Signe de la proximité d’un accord sur le dossier du nucléaire iranien, le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, reste à Lausanne, pour poursuivre les négociations avec ses homologues des 5+1 et l’Iran. Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius est, quant à lui, revenu mercredi soir, estimant que «les derniers mètres sont les plus difficiles». Très âpres, les discussions avec l’Iran continuaient d’achopper sur la levée des sanctions contre l’Iran, que Téhéran espère immédiates, ainsi que sur la recherche et le développement. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, avait appelé les grandes puissances à «saisir le moment et l’opportunité (d’un accord) qui ne se répétera peut-être pas».
Malgré la date butoir du 31 mars à minuit pour aboutir à un accord préliminaire de quelques pages sur le nucléaire iranien, les négociateurs présents à Lausanne depuis une semaine ont décidé de poursuivre leurs discussions. Le signe incontestable qu’un accord est réellement en bonne voie et qu’il ne resterait plus que quelques détails à peaufiner. C’est en tout cas ce que les dernières déclarations du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, laissaient supposer. Dans la nuit de mardi à mercredi, il affirmait qu’«on peut dire avec suffisamment de confiance que les ministres (des Affaires étrangères) sont parvenus à un accord de principe sur tous les aspects-clés d’un règlement de ce dossier». Visiblement optimiste, il espérait que «ce sera couché sur papier au cours des prochaines heures, peut-être dans la journée». Et Lavrov d’ajouter que l’annonce de «l’accord de principe» serait faite par son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif et son homologue européenne, Federica Mogherini.
Avec ou sans accord préliminaire, «les détails techniques seront finalisés par les experts avant fin juin», l’autre date butoir pour parvenir à un accord sur le dossier du nucléaire iranien et mettre ainsi fin à une crise de 12 ans. Même son de cloche justement de la part de Zarif qui déclarait, mardi soir à la presse, que «de bons progrès ont été accomplis dans les discussions».
Mais cet optimisme de Lavrov et Zarif n’était pas partagé par tous. Un diplomate a ainsi déclaré, de manière anonyme à l’agence Reuters, qu’il n’était pas vrai que l’accord était en passe d’être finalisé. «Toutes les questions n’ont pas été réglées», a renchéri un autre diplomate américain. Histoire de brouiller un peu plus les cartes quant à l’issue des négociations, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, quittait Lausanne pour rentrer à Paris tôt mercredi matin, son cabinet annonçant qu’il «reviendr(ait) dès que ce sera utile». «Il n’est toujours pas clair s’il y aura un accord», ajoutait de son côté un diplomate allemand qui qualifiait également l’atmosphère des négociations de «changeante». Le flou s’était encore accru mercredi matin avec l’annonce du départ de Sergueï Lavrov pour Moscou, alors que les discussions devaient reprendre, et l’appel de la Chine aux deux parties à «rapprocher leurs positions pour parvenir à un accord (…) et donner une impulsion politique plus forte», mercredi matin.
Dans tous les cas de figure, le bras de fer qui oppose, depuis des années, les puissances du Conseil de sécurité et l’Allemagne à l’Iran, est loin d’être remisé au placard. L’objectif des négociations est pour les 5+1 d’obtenir un «break out time», c’est-à-dire une limitation du programme d’enrichissement d’uranium de l’Iran afin que le pays ne soit pas en mesure de produire une arme atomique. Ce délai serait approximativement d’une durée d’un an au moins afin de permettre aux grandes puissances de se rendre compte si Téhéran a l’intention oui ou non de s’orienter vers la fabrication d’une bombe nucléaire. Et dans l’affirmative, de réagir en détruisant les infrastructures nucléaires iraniennes.
Pour obtenir ce break out, les 5+1 ont inclus dans les négociations plusieurs paramètres: le nombre de centrifugeuses, le type de modèles utilisés ou encore la quantité de stocks d’uranium exportés.
