Magazine Le Mensuel

Nº 2870 du vendredi 9 novembre 2012

HORIZONS

Le Grand Hôtel de Sofar. Excellence et raffinement

Réputé premier casino au Liban, le Grand Hôtel de Sofar renferme, dans ses murs, plus d’un siècle d’histoire. Lieu d’excellence et de raffinement, il fut jadis, le lieu privilégié de la bourgeoisie beyrouthine et de nombreuses personnalités étrangères, le temps de la saison estivale.

Sur le quai de la gare abandonnée de Aïn Sofar, deux bancs persistent à vouloir accueillir des voyageurs, alors que seules leurs barres de fer ont résisté au demi-siècle écoulé sans le moindre sifflement de locomotive. Le cadran de l’ancienne horloge, dépouillé de son mécanisme, n’indique plus l’heure. Au début des années 20, le train parti de la gare de Beyrouth à 7h30, arrivait à Sofar trois heures plus tard, comme l’indique le «Guide de la société de villégiature au Mont-Liban» datant de 1923. Quant au retour vers la capitale, il prenait une heure de moins. Le chemin de fer reliait, depuis 1895, Beyrouth à Damas grâce à une voie en crémaillère. Un nouveau moyen de transport dont les villages de Aley et Sofar ont profité pour prospérer rapidement, accueillant les faveurs de la bourgeoisie beyrouthine, venue rechercher l’air frais sur les hauteurs durant les mois d’été, mais également celles des villégiateurs syriens et égyptiens. Le guide rapporte qu’à Sofar, «où s’élève actuellement une agréable et élégante station estivale, il n’existait, il y a quelques années, qu’un pauvre «khan» qui servait de gîte d’étape aux muletiers». Une autre brochure des années 1930 note que le village est «fréquenté par une société très choisie et très mondaine qui se réunit à l’hôtel-casino. Cet établissement est à même de répondre aux désirs de la clientèle la plus difficile. Les fêtes, les bals et les thés donnés à Sofar sont incontestablement les plus élégants et attirent certains jours les estivants de tous les centres avoisinants». L’hôtel-casino ou, devrait-on dire, le Grand Hôtel de Aïn Sofar.
En sortant de la gare, une petite allée mène sur la route principale du village, parsemée de platanes légués par Alfred Sursock. Droit devant, s’élève une bâtisse d’une envergure peu commune au Liban, ressemblant à un monument européen du XIXe siècle. Malgré ses multiples blessures de guerre, le lieu à trois étages, est sublimement majestueux. Il y a un siècle, le parterre qui devançait le Grand Hôtel laissait place à un magnifique jardin de haies taillées à la mode du Vieux Continent. Aujourd’hui, il n’y a plus que cailloux et terre. Quelques marches d’escalier surmontées d’une lanterne rouillée mènent au hall de réception, qui ne semble même plus l’ombre de lui-même. En levant les yeux, on devine encore, grâce aux moulures restantes du plafond, la présence jadis de grands lustres, certainement au nombre de quatre. Face à l’entrée, deux escaliers en pierre conduisent symétriquement aux étages supérieurs, bien qu’aujourd’hui, ils ne soient plus accessibles ou presque. A droite, le guichet n’accueillera plus personne, muré, comme la plupart des accès du rez-de-chaussée.

Amine Rihani charmé
Dans son livre Qalb Loubnan, le poète Amine Rihani revient sur sa rencontre avec le Grand Hôtel au début du XXe siècle. «Des hommes et des femmes étaient assis entre les arbres, buvant du thé ou du café», commence-t-il dans un récit très détaillé. Puis il entre dans le casino. «Sur des tables bleues, les hommes et les femmes jouaient au poker en silence. Je les laissais méditer, fumer du hachisch et parler de complots politiques». Il se dirige ensuite vers la roulette, «avec sa grande table verte. Un croupier se tient derrière la table, une bille en ivoire dans la main. A ses côtés, un long bâton sert à pousser l’argent que les joueurs autour de la table ont disposé sur les chiffres ou les carreaux verts et rouges du tapis de jeu. Quand les paris sont faits, le croupier lance d’une voix imposante en français: «Rien ne va plus!».Il tourne la roulette, jette dans un trou sa petite bille en ivoire que les joueurs suivent tremblant de peur. Puis lorsque la roulette s’arrête, la bille fait de même sur une case qui fait le bonheur de certains et le malheur des autres».
Des roulettes, il n’y en a plus. Mais la grande pièce aux murs jaunes, qui a dû être repeinte depuis le début du XXe siècle, renferme toujours deux tables aux tapis verts. En s’engouffrant dans les entrailles de l’hôtel, juste devant l’entrée de ce qui devait être un bureau, le squelette d’un piano à queue repose dans la pénombre à côté de l’un de ses semblables, dont les touches semblent dégouliner, tellement le bois s’est affaissé à cause de l’humidité. En entrant dans le bureau, armé d’une lampe de poche, on décèle des cartes de jeu à même le sol. On retrouve également des affiches du «Monkey Bar», le night-club de l’hôtel dans la seconde partie du XXe siècle, qui fut un temps appelé, «Canne à sucre», le night-club de l’élite du Grand Hôtel de Aïn Sofar où le prince du Mambo «Leo and his swinglett» vous fera danser jusqu’à l’aube», titrait L’Orient, en juillet 1955. Plus loin dans les cuisines, quelques étagères en bois supportent encore une partie du service à thé.

