Magazine Le Mensuel

Nº 2944 du vendredi 11 avril 2014

general

Ramzi Ashoush. Un cœur qui bat

«Music saves lives» est sa devise. C’est en combinant la musique et le bistouri que Ramzi Ashoush, spécialiste en chirurgie cardiaque enfantine, sauve la vie des enfants malades du cœur. Parce qu’il est interdit qu’un enfant ne soit pas traité pour des raisons financières, il a fondé l’association Heartbeat, qui prend en charge la totalité des frais de ces opérations. Portrait.
 

Etre médecin n’a pas été vraiment son rêve d’enfance ou un choix qui a tranquillement mûri en lui quoiqu’il ait indéniablement subi l’influence de son oncle Edouard Stephan, cardiologue très connu dans le pays. Après des études scolaires chez les Frères, il présente le concours d’entrée en médecine à la Faculté française de l’Université Saint-Joseph où il est classé premier. «Au début de mes années d’études, la guerre de 1975 éclate. Nous n’avons pas pu suivre normalement la vie universitaire, la FFM située rue de Damas étant fermée et les cours étaient donnés à l’Hôtel-Dieu de France. Très tôt, nous avons mené la vie d’hôpital, alors qu’en général on la découvre à la sixième année de médecine en tant qu’interne».
Ramzi Ashoush fait son internat aux urgences. Les horreurs de la guerre, il les a toutes vécues. «C’était le fameux été 1978, la guerre des 100 jours d’Achrafié. J’ai vécu le côté le plus choquant de la guerre. A la suite de chaque bombardement, nous recevions des dizaines de blessés, carrément jetés aux urgences et qu’il fallait trier», se souvient le chirurgien. C’est un peu dans cette ambiance que le jeune médecin apprend à connaître les patrons de l’HDF, en particulier les professeurs Antoine Ghossein et Bachir Saadé, chef de service de la chirurgie
cardiovasculaire, aujourd’hui disparu. «C’est sous son influence que je me suis vu dévier vers la chirurgie cardiaque».  Dans cette terrible ambiance, la musique n’est jamais absente de la vie de Ramzi Ashoush. «J’ai toujours été passionné par la musique. Pendant cette période, nous nous réunissions entre amis pour des soirées musicales privées. Je chantais surtout Jacques Brel. L’idée d’organiser un concert de Brel est née». Le groupe donne ainsi quelques concerts dans les années 80. «A mon grand étonnement, nous avons eu beaucoup de succès et nous avons chanté à guichets fermés».

 

La musique sauve des vies
C’est à Paris, où il passe de longues années, que Ramzi Ashoush poursuit sa spécialisation en chirurgie cardiaque. «Comme nous étions trois étudiants libanais à nous orienter vers cette branche, je me suis sous spécialisé en chirurgie cardio-pédiatrique». De retour au Liban en 1993, le centre de chirurgie de l’HDF est inauguré et Ramzi Ashoush y exerce. «A l’époque, tout le monde me demandait pourquoi je ne chantais plus. Je répondais que c’était une période révolue et que maintenant que je suis médecin, je ne vois plus de raison de chanter en public». Mais au même moment, le chirurgien est confronté au problème social. «En France, on se contentait d’opérer et on ne s’occupait jamais de questions financières. Le problème avec les maladies cardiaques de l’enfant, c’est qu’elles sont généralement mortelles, mais si elles sont traitées, elles guérissent totalement. Si on ajoute à cette équation le fait que l’on traite s’il y a de l’argent et on ne traite pas si l’argent fait défaut, on arrive au résultat suivant: avec de l’argent, on sauve une vie et, sans argent, c’est la mort». Le chirurgien reconnaît que l’Etat fait beaucoup d’effort, mais même avec les 15 ou 20% des frais demandés, les chiffres restent supérieurs au salaire de deux ou trois mois des familles généralement démunies. «Face à ces enfants qui ne se font pas traiter pour des raisons financières, je me suis dit puisque mon entourage et moi sommes doués pour la musique, autant mettre ces talents au profit des enfants malades du cœur. Là, j’avais une raison de reprendre la musique. Ce projet a traîné quelques années, car l’idée était encore floue dans ma tête jusqu’au jour où je reçois un coup de pouce de mon collègue, le médecin Victor Gebara, spécialisé dans la chirurgie cardiaque pour adultes. Doué pour l’organisation, il propose de fonder une association enregistrée auprès du ministère de l’Intérieur, qui ne se limite pas uniquement à des médecins qui chantent, mais qui sera élargie autant que possible pour mettre tout ce monde au profit de la cause des enfants malades du cœur».

