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Paul Khalifeh

Idées berceuses

La réunion entre Michel Aoun et Samir Geagea était prévisible, après six mois de discussions entre leurs représentants respectifs et, surtout, en raison des conseils prodigués par le Vatican. Elle casse l’angoissante routine dans laquelle se complaisait la vie politique libanaise. Sur un plan strictement chrétien, la rencontre Aoun-Geagea peut contribuer à solder un passif vieux de 25 ans entre les deux hommes, et, par conséquent, à apaiser les tensions latentes au sein de la communauté. A condition, bien entendu, que cette démarche ne reste pas orpheline et fasse l’objet d’un suivi assidu, à travers des initiatives au niveau de la base populaire des deux grands partis chrétiens. Les sceptiques dans les deux camps sont nombreux et ne croient pas au sérieux de cette réconciliation. Pour la renforcer, il faut prouver qu’ils ont tort.
La réconciliation personnelle entre Michel Aoun et Samir Geagea est certes importante mais elle n’est pas suffisante, car les deux hommes ne représentent pas uniquement leur auguste personne, mais deux projets politiques, qui s’opposent sur plusieurs points. Pour qu’elle soit solide et durable, l’entente doit donc comporter un volet politique. Le fait d’avoir signé une déclaration d’intentions est la preuve d’une volonté commune d’aller au-delà de la dimension personnelle de la relation. L’accord conclu entre les deux partis comporte des principes généraux, qui expriment effectivement les appréhensions des chrétiens. Mais ils ne dépassent pas le cadre d’idées, qu’il faut maintenant essayer de traduire en mesures concrètes afin d’initier un réel changement. Or, c’est là que le bât blesse. Car pour transformer en actes certaines des idées formulées, des réformes importantes sont nécessaires, ce qui déplaît fortement aux alliés respectifs des deux leaders chrétiens. Prenons par exemple l’accord sur la nécessité d’élire un président «fort» et «représentatif» au sein de sa communauté. En évoquant la question de l’élection présidentielle au Liban devant la délégation libanaise conduite par Tammam Salam, le roi Salmane d’Arabie saoudite a énuméré des critères qui s’appliquent plus à un président consensuel que représentatif. Les deux candidats «forts», à savoir Michel Aoun et Samir Geagea, sont donc exclus d’emblée de la course.
L’attitude des deux partis chrétiens vis-à-vis de la bataille des jurds de Ersal pourrait être une autre source de problème entre eux s’ils ne parviennent pas à gérer la question avec doigté. Michel Aoun estime prioritaire l’éradication des groupes terroristes, qui occupent quelque 400 kilomètres carrés du territoire national dans cette région. Il appuie le Hezbollah dans sa stratégie, y compris la décision du parti de mener lui-même la bataille si l’Armée libanaise n’obtient pas le feu vert du gouvernement. Samir Geagea, quant à lui, refuse d’accorder une quelconque couverture au Hezbollah et estime que seule l’armée est habilitée à défendre les frontières du pays. Toutefois, le Courant du futur, avec derrière l’Arabie saoudite, ne semble pas pressé d’enlever cette épine «jihadiste» du pied du Hezbollah et du gouvernement syrien.
On peut égrener comme cela, pendant des heures, les sujets qui séparent Michel Aoun et Samir Geagea, pour des raisons de politique locale ou à cause de leur positionnement régional.
Il en ressort que la rencontre entre les deux hommes est un développement nouveau, sans pour autant être un événement exceptionnel, susceptible d’initier des dynamiques inattendues. Sauf si les deux partis sont prêts à tourner le dos à leurs alliés… ce qui est fort improbable dans cette vie, comme dans l’au-delà.

Paul Khalifeh

 

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