Face à Téhéran, resté intransigeant sur certaines positions, les 5+1 ont dû se résoudre à abaisser quelque peu leurs exigences, accroissant les craintes d’Israël. Car les six pays négociateurs étaient initialement déterminés à démanteler complètement le programme nucléaire iranien, malgré les déclarations iraniennes d’une utilisation de l’atome à des fins civiles uniquement. Si les discussions se sont poursuivies, la méfiance est en revanche de mise entre les deux parties. Car depuis le début des négociations, en 2003, l’Iran a plusieurs fois effectué des volte-face, en dissimulant notamment les sites de Fordo et Natanz.
Break out time
Le week-end dernier, d’ailleurs, l’Iran est de nouveau revenu sur l’un des points-clés de l’accord en gestation, à savoir l’exportation de son uranium enrichi en Russie. Remettant ainsi en cause le fragile équilibre des négociations. Alors qu’il s’était engagé depuis des mois sur ce sujet, qui est un détail majeur de l’accord, l’Iran a fait marche arrière. «Nous n’avons pas l’intention d’envoyer les stocks d’uranium enrichi (soit environ 8 000 tonnes, ndlr) à l’étranger. Mais il y a d’autres solutions pour créer la confiance concernant ces stocks, pour lever les inquiétudes à propos de toute utilisation autre que pacifique. Nous en avons discuté et nous sommes presque parvenus à une solution, mais il est hors de question d’envoyer ces stocks à l’étranger», expliquait le négociateur iranien Abbas Araghchi.
Un éventuel break out time pourrait s’appliquer tout au long d’un accord final, dont la durée de vie serait, elle, d’au moins dix ans. Les Occidentaux avaient souhaité qu’elle soit de 15 ans, rencontrant l’hostilité des Iraniens qui insistent sur 10 ans tout au plus, pour pouvoir développer ensuite leur programme sans restriction.
La communauté internationale a dû, face à l’Iran, faire des concessions. Au vu de la progression de Téhéran sur le processus d’enrichissement, passé de 3,5% en 2006 à 20% en 2010, les 5+1 n’ont finalement plus réclamé l’arrêt de l’enrichissement à 3,5%, mais accepté 5%, avant de se focaliser sur l’arrêt de celui-ci à 20%. Concernant le nombre de centrifugeuses − dont 10 200 sur
19 000 seraient opérationnelles −, les Occidentaux espèrent le ramener à 6 000. A ces paramètres s’ajoute une autre inquiétude. Certains négociateurs occidentaux des 5+1 font valoir, selon l’agence russe Sputnik News, «que les limitations quantitatives d’uranium enrichi ne signifient rien si l’accord ne prend pas en compte les progrès technologiques enregistrés par l’Iran d’année en année». Le 7 mars, Ali Akbar Salehi, chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, a déclaré que «l’Iran allait continuer avec force la recherche et le développement», pour développer de nouvelles centrifugeuses, plus puissantes et plus modernes, notamment la centrifugeuse de type IR-8, quinze fois plus puissante que les appareils actuels. De l’aveu même d’un des négociateurs iraniens présents à Lausanne, la question de la recherche et du développement constituait l’un des principaux points d’achoppement. Les Occidentaux et Israël craignent, en effet, que le développement de telles centrifugeuses permette à l’Iran de réduire le fameux break out time.
Autre point-clé de l’accord, le profil des sites nucléaires que Téhéran serait autorisé à maintenir en activité. Natanz et Fordo devraient poursuivre leurs activités d’enrichissement, d’autant que le dernier est enfoui sous une montagne et donc impossible à détruire militairement. Il y aurait à Fordo pas moins de 3 000 centrifugeuses dont 700 en activité.
De même, le réacteur à eau lourde d’Arak, à visée médicale, est dans la balance. Les 5+1 souhaitaient le voir transformer en réacteur à eau légère, pour éviter que ne soient produits 10 kg de plutonium par an, suffisants pour produire une bombe. Téhéran a, de son côté, proposé de réduire la production à
1 kg par an dans l’immédiat, pour rassurer ses interlocuteurs. En revanche, l’accord envisagé aurait pour effet de garantir «le plein droit de l’Iran à l’énergie nucléaire avec des objectifs pacifiques», en conformité avec le traité sur la non-prolifération nucléaire, signé par l’Iran.
