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Nº 2862 du vendredi 14 septembre 2012

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HORIZONS

L’étonnante Enfé. A la découverte des trésors inconnus

Une mer d’un bleu qui appelle à la baignade, un petit port digne des îles grecques, des vestiges phéniciens, des salines plus ou moins abandonnées à perte de vue, des ruines d’une ancienne citadelle croisée ou encore une ribambelle de lieux de culte grecs-orthodoxes… Enfé la belle a dévoilé ses trésors à Magazine.

C’est en venant de Tripoli, sur la route maritime, que le village d’Enfé s’appréhende le mieux. Au détour de la côte, se dévoile un charmant petit port qui n’a d’égal peut-être que Batroun et ses maisons blanches. Il rappelle un paysage grec, exception faite de cet étrange prolongement rocheux embrassant la mer. De loin, rien ne laisse présager que cet amas de roches d’où dépassent quelques structures indescriptibles, renferme les secrets des temps passés.
Après avoir dépassé le complexe balnéaire, «Las Salinas», une petite route mène au cimetière du village. Des chemins sinueux portent au gré des intersections vers la crique. Sur le passage, se dresse la plus ancienne des églises du village, Saydet er-Rih (Notre Dame du vent), érigée par les Croisés sur ce qui pourrait être des ruines d’une église byzantine ou même d’un temple antérieur. On dit que ce fut le premier édifice religieux en Orient dédié à la Vierge. L’université Balamand y entreprend actuellement des fouilles. En descendant quelques marches, le promeneur se retrouve sur la crique Taht er-Rih, composée de dizaines de cabanons aux couleurs bleu et blanc, appartenant aux villageois, érigés sur d’anciennes salines héritées des grands-parents. «Officiellement, nous n’avons pas le droit de construire ces cabanes, mais tout le monde au village le fait», avoue Nadia, installée à l’ombre du soleil, face à un panorama de toute beauté.
Il est temps de gravir le promontoire rocheux qui prolonge le village dans la mer, lui donnant son nom, Enfé, signifiant en arabe «nez». Pour y accéder, il faut d’abord traverser un étrange fossé, les anciennes douves d’une citadelle franque bâtie au bout du cap où l’on peut voir encore les traces d’un pont-levis. «D’après la tradition qui se transmet verbalement, la citadelle aurait été bâtie sur les ruines d’un ancien château de mer phénicien, explique Jocelyne J. Awad dans son livre sur Enfé dans la collection les Sentiers de la Foi. En 1283, le pèlerin Bouchard affirme avoir vu au cap d’Enfé un château entièrement dans la mer et douze tours construites dans des points de défense», poursuit-elle. Aujourd’hui, difficile d’imaginer l’ancienne citadelle, cap stratégique sur la route de Tripoli, détruite en 1289 par le sultan mamelouk Qalaoun. «De prime abord rien, ou presque, ne subsiste. Les pilleurs de pierres et de trésors sont passés par là, ajoute-t-elle. On a utilisé les pierres de la citadelle pour construire les maisons d’al-Mina à Tripoli ainsi que les salines d’Enfé». Malgré la présence d’anciennes salines sur le promontoire, on peut y déceler les ruines de l’ancienne citadelle, mais également des vestiges portuaires phéniciens, des cuves à sel, des réservoirs d’eau de pluie, des chambres creusées dans la roche, des pressoirs, et plus encore des débarcadères antiques qui sont, pour certains, toujours utilisés par les habitants. La chercheuse note que «vraisemblablement, le port et le promontoire rocheux possédaient des chantiers navals où les Phéniciens entretenaient et construisaient des navires».
Au loin, sur la côte voisine, on découvre le couvent Deir el-Natour, édifié en 1113 sur les ruines d’un ancien couvent de style byzantin détruit par un tremblement de terre. Pour la petite histoire, racontée, une fois n’est pas coutume, par Jocelyne Awad, le couvent aurait été construit par un homme immensément riche dont les turpitudes auraient alourdi la conscience. «En arabe, Natour signifie gardien mais aussi celui qui attend. La tradition orale parle de cet homme (devenant bandit ou méchant selon les légendes) qui décide de tout abandonner et de se réfugier, entièrement démuni, dans une grotte sous l’actuel monastère. Il s’enchaîne les pieds aux fers et jette la clé dans la mer». Après avoir passé plusieurs années à supplier Dieu à genoux demandant sa miséricorde, un pêcheur lui offre un jour un poisson qui déliera ses liens. Dans ses entrailles se niche la clé jetée à la mer des années auparavant, le signe divin du pardon. C’est ainsi que, comme remerciement à Dieu, l’homme construisit ce monastère. Bombardé par erreur en 1914 par l’armée turque, il sert de refuge aux chevaux des bédouins arabes d’Enfé dans les années 40. Rénové de 1945 à 1967 par les familles Malek et aj-Jedd, c’est Sœur Catherine qui depuis a pris la relève. «Je suis au couvent depuis le 20 novembre 1973, indique-t-elle avec une précision étonnante. Etonnante comme la religieuse qui y vit depuis, seule. «Le couvent était totalement abandonné, inhabitable, surtout après la guerre de Tripoli de 1976 à 1979. J’ai commencé des restaurations, de petites choses aux plus  grandes». En 1997, elle fait venir de France trois moines (dont un Russe) pour rénover les fresques, un travail réalisé selon les règles de l’art du XIIe siècle qui prit fin en 1999 pour le plus grand plaisir des croyants et des curieux. Mais Sœur Catherine ne compte pas s’arrêter là et coordonne de nouveaux travaux pour agrandir le lieu.
