Du 24 février au 6 mars, John Kerry a parcouru l’Europe et le Moyen-Orient. Pour celui qui a travaillé 28 ans à la Commission des Affaires étrangères du Sénat, les dossiers régionaux ne sont plus un mystère. Prendre le pouls de ses alliés, voilà l’objectif. Pour ses premières visites officielles, le choix du Moyen-Orient est un symbole fort. Clinton avait choisi l’Asie.
Onze jours, neuf villes. Londres, Berlin, Paris, Rome, Ankara, Le Caire, Riyad, Dubaï et Doha. Ce n’est pas le programme d’un voyagiste américain mais celui du nouveau secrétaire d’Etat, John Kerry. Un diplomate qui débute son mandat par le dialogue et l’écoute de ses partenaires. Un diplomate qui veut aussi réconcilier ses partenaires. Un diplomate qui cherche à rassurer. Parce qu’après l’échec irakien et le piège afghan – les deux dossiers dont voulait désengager les Etats-Unis, Barack Obama-, le blason américain est à redorer dans la région. Les Etats-Unis n’ont sans doute plus tout à fait les moyens de leur ambition et doivent accepter de partager leur influence au Moyen-Orient avec les Russes et avec les sous-puissances régionales. Surtout s’ils veulent concentrer leurs efforts en Asie.
Témoignage de la modestie de ses ambitions, John Kerry avait affirmé le jour de sa prise de fonction que «sa priorité de tous les jours» serait «la sécurité du personnel diplomatique américain». Rien que ça.
Alors que la visite s’achèverait par le Qatar et les Emirats, de quoi a-t-on parlé dans les capitales de la région?
Ankara, on parle de la Syrie
Entre Américains et Turcs ces temps-ci, il ne peut être question que de Syrie. Sauf quand Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre, décide d’y aller de sa petite phrase. «Le sionisme est un crime contre l’humanité». Autant dire que John Kerry a moyennement apprécié. «Faux» et «offensant», jugera-t-il.
Revenons à nos Syriens. Kerry a rencontré son homologue Ahmet Davutoglü à ce sujet. Si Américains et Turcs partagent leur ferme opposition à Bachar el-Assad, ils diffèrent nettement sur les moyens à accorder à l’opposition. Dans la conférence de presse qui a suivi leur entrevue, les platitudes ressurgissent. «Il existe une solution politique» côté américain, et «le principal objectif est d’épargner la vie des civils innocents». En réalité, ce qu’il faut comprendre, c’est que les Américains sont devenus beaucoup plus réticents que les Turcs à l’idée de financer et d’armer l’opposition islamiste de peur qu’elle ne se retourne contre leurs propres intérêts. A Rome, quelques jours auparavant, John Kerry avait annoncé la mise à disposition de 60 millions de dollars pour la Coalition nationale syrienne. Parallèlement, des soins médicaux, des denrées alimentaires et un soutien logistique sont délivrés à l’opposition armée. Le secrétaire d’Etat américain a également désavoué Erdogan, en refusant de souscrire à son idée de créer une zone tampon au nord de la Syrie.
Si les Turcs veulent voir triompher le plus rapidement possible les rebelles, les Américains ne veulent pas prendre de mesure qui exclurait toute possibilité d’accord politique avec les Russes.
Pendant ce temps, des centaines de manifestants dénonçaient devant le bureau d’Erdogan la visite du secrétaire d’Etat américain.
Des pincettes au Caire
Les 2 et 3 mars, la reconstruction politique et économique de l’Egypte était au centre des discussions entre Kerry et le président Mohammad Morsi. Au Pays des Pharaons, le premier diplomate américain prend des pincettes. Comment concilier les aspirations démocratiques des Egyptiens et le respect des traités signés avec Israël? A cet égard, que la capitale égyptienne soit la première destination arabe du nouveau secrétaire d’Etat n’est certainement pas un hasard. Si le secrétaire d’Etat appelle à «des compromis significatifs» des deux côtés, Morsi bénéficie toujours du soutien sans ambiguïtés de l’allié américain. Ce qui veut dire aussi qu’il sera surveillé de près. «Les Etats-Unis peuvent et veulent faire plus pour l’Egypte», a déclaré John Kerry après avoir rappelé les besoins «extrêmes» du pays. Après la promesse de réduction de la dette égyptienne à hauteur d’un milliard de dollars consentie par Obama en 2011, ce sont 250 millions de dollars qu’ont promis les Etats-Unis. 250 millions de dollars pour «l’Egypte et son futur en tant que démocratie». 250 millions de dollars de récompense pour des promesses de réformes. Selon des sources du secrétariat d’Etat, l’Egypte est sur le point d’obtenir 4,8 milliards de dollars auprès du Fonds monétaire international (FMI). Les réformes qui conditionnent ce prêt seraient toutefois retardées en raison des troubles politiques.