Autre volet crucial de l’accord, le contrôle par l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA) des sites nucléaires iraniens, avec notamment la signature par l’Iran du protocole additionnel permettant des inspections inopinées des installations. Un texte déjà signé par la République islamique en décembre 2003 et appliqué jusqu’en février 2006, puis remis en cause après l’envoi de son dossier devant le Conseil de sécurité de l’Onu.
Obstacles en cascade
Pour l’Iran, les enjeux d’un accord potentiel sont énormes. La signature d’un accord entraînerait, pour le pays, une levée des sanctions imposées conjointement par les Etats-Unis, l’Union européenne et les Nations unies, qui étouffent le pays économiquement parlant. Téhéran souhaite une levée totale de ces sanctions, alors que les P5+1 tablent sur un allègement progressif. Les sanctions européennes et américaines, portant sur les volets financier et pétrolier, pourraient ainsi être levées rapidement, tandis que celles de l’Onu seraient arrêtées graduellement, au fil des inspections de l’AIEA. En outre, l’Iran réclame l’annulation pure et simple des sanctions onusiennes adoptées dans le cadre de six résolutions du Conseil de sécurité. Selon Hamid Baïdinejad, de nombreux points relatifs aux sanctions auraient déjà été résolus.
Aux Etats-Unis, si l’opinion américaine semble plutôt favorable à un accord, c’est sur le plan politique que le bât blesse. Très hostile à un «mauvais texte», le Congrès américain se fait menaçant et pourrait tout faire capoter. Les opposants républicains de Barack Obama − qui avaient envoyé une lettre incisive au guide la Révolution Ali Khamenei il y a quelques semaines −, pourraient retoquer l’accord lors d’un vote organisé au Congrès le 14 avril, s’ils estiment qu’il n’est pas assez solide.
Un «mauvais accord» rencontrerait également l’hostilité des alliés traditionnels des Américains, les pays sunnites du Golfe. L’Arabie saoudite ne cache plus son intention de rentrer dans le club fermé des puissances nucléaires et les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) pourraient faire pression sur leurs alliés occidentaux.
Un mauvais accord pourrait aussi susciter le mécontentement à l’intérieur même de l’Iran et être torpillé de l’intérieur s’il est jugé trop contraignant par les ultraconservateurs.
Si un accord préliminaire n’était pas trouvé mercredi, cela ne signifie pas pour autant la fin des négociations. Les parties concernées ont encore jusqu’au 30 juin pour accorder leurs violons.
Jenny Saleh
Espionnage et déclarations
Bête noire de Benyamin Netanyahu depuis des années, la République islamique est restée ces derniers jours au centre des déclarations du Premier ministre israélien. Inquiet de l’imminence d’un accord, il est littéralement sorti de ses gonds, déclarant que «le dangereux accord négocié à Lausanne confirme toutes nos inquiétudes, voire même au-delà. Cet accord permettrait à l’Iran de conquérir le Moyen-Orient».
Israël ne ménagerait pas ses efforts pour lutter contre un accord, comme l’ont montré les récentes accusations de Wall Street Journal. Selon le quotidien américain, qui s’appuie sur plusieurs sources de responsables américains, l’opération israélienne consistait à infiltrer les discussions, dans l’objectif de constituer un dossier pour faire obstacle aux termes de l’accord. Selon le WSJ, Israël aurait posé des micros, obtenu des informations de briefings américains confidentiels, mais aussi d’informateurs et de contacts diplomatiques en Europe.
Déjà en froid avec Netanyahu, la Maison-Blanche a montré son irritation devant cette révélation. «C’est une chose pour les Etats-Unis et Israël de s’espionner mutuellement. C’en est une autre qu’Israël aille voler des secrets aux Etats-Unis et les fasse écouter à des élus américains pour saper la diplomatie américaine», aurait regretté un haut diplomate US, cité par le WSJ. Car en plus d’espionner les négociations, l’Etat hébreu aurait communiqué ses informations à des élus américains, en vue de saborder l’accord via le Congrès. Quoi qu’il en soit, le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a démenti ces informations.