On ne peut pas parler d’art et de peinture sans évoquer Paul Guiragossian qui, malgré sa disparition à l’âge de 68 ans, a laissé son empreinte dans le monde de la peinture. Après lui, ses enfants ont repris le flambeau et créé la Fondation Paul Guiragossian pour préserver et promouvoir son héritage.
Paul Guiragossian est né, en 1925, à Jérusalem de parents qui ont survécu au génocide arménien. Très jeune, il connaît les conséquences de l’exil. Il a grandi dans des pensionnats, loin de sa mère qui devait travailler pour assurer l’éducation de ses deux fils. De sa fenêtre, le jeune Paul observait les enfants qui jouaient au cerf-volant. On lui demandait souvent de les leur dessiner, car il exécutait les plus beaux dessins, très vivants et pleins de couleur. C’est à ce moment qu’il réalisa qu’il possédait un talent que les autres n’avaient pas et l’art devint pour lui un besoin indispensable. «Quand j’étais enfant, les gens autour de moi parlaient en différentes langues. Je me demandais alors: qui suis-je? Et dans quelle langue devrais-je m’exprimer moi-même: en arménien, en arabe ou en français? Finalement, j’ai compris que mon premier langage est la peinture: je devrais seulement m’exprimer à travers la peinture, et rien d’autre», disait-il.
Au début des années 1940, il déménage avec sa famille à Jaffa et s’inscrit au studio Yarkon pour assouvir sa passion pour la peinture. Ce n’est qu’à la fin de 1947 que la famille s’installe définitivement au Liban. Dans les années 1950, il enseigne l’art dans plusieurs écoles arméniennes et travaille comme illustrateur.
En 1952, il épouse Juliette Hindian, elle-même peintre et qui fut une de ses étudiantes. De leur union, six enfants sont nés: Silva, Emmanuel, Araxie, Jean-Paul, Ara et Manuella. Ara succombe peu après sa naissance à une maladie. En hommage à cet enfant disparu trop tôt, Paul Guiragossian peindra plusieurs toiles.
En 1956, il obtient le premier prix d’une compétition de peinture qui lui valut une bourse offerte par le gouvernement italien afin d’étudier la peinture à l’Academia di Belle Arte di Firenze (L’académie des beaux-arts de Florence). En 1962, il obtient une nouvelle bourse, cette fois du gouvernement français pour étudier et peindre dans Les Ateliers des maîtres de l’Ecole de Paris.
Au milieu des années 60, Paul Guiragossian devient l’un des peintres les plus célébrés au Liban et dans le monde arabe. En 1989, il expose dans la Salle des pas perdus de l’Unesco, à Paris, et finit par s’installer dans la Ville lumière avec une partie de sa famille jusqu’en 1991. Entre 1989 et 1991, Paul Guiragossian a peint la plus grande partie de ses chefs-d’œuvre. A la fin de l’année 1991, il expose à l’Institut du monde arabe jusqu’au début de l’année 1992.
Le dernier tableau
Paul Guiragossian est décédé, le 20 novembre 1993, après avoir achevé un dernier tableau qu’il a présenté à sa famille comme sa meilleure œuvre. «J’ai finalement accompli tout ce que j’ai toujours espéré, réunissant l’ancien et le nouveau en un seul tableau». Jusqu’aujourd’hui, cette toile demeure non signée et fait partie de la collection de la famille Guiragossian.
Dans un entretien avec les deux commissaires d’une rétrospective de l’œuvre de Guiragossian, qui a eu lieu au Beirut Exhibition Center en 2013, Sam Bardaouil et Till Fellrath confient: «Paul Guiragossian développe non seulement un style unique de peinture qui n’appartient qu’à lui, mais est aussi un visionnaire dans la manière dont il perçoit la modernité narrative du monde arabe… Il a laissé aussi derrière lui l’idée de l’universalité de l’art et celle de l’humanité commune à laquelle nous appartenons tous».
Ayant vécu l’exil et la perte d’êtres chers, c’est l’être humain avant et contre tout qui transparaît dans les œuvres de Guiragossian. Il a compris ce que voulait dire être en marge de la société. Il a expérimenté la perte d’un foyer et d’êtres aimés à un jeune âge et ceci l’a marqué dans sa recherche constante de la pureté dans le monde humain. Son œuvre reflète sa recherche et la promotion de la condition humaine dans toutes ses facettes, ses impuretés et ses réalisations.
«J’ai regardé autour de moi et j’ai peint les images et les faces expressives que j’ai rencontrées dans ma vie et que j’ai tendrement aimées: je me suis peint, j’ai peint mes enfants, ma femme, mes voisins, mon peuple et la rue dans laquelle j’ai vécu». Ces quelques mots résument toute la vision artistique de Paul Guiragossian.
Joëlle Seif