Tout autour du couvent, un champ de salines fait face à la mer, certaines sont asséchées et d’autres servent encore à extraire l’or blanc d’Enfé, le sel. Elles sont d’ailleurs parmi les dernières du village et appartiennent en partie à Deir el-Natour. Youssef y travaille depuis plus de 20 ans, bien que le travail ne soit plus tout à fait rentable. Les derniers sauniers d’Enfé extraient le sel bien souvent uniquement pour leur besoin personnel. «Les salines ne fonctionnent que pendant les mois d’été, plus largement, jusqu’à ce que la pluie s’invite dans l’équation climatique, explique-t-il. Il faut à peu près 20 jours pour que l’eau de mer s’échappe et révèle le sel. Il faut après le nettoyer et le moudre, ce que font quelques usines dans la région». C’est ainsi qu’il est encore possible de trouver du sel d’Enfé dans les allées de certains supermarchés. L’association Fair Trade Lebanon l’a d’ailleurs sélectionné dans sa gamme de produits du terroir sous le nom de «Fleur de sel aux 5 aromates».
Pour extraire l’or blanc, trois éléments sont essentiels: la proximité de la mer, la présence de vent dominant et continu et une surface ensoleillée. Autant dire que la nature d’Enfé était propice à une telle activité. Autrefois, sur les côtes du village, de petites Eoliennes servaient à pomper l’eau de mer pour la distribuer dans les salines. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’une dans le village, pour le souvenir. Mais cette tradition millénaire des salines a subi les foudres des différents occupants du pays au cours des siècles. D’après la référence historique du village, Georges Sassine, les Phéniciens extrayaient déjà le sel. Les restes antiques de leurs salines se trouvent à «Ras el-Mlileh», peu visibles depuis que des réservoirs de fuel ont pris place pendant la guerre civile. «A la fin du XIXe siècle, les salines ont été interdites par l’Empire ottoman, raconte-t-il. Il ne faut pas oublier que le sel a, de tout temps, été une ressource politico-économique. Face à cette décision, les habitants d’Enfé ont creusé des bassins entre les vignes, dans lesquels ils versaient la nuit des jars d’eau de mer. Il en reste encore quelques témoins. Durant le Mandat français, poursuit-il, ce fut la même chose, avec une société franco-libanaise ayant la mainmise sur le marché. L’année 1938 reste d’ailleurs dans les mémoires. Les troupes françaises, formées majoritairement de soldats sénégalais, détruisirent toutes les salines». La délivrance vient enfin de l’Indépendance, l’Etat donnant l’autorisation d’extraire du sel. L’apogée de l’or blanc s’installe donc entre les années 40 et 60. A cette époque, la moitié des maisons du village ont été construites. «Après la guerre civile, la politique économique n’a pas été de notre côté, reprend Georges Sassine. La coopération libano-égyptienne a permis aux commerçants d’importer le sel égyptien sans frais de douanes. Ce dernier étant bien meilleur marché, la production libanaise a été frappée de plein fouet. Malheureusement, ce même mécanisme s’est répété concernant les olives et la pêche, les deux autres secteurs économiques qui faisaient vivre Enfé. Depuis, l’économie du village est surtout supportée par ses expatriés. Il faut dire que beaucoup de jeunes ont quitté le village; c’est un problème».
Une fois reprise la route du village, plusieurs églises égaillent la curiosité, Sainte-Catherine, Saint-Simon puis Saint-Georges, à quelques mètres l’une de l’autre, font partie des sept églises historiques d’Enfé. Le petit village, il faut le dire, est considéré comme un des sites chrétiens les plus riches et les plus anciens au Liban. «Ici, tout raconte l’évolution de la foi chrétienne dans cette partie du monde, de la pierre des églises et des sanctuaires aux vestiges croisés du promontoire,», peut-on lire dans l’ouvrage de Jocelyne Awad. Selon la tradition orale, St Pierre en personne aurait prêché la religion du Christ à Enfé. «A travers les siècles, chrétiens locaux, Byzantins, Croisés et orthodoxes arabes ont laissé derrière eux d’innombrables lieux de culte, témoins d’un passé de christianisme ardent, continue-t-elle. Monastères, églises, ermitages, cloîtres, sanctuaires, haltes sacrées et nécropoles, sont tous centenaires sinon millénaires».
Pour parfaire la visite, il reste qu’Enfé a été occupée par l’homme depuis la Préhistoire, comme l’atteste la découverte de silex taillés dans des grottes creusées par la mer. Certaines sont encore visitables. Le village, classé patrimoine libanais depuis 1973, a de quoi émerveiller les curieux. Il se trouve à une petite heure de la capitale. A vos appareils photos.

Delphine Darmency

Les trésors marins d’Enfé
La crique Taht er-Rih possède des grottes sous-marines, dont la plus belle aurait disparu lors des travaux d’édification du complexe touristique voisin. L’archéologue et plongeur, Zareh Amadouny a d’ailleurs découvert dans ces fonds marins, une très grande quantité de pierres, d’amphores à vin, à huile ou à graines et les restes de navires échoués suite à de très fortes tempêtes.

 

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