La loi sur les anciens loyers, la manière de la faire évoluer et les conséquences d’une modification de cette loi ont toujours été sujets à débat. Aujourd’hui, et après plusieurs années de lutte, le Parlement ouvre enfin les tiroirs et se décide à adopter le projet de loi sur la libéralisation des anciens loyers. Entre craintes justifiées des locataires et justice rendue aux propriétaires, où se situe ce projet de loi?
A la fin de la guerre civile, en juillet 1992, les décrets-lois n°159 et 160 sur les «anciens loyers» «gèlent» les contrats de location signés avant cette date. Ces décrets ne tiennent compte alors ni de l’inflation, ni de l’évolution des prix du marché, ni de l’effondrement de la livre libanaise pendant la guerre, s’opposant ainsi à la Constitution qui, dans son préambule, paragraphes c et f, prévoit la justice sociale, l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens, et qui stipule que «le régime économique est libéral et garantit l’initiative individuelle et la propriété privée». De même, dans l’article 15 de la Constitution, il est dit que «la propriété est sous la protection de la loi». Or, les effets de la loi de 1992 se manifestent de telle manière que, jusqu’aujourd’hui, le propriétaire est «injustement payé», selon Georges Rabahié (président du comité des propriétaires des anciens loyers). «Certains appartements de 300 m2, situés au cœur d’Achrafié, sont loués à 150 dollars l’année, ce qui, de nos jours, est impensable avec tous les nouveaux appartements dont le prix de location s’élève parfois à 3 000 dollars par mois», précise-t-il. «Cela ne veut en aucun cas dire que cette dernière extrême relève de la logique, mais le propriétaire soumis à la loi de 1992 a le droit de jouir des droits qui lui ont été enlevés», ajoute Georges Rabahié.
D’autre part, et à la suite de l’effondrement de l’immeuble dans le quartier de Fassouh, le 15 janvier 2012, le propriétaire est obligé de restaurer ses bâtiments, pour assurer la protection aux locataires. En contrepartie, ces derniers sont obligés de payer la juste somme de location pour un rapport plus correct vis-à-vis du propriétaire qui, à son tour, sera en mesure de participer au processus de renouvellement urbain et rural.
Dans un troisième temps, un régime économique dit «libéral» devrait garantir au propriétaire le droit de fixer le prix qu’il souhaite pour la location de ses propriétés. Or, la loi de 1992 n’est pas, dans ce même ordre d’idées, conforme à l’article 15 de la Constitution.
Autre point important en ce qui concerne la loi de 1992, c’est lorsque le locataire devient une sorte de propriétaire. La loi stipule effectivement la possibilité de transmettre le droit d’occupation aux membres de la famille du locataire.
Aussi, d’après la loi de 1992, les anciens contrats ne peuvent être rompus que dans deux cas de figure seulement:
♦ L’utilisation du bien par le propriétaire ou un membre de sa famille.
♦ La destruction du bâtiment
Mais dans chacun de ces deux cas, toute rupture du contrat entraîne une indemnisation des locataires allant de 25 à 50% de la valeur de l’appartement. «Nous ne pouvons pas parler d’indemnisation du locataire», martèle Samir Jisr, député de Tripoli. «L’indemnisation concerne, juridiquement parlant, une personne qui a subi des dommages. Or, le locataire libanais n’a subi le long de quarante années aucun dommage. Il a habité quasi gratuitement une demeure dont n’a pas pu bénéficier son propriétaire. C’est à ce dernier qu’on doit des indemnisations», explique-t-il.
La valeur locative
La loi prévoit une augmentation de la valeur locative des biens immobiliers soumis à la loi de 1992. Cette valeur locative doit être équivalente à celle d’un bien nouveau semblable à celui loué sous l’ancienne loi. En d’autres termes, si un nouvel appartement de 150 m2 dans la région X est loué à une somme Y, un appartement de 150 m2 loué avant 1992 dans la même région X doit avoir une valeur locative plus ou moins égale à celle de ce premier (somme Y).
