Dix-sept jours après le début du délai constitutionnel pour l’élection présidentielle, l’image s’est quelque peu éclaircie, mais pas assez pour apporter des éléments de réponses décisives sur la tournure que prendra l’échéance présidentielle. Magazine vous propose le scénario le plus probable.
Au vu des prises de position des acteurs concernés, au Liban et à l’étranger, et des informations qui circulent dans les coulisses et les chancelleries, l’ébauche d’un scénario de l’élection présidentielle commence à se dessiner. Cependant, il n’est pas définitif et reste tributaire de nombreux changements, qui peuvent aller dans des directions totalement opposées.
Au niveau des candidatures, seul le chef des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, a officiellement annoncé son intention de briguer la présidence. Fidèle au discours politique qu’il tient depuis des années, son programme présidentiel s’articule autour de l’idée que le Hezbollah constitue le principal obstacle à l’édification d’un Etat fort et souverain. Ce qui en fait un candidat de défi.
M. Geagea a pris soin de préciser qu’il est, à ce stade, le candidat des FL et ambitionne de devenir celui du 14 mars. Cela signifie que l’un des objectifs de sa candidature est de mettre ses partenaires et ses alliés devant le fait accompli, en rendant difficiles d’autres candidatures issues de son propre camp politique. L’autre objectif étant de barrer la route à la candidature du chef du Courant patriotique libre (CPL), Michel Aoun.
Les caractéristiques de Raï
Ce dernier n’a pas encore officialisé sa candidature mais a exprimé, à plusieurs reprises, son intention d’entrer dans la course. Contrairement à M. Geagea, qui se positionne dans le prolongement du «14 mars des origines», le général Aoun cherche à se forger l’image d’un candidat ouvert à toutes les parties, y compris à ses adversaires d’hier. Les membres de son parti et de son bloc parlementaire ont mis une sourdine à leurs critiques contre le Courant du futur et évitent de s’aligner trop brutalement sur les positions du Hezbollah. Cela suffira-t-il à en faire un candidat de consensus? Lui pense que oui. Mais ses adversaires assurent que non et certains de ses alliés sont dubitatifs.
Devant les deux poids lourds de la communauté, les autres candidats maronites – ô combien nombreux – ont préféré ne pas se jeter dans l’arène. Discrets, ils se tiennent en embuscade, attendant des jours meilleurs, convaincus que c’est dans leurs rangs que le futur président sera finalement choisi. En effet, l’élection de M. Aoun ou de M. Geagea à la présidence paraît semée d’embûches, bien que ces deux personnalités chrétiennes soient les plus représentatives au sein de leur communauté.
Les alliés de M. Geagea n’ont pas fait preuve d’un enthousiasme particulier vis-à-vis de sa candidature que le Courant du futur n’avait toujours pas commentée officiellement près d’une semaine après son annonce.
De même, les partenaires du général Aoun n’ont pas exprimé publiquement leur appui au chef du CPL. Le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, a laissé planer le doute sur ses intentions, en affirmant, dans une interview fleuve accordée à as-Safir, en début de semaine, que son parti annoncerait le nom de son candidat en temps voulu. Le président du Parlement, Nabih Berry, refuse, pour sa part, d’entrer dans le jeu des noms à ce stade. Cependant, dans les milieux du Hezbollah, on affirme que Michel Aoun est le candidat du parti. Et dans les cercles aounistes, on évoque des «messages positifs» envoyés par M. Berry.
Mais la douche froide est surtout venue du côté de Bkerké. Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, qui a fait de la lutte contre le vide son principal combat, a poussé vers l’avant la charrue de la présidentielle, en fixant les caractéristiques du futur président.
Selon lui, le Liban a besoin d’un président «fort», mais sa conception de la «force» est différente de celle de MM. Aoun et Geagea. «(Le président fort) se distingue par sa moralité et l’exemplarité de sa conduite personnelle et professionnelle», a-t-il dit, avant d’ajouter: «Un président qui soit capable de consolider l’Etat, ses institutions, son unité et sa souveraineté, de défendre la Constitution, le pacte national et les constantes (…) capable de lutter contre la corruption, les détournements de fonds publics et le pillage du Trésor».
En lisant bien entre les lignes, on comprend qu’aux yeux de Bkerké, le prochain locataire de Baabda doit être accepté de tous les Libanais, afin de préserver «l’unité» de l’Etat et des institutions. Il ne peut donc appartenir – du moins ostensiblement – à l’un des deux camps politiques rivaux du pays.
On remarque aussi que le prélat privilégie la dimension économique, qui semble primer sur les considérations sécuritaires, ce qui a poussé certains observateurs à décrypter dans les propos de Mgr Raï un refus de voir accéder à la première magistrature de l’Etat le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi.
Pressions sur Berry
Dans le même temps, le patriarche maronite met en garde contre le vide, qui constitue, selon lui, un mal absolu et une menace existentielle pour le Liban. Il martèle que l’élection présidentielle doit avoir lieu à la date prévue, appelant à bannir le terme «vide» qui ne doit «pas exister ni dans notre vocabulaire ni dans nos esprits», a-t-il dit le 21 mars. A la fin de la semaine dernière, il réaffirmait: «Parler de vide, insinuer que certains y travaillent à des fins inavouées, c’est faire affront à la dignité de la patrie et du peuple. C’est un aveu d’impuissance de la part des députés et des responsables. Assurer le quorum et élire un président est un engagement à la fois national et éthique».
