Magazine Le Mensuel

Nº 2940 du vendredi 14 mars 2014

Culture

Sur les cimaises

Biography of a head de Sadik Kwaish Alfraji
La condition humaine

Les cimaises du Beirut Exhibition Center accueillent depuis le 6 mars et jusqu’au 13 avril l’exposition du peintre irakien Sadik Kwaish Alfraji. Biography of a head ou l’exploration de la condition humaine.
Tableaux et installations vidéo, le peintre irakien expose pour la première fois Biography of a head, à l’origine des gravures sur bois réalisées en 1985 durant la guerre Irak-Iran et que l’artiste a essayé d’exposer à Bagdad, mais s’est vu opposer un refus d’ordre politique. Et c’est à Beyrouth qu’il donne à voir son exposition organisée par Solidere et la curatrice Mayssa Fattouh. «Sisyphe, Godot, vous, moi, l’homme dans la rue, tous unis dans un même cri… Où est ma liberté?».
Des toiles impressionnantes par leur grandeur, de deux à cinq mètres. Une même figure qui se répète presque, drapée de noir, effrayante de noirceur. De par la portée de la couleur, de par le matériau utilisé, de l’encre indienne et du fusain qui impriment leur marque indélébile sur du papier de riz. Et au cœur de cette noirceur compacte, sur certaines toiles, la figure humaine est dotée d’une main, une seule, grandeur nature presque, aux traits tellement réalistes jusque dans ses plus fines ridules et ses poils. L’interrogation se fait plus dense encore à mesure que le regard du visiteur se pose sur l’œil de l’ombre esquissée. Un seul œil également, épouvantable de réalisme. Les interrogations ne feront que s’intensifier à mesure que le visiteur se déplace de toile en toile.
Une ombre, une forme humaine, un homme, l’Homme. La condition de l’homme en ce monde aux prises avec les multiples changements qu’il subit. Des changements brusques, difficiles à gérer, surtout en cette partie du monde. Et Alfraji a dû depuis longtemps quitter son Irak natal pour finalement trouver refuge en Hollande. Ce qui ressort de l’œuvre d’Alfraji, au-delà de sa noirceur apparente, est le désir, le besoin presque de trouver refuge ailleurs. Mais cela est-il encore possible? Seulement dans l’art, aurait-on envie de dire. Une pensée devenue usitée au fil du temps, alors que tout autour, tout semble bouché. Même dans l’horizon de chacune des toiles exposées. Once I could fly, titre donné à plus d’une œuvre, mais qui semble résonner en contradiction avec la toile elle-même. Plus qu’un vol ou un envol, c’est l’apparat d’une chute qui s’en dégage. D’une désorientation presque totale, face à soi-même avant tout et à la représentation que l’homme, que chaque homme, se fait du monde qui l’entoure et des questions philosophiques qui le régissent.
L’exposition se poursuit jusqu’au 13 avril au Beirut Exhibition Center.

Dans les rues de Beyrouth
Nes bsamneh w nes bzeit

La manifestation du 8 mars, organisée par Kafa contre la violence domestique (ezabedda chare3 la tchari3… nazlin), a débuté par une performance de la compagnie de théâtre Zoukak Nes bsamneh w nes bzeit.
Nous étions tous là, nombreux à répondre à l’appel de Kafa. Il est 14h, et la compagnie Zoukak entonne une procession nuptiale, une procession funéraire. Une marionnette grandeur nature en robe de mariée. A ses côtés, une autre marionnette représentant l’époux dans son costard noir. Il n’a pas de tête, mais il a les bras rouges. Les bras ensanglantés. Elle, son visage est un miroir où se reflètent les visages des gens qu’elle croise. Nous, nous tous, toute la société. Chacun de nous a sa part de responsabilité.
En s’appuyant sur des dictons populaires, en dénonçant les stéréotypes contre les femmes qui régissent notre société, en racontant des témoignages de victimes de la violence domestique documentés par Kafa, Nes bsmaneh w nes bzeit fait tomber tous les masques, sans peur, sans crainte, avec colère, avec passion, en toute justice. Il est temps d’agir.
Les mots des membres de Zoukak tonnent dans ce vent de liberté qui enveloppe Beyrouth. Ils tonnent d’autant plus fort qu’ils reflètent notre société, dans ce qu’elle a de plus révoltant, de plus inacceptable, de plus inhumain, et dont les dictons populaires énoncés en sont une effrayante preuve. Ils tonnent d’autant plus vibrants que l’émotion est en même temps à fleur de peau et déterminée. Plus que déterminée. Plus que jamais.

Nayla Rached

 

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