La première étape revient donc à définir la valeur locative du bien en question.
La deuxième étape consiste à retrancher de cette valeur locative le montant payé par le locataire sur une année (ex: si la valeur locative est de 5 000 000 livres libanaises et que l’ancien loyer équivaut à 500 000 L.L. par an, la valeur locative finale se réduit à 4 500 000 L.L.).
La troisième étape précise que cette valeur locative finale est payée sur une durée totale de six ans. Durant les quatre premières années, le locataire paie 15% de la valeur locative, et sur les deux ans restants, il paie 20% du montant. La valeur locative est déterminée sous l’accord des deux parties (le propriétaire et le locataire). En cas de désaccord, une commission désignée par le gouvernement prendra en charge, dans un cadre juridique, la valorisation du bien loué.
Après ces six années, le locataire a le droit de renouveler le contrat de bail pour une durée de trois ans durant lesquels il doit payer le montant de la valeur locative par année (soit 4 500 000 L.L./an si on reprend l’exemple cité ci-dessus).
Les trois ans terminés, le loyer est libéralisé, mais le locataire a le droit de renouveler encore une fois et pour trois autres ans le contrat de bail sous les mêmes conditions pré-mentionnées.
Finalement, après douze années (6+3+3), le propriétaire a le droit de récupérer son bien sans payer aucune indemnisation aux locataires.
Aides aux locataires
Notons d’abord que les locataires ne disposent pas d’un comité officiel pour leurs droits (selon un responsable du département des comités et des associations dans le ministère de l’Intérieur). Ils se sont pourtant manifestés contre ce projet de loi. Selon eux, «des milliers de familles se verront expulsées de leurs logements». Mais cette loi ne stipule en aucun cas l’expulsion des gens des appartements loués. «Bien au contraire, déclare le député Samir Jisr, le gouvernement est prêt à accorder des aides financières aux locataires qui sont dans le besoin de payer les valeurs locatives des biens immobiliers dans lesquels ils résident». Ces aides financières se feront par l’intermédiaire d’un fonds rattaché au ministère des Finances et géré par la direction du Trésor. Un comité composé d’un juge et de quatre membres se chargera de ce fonds alimenté par l’Etat et par les dons approuvés par le Conseil des ministres. Les aides financières seront accordées aux familles dont le revenu mensuel ne dépasse pas trois fois le salaire minimum qui est de 675 000 livres libanaises.
La rupture du contrat de bail se fait dans les mêmes cas que ceux de la loi de 1992 (la destruction du bâtiment ou l’utilisation du bien par le propriétaire ou un membre de sa famille). Le propriétaire se doit alors d’indemniser le locataire en payant quatre fois la valeur locative (dans le cas de l’utilisation du bien par le propriétaire ou un membre de sa famille) et six fois la valeur locative (dans le cas de la destruction du bâtiment).
Natasha Metni
Avis partagés
Ghassan Ghosn, président de la
Confédération générale des travailleurs au Liban, considère que cette loi aurait dû être encore plus étudiée, afin d’aboutir à un projet
assurant l’égalité et la justice pour tous. A cela, répond Georges Rabahié de la manière suivante: «Les propriétaires des anciens loyers ne demandent que plus de justesse, après plus de trente années d’injustice. Le gouvernement est, lui, responsable du
devenir de ces locataires et non le
propriétaire qui est en droit de jouir de ses biens». Aux locataires qui s’inquiètent, Samir Jisr réplique: «l’Etat est capable d’octroyer des aides aux locataires. D’une part, les sommes ne sont pas énormes et d’autre part, elles sont divisées sur une durée de six ans. La loi de 1992 ne prend pas en considération le principe d’équilibre d’appréciation. Le loyer n’équivaut pas à la vraie valeur du foyer».