Il est rejoint en cela par les Etats-Unis, qui ont fait du respect des délais constitutionnels leur principale préoccupation. Lors d’une audition devant la sous-commission de la Chambre de représentants pour le Moyen-Orient (placée sous le thème des défis sécuritaires du Liban et les intérêts des Etats-Unis), le secrétaire d’Etat-adjoint pour les Affaires du Moyen-Orient, Lawrence Silverman, a déclaré lundi: «Le défi politique (auquel le Liban est confronté) est l’élection d’un président de la République. Les Etats-Unis ont informé toutes les parties concernées au Liban de leur position ferme sur la nécessité d’organiser l’élection dans les délais. Nous souhaitons que les considérations qui ont poussé les hommes politiques libanais à former un nouveau gouvernement les poussent également à éviter le vide à la présidence, qui est la plus haute fonction occupée par les chrétiens au Liban».
Soumis à toutes ces pressions aussi bien internes qu’externes, Nabih Berry ne peut plus reporter longtemps la séance parlementaire de l’élection présidentielle. Sur le plan personnel, il préfèrerait ne pas convoquer cette séance tant qu’un accord n’est pas intervenu sur le nom du futur président. Mais il assumerait, et avec lui l’ensemble de la communauté chiite, l’échec du processus électoral, ce qu’il veut à tout prix éviter.
M. Berry a déjà reçu le rapport de la Commission parlementaire de contact, qu’il a dépêchée auprès des différents blocs et partis politiques, ainsi qu’à Bkerké, pour des consultations au sujet de l’échéance présidentielle. Le texte aboutit à la conclusion que tous les blocs se sont engagés à garantir le quorum réglementaire des deux tiers pour la tenue de la séance. Celle-ci devrait être convoquée les dix prochains jours, probablement le 22 ou le 23 avril.
Le scénario de la séance
Mais cela ne signifie pas que l’élection présidentielle se déroulera sans écueils et que le Liban aura un nouveau président à l’issue de cette séance.
Les choses vont probablement se passer selon un scénario dont les contours commencent à être clairement définis.
Le quorum atteint, le président Nabih Berry annoncera l’ouverture de la séance. Après la lecture des articles de la Constitution relatifs à l’élection présidentielle, ainsi que les clauses du règlement interne, il déclarera ouverte la séance électorale. L’urne passera dans l’hémicycle et les députés y glisseront leurs bulletins.
Le 8 mars élira Michel Aoun et le 14 mars Samir Geagea. Ils obtiendront à peu près le même score, entre 55 et 60 voix chacun, loin des 85 voix nécessaires pour être élus dès le premier tour.
De nombreux députés des deux blocs quitteront alors la salle, officiellement pour des consultations visant à obtenir le retrait de l’un des deux candidats ou un accord sur un candidat consensuel. Walid Joumblatt et la poignée de centristes seront courtisés par tout le monde (voir encadré).
Les consultations traînent en longueur et en accord avec les principaux blocs, Nabih Berry constate le défaut de quorum et lève la séance. Il fixe une autre date pour une nouvelle séance. Le quorum réglementaire reste les deux tiers, mais le président sera élu à la majorité + 1, c’est-à-dire 65 députés.
Avec ses huit voix en or, Walid Joumblatt sait qu’il peut faire pencher la balance. Or, le seigneur de Moukhtara a déjà fait savoir à l’ambassadeur des Etats-Unis, David Hale, qu’il ne voterait ni pour Geagea ni pour Aoun, mais pour un candidat consensuel.
Les blocs chrétiens refuseront que le président de la République leur soit imposé et n’accepteront pas de participer à la séance. Constatant que la réunion ne remplit pas les conditions du pacte national (l’absence de l’une des composantes essentielles du pays), Nabih Berry ne procède pas à l’élection… et le vide s’installe à Baabda.
Certes, rien n’est dit d’avance et d’autres scénarios sont envisageables. Certains aboutissent au vide, d’autres à des situations des plus invraisemblables…
Paul Khalifeh
Avis partagés au Moustaqbal
Dissensions au sein du Moustaqbal entre les faucons et les colombes sur fond du dossier présidentiel. Alors que les durs souhaitent appuyer un candidat qui partage leur ligne politique, l’autre aile est plus favorable au consensus. Selon des sources, certains parlementaires du Bloc du Moustaqbal soutiennent la candidature de Samir Geagea, alors que d’autres ont, d’ores et déjà, pris contact avec des candidats jugés consensuels. D’autres encore ont prévenu le président Saad Hariri qu’ils ne sont pas disposés à adopter l’option Aoun. L’ancien Premier ministre va donc très bientôt devoir prendre une décision au sujet de la candidature du Dr Geagea. La tendance, selon les mêmes sources, serait à l’accréditation du chef des FL pour, entre autres, faire parvenir un message clair aux alliés chrétiens, selon lequel le Futur ne sera pas partie prenante d’un bazar qui permettra l’accession d’un président «non fort» au pouvoir.
Les forces en présence
La répartition des forces au Parlement est la suivante:
♦ 14 mars: 58 députés.
♦ 8 mars et CPL: 57 députés.
♦ Bloc Joumblatt: 8 députés.
♦ Centristes: Najib Mikati, Mohammad Safadi, Ahmad Karamé, Nicolas Fattouche et Michel Murr.