 

2005: Heartbeat est née
A la fin des années 90, et avant la création de Heartbeat, Ramzi Ashoush reprend timidement la musique dans le cadre des estivales de Deir el-Qamar, dont il est originaire. «Je n’ai pas pu refuser, car c’était précisément Deir el-Qamar. Durant quatre ou cinq ans, nous nous sommes produits dans le cadre de ce festival et chaque fois, c’était la soirée la plus attendue». Avec la création de Heartbeat, il fallait franchir un grand pas et organiser un concert destiné à des milliers de personnes, alors que l’audience des estivales de Deir el-Qamar se limitait à quelque 500 personnes, sur une grande scène avec la condition que tout soit fait en direct et non enregistré. «Ça s’est élargi peu à peu sur le plan de l’organisation, plusieurs personnes n’étant pas médecins y participent bénévolement». A la fin de l’année 2005, après un concert à Deir el-Qamar et un autre à Faqra, nous avons réuni une certaine somme d’argent et trois enfants ont pu être opérés aux frais de Heartbeat. Mais ce n’est qu’en 2006 qu’un grand concert pour 4 500 personnes est donné au Biel. «C’était à guichets fermés et ce fut le véritable lancement de Heartbeat. Les gens nous ont alors pris au sérieux et commencé à nous aider. Depuis ce fameux concert, Raymond Audi, Leila Solh Hamadé et Antoine Chouéri, aujourd’hui disparu, nous ont adoptés. Nous rééditons ainsi chaque année ce grand événement». Le succès ainsi remporté, deux nouveaux sponsors, Tony Nasrallah et Tony Salamé se joignent à la famille Heartbeat. «Tony Salamé propose d’ajouter aux représentations un dîner de gala avec spectacle et c’est ce que nous faisons depuis 2009. Chaque année, un concert accompagné d’un dîner de gala, nous est entièrement offert par le Casino du Liban».
De trois enfants opérés en 2005, le chiffre passe à 70 en 2006 et, depuis, ce sont 200 enfants qui sont opérés chaque année aux frais de Heartbeat. S’il est évident que réussir une opération et sauver une vie représentent la satisfaction de tout médecin, pour Ramzi Ashoush c’est surtout le soulagement des parents lorsqu’on leur dit de ne pas s’inquiéter des charges financières. «Les parents sont non seulement atterrés par la nouvelle que leur enfant a besoin d’une opération à cœur ouvert, mais ils craignent en plus d’avoir le problème d’en assurer les frais». Selon les statistiques, un nouveau-né sur cent a une malformation cardiaque. «Si l’on compte qu’il y a
50 000 à 60 000 naissances par an, on constate qu’il y a 500 à 600 nouveau-nés qui ont une malformation cardiaque. Mais tous n’ont pas besoin d’être opérés», précise Ramzi Ashoush. Après avoir été opérés, ces enfants ont besoin d’un séjour dans l’unité des soins intensifs et le nombre limité de lits pose un grave problème. «Leila Solh Hamadé a joué un rôle très important à ce niveau en finançant, il y a trois ans, l’élargissement et la mise à jour de tout le service de réanimation pédiatrique de l’Hôtel-Dieu, ce qui nous permet d’assurer tout ce travail».
Pour Heartbeat, il n’est pas question de médiatiser les enfants malades du cœur. «La musique est notre moteur principal. Nous voulons que les gens viennent s’amuser, écouter de la musique, tout en contribuant à une grande cause». Décoré par le roi des Belges Albert II en 2010, Ramzi Ashoush est chevalier de l’Ordre de la Couronne. Marié à Cynthia Habib, ils ont deux filles: Daniela et Nathalie qui n’ont pas choisi de suivre la trace de leur père. L’une a opté pour des études en computer engineering et l’autre en Business Administration. A part la médecine, la musique et Heartbeat qui sont sa passion, Ramzi Ashoush fait de la plongée sous-marine, s’intéresse à l’informatique et il est fan de football, de Manchester United en particulier. Il reste surtout un médecin au grand cœur très touché par les enfants malades du cœur… 


Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR

 

Heartbeat 2014
«Le concert étant une tradition attendue, c’est devenu pour nous un défi de faire chaque année mieux», confie le chirurgien. Du stade de simple concert, les représentations de Heartbeat passent au rang de spectacle en bonne et due forme avec son, lumière, costume, décor… «Cette année, la musique sera très variée: du disco, du rock, du country, des classiques de la chanson française jusqu’aux chansons les plus récentes. Ce sera un concert qui s’adresse à toutes les générations avec des chansons oubliées des années 60. Chaque génération se retrouvera dans une partie du concert et découvrira d’autres». Une sorte de défilé de générations avec 50 personnes sur scène. Le concert se déroulera au théâtre Casino du Liban, du 22 au 25 mai, et le dîner de gala à la Salle des ambassadeurs du Casino, le 31 mai.

Inspiration française
Heartbeat est inspirée de l’association française La chaîne de l’espoir fondée par le professeur Alain Deloche et qui a pour mission de traiter les enfants malades du cœur partout au monde. «Heartbeat est le bras de La chaîne de l’espoir au Moyen-Orient. Auparavant, la chaîne opérait des enfants irakiens malades du cœur à Paris. Mais il s’est avéré moins cher de les opérer à Beyrouth. Depuis trois ans, on nous amène des enfants irakiens que nous opérons aux frais de La chaîne de l’espoir». Mais pour le chirurgien, aujourd’hui un nouveau problème se pose, celui des réfugiés syriens. Que faire d’un enfant syrien malade du cœur? «La chaîne de l’espoir a accepté de financer avec les Nations unies un certain nombre d’opérations d’enfants syriens».

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