Magazine Le Mensuel

Nº 3015 du vendredi 21 août 2015

general

Richard Bona. Une basse, une voix et l’envoûtement

Le temple de Bacchus a résonné, le dimanche 16 août, aux rythmes du bassiste, compositeur et chanteur, Richard Bona qui, accompagné de ses musiciens, a soufflé un air de chaleur jouissive sur Baalbeck.
 

Un bassiste en «frontman», Richard Bona est de cette rare trempe-là. Si la basse constitue en général l’élément de base, le groove de tout ensemble musical, ce soir-là, à Baalbeck, entre les mains de Richard Bona, elle semblait comme habitée par un esprit ensorceleur qui s’est propagé dans les airs du temple de Bacchus.
L’esprit peut-être en premier de son Afrique d’origine, son Cameroun natal; celui ensuite de son jeu à la basse, riffs ravageurs ou caresse des cordes, les doigts dévalant le manche; celui enfin de cette voix tellement particulière qu’il a, qui vous envoûte et vous tient suspendu dès le premier effluve, cette voix d’ailleurs, ce «gift of a golden voice» que chantait L. Cohen.
Face à un public de tout âge, Bona nous a offert un des plus beaux concerts de cet été, peut-être un peu plus court qu’on ne l’espérait, une heure seulement, mais d’une telle intensité que nous étions tous debout à la fin à danser et applaudir sans relâche.

 

Cette synergie indescriptible
Accompagné de magnifiques musiciens d’origines diverses, de New York, Rotterdam, Cuba, Brooklyn, un dialogue s’instaure entre la basse, la trompette, la guitare, la batterie, le piano et le synthé. Un dialogue musical et humain, respectueux de la spécificité et du son de chacun, et tout en respect du maître à la fois.
Détendu, en tenue décontractée, un bandeau blanc noué autour du front à l’africaine, Richard Bona s’amuse à dialoguer avec le public, le poussant à chanter un refrain en alternance avec lui, dissertant sur le hummus libanais, plaisantant: «C’est vrai, j’ai oublié, il n’y a pas de femmes de plus de 40 ans au Liban», quant à son appel en ce sens, à peine quelques voix féminines se sont élevées.
Progressivement, rapidement, peut-être avait-il semblé méfiant au départ, ou juste pour s’assurer de la chaleur de l’audience, la fièvre monte sur les gradins et sur scène. Les instruments se contorsionnent pour soulever des rythmes empreints d’un groove jubilatoire, la voix se fait encore plus pure, d’autant plus chargée d’émotion que les textes en africain, sans nul besoin de compréhension, se propagent comme une mélopée de sensations mises à nu.
Le temps d’un face-à-face avec le public, les musiciens s’éclipsent laissant Bona seul sur scène, lui-même mettant sa basse de côté. Entre le «black box made in Baalbeck» dont il nous parle, placé à ses pieds, une espèce de machine beatbox à nuances de vocalises et multiples sonorités, il entonne une chanson a capella. Le silence pour mieux plonger dans les miroitements vocaux d’un talent internationalement salué.
Les musiciens rejoignent la scène, un hommage à Jaco Pastorius, ce grand génie de la basse au destin tragique. Et la soirée se poursuit en duels ludiques entre les musiciens, basse et trompette d’un côté, basse et guitare de l’autre. De tels duels auxquels ne se prêtent généralement les musiciens que quand la synergie est telle qu’elle nous dépasse, entre eux d’abord, avec nous ensuite. Jusqu’à l’éclatement final. S’ils ne reviennent pas sur scène en «encore», Bona nous annonce une dernière chanson, à condition de danser. Voilà que le public se lève d’un bond, pour rejoindre en déhanchements et applaudissements ceux qui avaient déjà installé une petite piste de danse, quelques pas plus loin, dans les allées encadrant les gradins. Quelques minutes d’extrême bonheur pour un public déjà content de prendre part au Festival international de Baalbeck, à Baalbeck même. Sous un tonnerre d’applaudissements, les musiciens quittent la scène. Et nous partons, des rythmes plein la tête.

Nayla Rached

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