Fondé par les Sursock
L’hôtel a été inauguré en 1892 et fondé par la famille Sursock. «Il y avait une source au niveau de l’hôtel, souligne Lady Cochrane,  d’où l’appellation «Aïn Sofar». La famille avait décidé de faire un centre de cure à l’instar de celui de Vichy en France. C’est à partir de là que l’hôtel s’est construit». Aujourd’hui, les sources sont couvertes de terre mais l’héritière (avec ses cousines) pense les rénover. «Beaucoup d’étrangers y venaient, notamment des Syriens. L’air était très bon et l’hôtel très cosmopolite. Les gens venaient retrouver leurs amis, jouer au casino et s’amuser», se souvient-elle. L’hôtel était jadis confortable, élégant, luxueux. Il y avait un vrai restaurant avec de la cuisine raffinée. Georges Rayess en a d’ailleurs été l’un des gérants dans les années 30, c’est pour vous dire si l’on mangeait très bien». L’hôtel était doté de plus de 70 chambres, avec salon, double, simple ou même triple, avec ou sans salle de bains. «Le Palace du Liban», comme le nommait L’Orient en juillet 1947 possédait également des courts de tennis et une librairie. A chaque saison d’estivage, son lot de bals regroupait l’élite de Beyrouth et de nombreuses personnalités étrangères.  
«J’ai vécu mes plus belles années de 1940 à 1943, se remémore Nadia Matta. Pourtant nous étions pendant la Seconde Guerre mondiale. Tous les soirs d’été, nous allions au Grand Hôtel de Sofar où de grands joueurs venaient de Damas pour jouer au baccara ou aux cartes. Il y avait un endroit où l’on dînait et une piste de danse sur une terrasse autour d’un cèdre. Tous les bals se faisaient là», ajoute-t-elle. Ce cèdre a fait date dans les souvenirs de la jeunesse d’alors, celui- là est d’ailleurs toujours bien ancré à sa place. Lady Cochrane avoue également avoir passé de très bons moments à Sofar. «A la fin des années 40, j’allais très souvent danser sur cette piste, confie-t-elle. Cela a été une période de ma vie très heureuse, très douce. Mais après la Seconde Guerre mondiale, l’hôtel n’a plus été tout à fait le même». Malgré tout, il n’en perdra pas sa réputation festive, des bals Cotillon aux galas des Petits Lits Blancs au profit d’associations caritatives  en passant par le bal de la Croix-Rouge libanaise. Le Grand Hôtel a également été le lieu de nombreuses réunions politiques et diplomatiques, notamment entre la Syrie et le Liban.
Cependant, la guerre civile n’en a fait qu’une bouchée. Dès 1976, les Syriens saccagent et pillent les lieux. Aujourd’hui, le Grand Hôtel de Sofar appartient toujours à la famille Sursock, plus précisément à Lady Cochrane, qui possède la moitié des parts, et à ses cousines. «Je n’ai malheureusement tout simplement pas l’argent pour rénover l’hôtel, souhaitant réhabiliter notre palais familial également à Sofar. Il faut le vendre à la condition que les nouveaux propriétaires gardent la façade et ses contours. Il ne s’agit pas de faire un hôtel comme ceux que l’on voit à Beyrouth», précise Lady Cochrane, un tant soit peu désespérée par la destruction du patrimoine libanais.

Delphine Darmency

 


Sofar et ses invités à la loupe
Magazine – 5 septembre 1963
Lors du gala des Petits Lits Blancs, «on a eu tout le loisir d’admirer, de regarder, de critiquer et de faire des commentaires passionnés sur un tas de choses… D’abord le retour en force de la robe longue, portée notamment par Mmes Désiré Kettané (imprimé), Antoine Badaro (blanc et corsage vert), Dany Chamoun (fuchsia), Mlles Nayla et Mona Kettané (blanc), Gilberte Zouein et Iona Gay-Para, Béatrice Mazelle et Mme Edouard Rizk (blanc et noir). M. Edouard Rizk, lui aussi, n’a pas manqué d’attirer tous les regards avec sa nouvelle opération-coiffure – à un dollar le cheveu, il en a eu (paraît-il) pour 1500 dollars…».

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