pourparlers n’étaient pas encore ouverts à Genève, qu’une triple explosion a provoqué la mort d’au moins 70 personnes et une centaine de blessés à proximité du sanctuaire chiite de Sayyeda Zeinab, dans la banlieue sud de Damas. Un attentat revendiqué par l’Etat islamique.
En fin de matinée, une voiture piégée a explosé devant un arrêt de bus, près de ce haut lieu du chiisme qui abrite le mausolée d’une des petites-filles du prophète Mohammad. A cette explosion se sont ajoutés deux kamikazes qui ont déclenché leurs ceintures d’explosifs, alors que des témoins se rassemblaient autour du lieu de la première détonation.
Ce n’est pas la première fois que le site est ciblé par les jihadistes, dont Daech. En février 2015, la mosquée avait fait l’objet d’une attaque suicide, faisant quatre morts et treize blessés. Un bus de pèlerins chiites libanais avait aussi été victime d’une explosion revendiquée par le Front al-Nosra, tuant neuf personnes.

Jenny Saleh

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