A ce sujet, le secrétaire d’Etat a également rencontré des responsables de la société civile. Il a pris acte de leurs inquiétudes quant au futur économique de l’Egypte et au nécessaire renforcement de la protection des droits humains. En revanche, les leaders de la principale coalition d’opposition (FSN- Front de Salut national), Mohammad el-Baradei et Hamdeen Sabbahi ont boycotté l’entrevue prévue au motif que des pressions américaines leur imposent de participer aux prochaines législatives.
Le dossier iranien à Riyad
Dans la capitale saoudienne, reçu par le prince Saoud el-Fayçal, John Kerry a réaffirmé son soutien à l’opposition syrienne, tout en répétant son refus de l’armer. Un refus justifié par «l’absence de garanties qu’une arme ou une autre ne puisse pas tomber dans de mauvaises mains». Un refus critiqué par les pays du Golfe et un refus un brin malhonnête puisque le secrétaire d’Etat américain a pris simultanément acte de la livraison d’armes effectuée par le Qatar et l’Arabie saoudite en expliquant qu’il y avait désormais les moyens de «s’assurer que ce qui va à l’opposition modérée et légitime lui parvient effectivement». Donnez à vos alliés le sale boulot.
Du côté des six pays arabes du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) dont les ministres des Affaires étrangères se sont entretenus séparément avec John Kerry, la liste des doléances est longue. Ils ont réclamé une résolution contraignante du Conseil de sécurité de l’Onu et un embargo sur les armes à destination du régime syrien.
Sur le dossier iranien, ces pays se sont à nouveau montrés incrédules face à l’attitude qu’ils jugent trop indulgente des Etats-Unis. Dans ce contexte, John Kerry a reconnu que la fenêtre des négociations «ne pouvait pas rester ouverte infiniment». Le patron des diplomates américains a également rencontré le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas qui se trouvait à Riyad par le plus grand des hasards. A l’issue des plaintes que lui a adressées Abou Mazen au sujet du comportement israélien, il a précisé que Benyamin Netanyahu avait été mis au courant de la tenue de leur entrevue.
Certains observateurs feront remarquer que Kerry n’a pas été reçu par le roi se contentant du prince héritier Salman Ben Abdel-Aziz.
Antoine Wénisch
Israël, tendu mais choyé
Le grand absent de cette tournée est Israël. Du snobisme? Vous n’y êtes pas. Pour bien montrer que l’Etat hébreu n’est pas un allié comme un autre, Barack Obama s’y rendra en personne dans deux semaines, escorté de son secrétaire d’Etat. Pour Kerry, pas d’arrêt-buffet entre Riyad et Ankara donc.
La visite d’Obama s’annonce toutefois dans un climat tendu.
– En mai 2010, alors que le vice-président américain était en visite officielle sur le territoire israélien, Benyamin Netanyahu avait ordonné la construction de 1600 logements supplémentaires dans les colonies. Polémique inévitable. Dans ce cadre, en prévision de la visite d’Obama, et en souvenir de l’incident diplomatique qui avait émaillé la visite de Joe Biden, la construction de nouveaux logements a été suspendue provisoirement, toute publication d’appel d’offres a été interdite.
– Les élections du mois dernier n’ont toujours pas permis de constituer un gouvernement de coalition. L’impasse actuelle dans les négociations entre les partis politiques israéliens et le Premier ministre désigné Benyamin Netanyahu, pourrait faire reporter la visite du président américain Barack Obama prévue entre les 20 et 22 mars prochains.
– Des troubles ont éclaté en Cisjordanie après la mort d’un prisonnier palestinien en Israël.