Magazine Le Mensuel

Nº 2848 du vendredi 8 juin 2012

Presse étrangère

La responsabilité des libanais

A la lecture de la presse internationale cette semaine, une conclusion saute aux yeux. Les événements qui secouent la Syrie sont un prétexte bien trop confortable pour expliquer la résurgence des tensions au Liban. Les locaux en sont aussi responsables.

 

Huffington Post
Pour le Huffington Post, Patrick Galey explique que «la Syrie n’est pas seule responsable des montées de la tension au Liban». Ce sont les Libanais eux-mêmes qui ont créé le contexte explosif qui fait craindre tous les débordements. Les affrontements de Tripoli et de Beyrouth sont à évaluer sous le prisme libanais. Lorsque le cheikh Ahmad Abdel Wahed a été abattu près d’un checkpoint de l’Armée dans la région de Akkar, ses partisans ont, quelques heures après, encerclé le quartier de Tariq Jdidé en brûlant pneus et poubelles. C’est après avoir délimité cette zone par le feu que les combats ont commencé. J’y ai vu des hommes armés, rapides et extrêmement coordonnés. Les combattants entraient dans des immeubles résidentiels et en ressortaient avec encore plus d’armes à la main.
Dans cette atmosphère âcre, je me suis rapproché d’hommes en noir. C’étaient des partisans du Courant du futur. Ils n’avaient plus de 20 ans. «Sur qui tirez-vous?», demande-je à un homme trapu qui crie ses instructions dans un talkie-walkie. «Sur Chaker Barjaoui», me répond-il, une figure sunnite accusé de faire le jeu du Hezbollah.
J'ai vu de mes propres yeux des hommes armés qui sortaient du bureau du Courant du futur, investissant, immeuble après immeuble, la zone aux alentours du quartier général de Barjaoui. D’autres combattants ont riposté. Avec le Parti syrien social national (PSNS), tous ces partis ont un arsenal qu’ils ne cachent plus. Les récents accès de violence ne doivent pas surprendre.
Non, la réalité est que la sécurité vacillante du Liban repose sur un ensemble disparate de groupes armés dirigés par les partis politiques, dont la plupart condamne publiquement l’existence de milices.

 

The National
Dans les colonnes du quotidien australien The National, Michael Karam évoque «le malaise libanais». Alors que le Liban replongeait dans la violence, j’étais à Londres pour la Foire Internationale du Vin. L’une des conférences s’intitulait Faites du vin, pas la guerre. Derrière l’humour à deux sous, émerge l’idée d’un Liban généreux, productif et innovant. Les experts en parallèles historiques, que sont les Libanais, ont majoritairement rapproché les derniers affrontements aux évènements de 1975.
Cette comparaison, je l’ai soumise aux producteurs de vin libanais pour avoir leur sentiment. «Je ne suis pas inquiet», estime Nayef Kassatly. «Il y a trop d’argent investi au Liban pour qu’il parte comme cela en fumée. Nous sommes au Liban. Notre rôle est de tout faire pour que le pays continue d’avancer».
Le secteur privé libanais, son capitalisme familial et les investisseurs du Golfe auraient trop à perdre. Les Libanais, qu’ils soient bénis, ne savent pas envisager le pire. Certainement parce qu’il est difficile de s’inquiéter pour des choses que l’on ne contrôle pas.
Avant 1975, la livre libanaise était forte et le pays était considéré comme la Suisse du Moyen-Orient, le cliché ultime. Alors que les partis politiques distribuaient des armes, et que des cagoules étaient enfilées, un grand hôtel s’apprêtait à ouvrir ses portes. Lorsque la guerre a éclaté, il est devenu le quartier général d’une branche milicienne.
Une septuagénaire libanaise, présente à Londres, résume la situation. «Depuis quelques mois, le Liban était dans une spirale positive. Aujourd’hui, nous sentons que la balance est en train de s’inverser».

 

Al-Hayat
Le quotidien panarabe à capitaux saoudiens, al-Hayat,
revient sur l’antagonisme séculaire qui oppose sunnites et chiites.
Un grand sondage a été réalisé en 2010 sur près de 25000 musulmans dans sept pays arabes pour comprendre les différences entre les sensibilités sunnites et chiites. Lorsqu’on les interroge sur l’économie de marché, 28% des chiites se déclarent favorables, contre 10% des sunnites seulement. Alors que 14% des sunnites interrogés approuvent la séparation entre hommes et femmes sur le lieu de travail, seuls 8% des chiites acquiescent à la proposition.
Sur un plan politique, 48% des chiites interrogés se disent inquiets de la montée de l’extrémisme islamique; ils sont 30% au sein de la communauté sunnite sondée. Concomitamment, 75% des chiites s’inquiètent de l’antagonisme croissant entre sunnites et chiites, alors que seulement 40% des sunnites partagent cette opinion. Quand 19% des sunnites approuvent les châtiments corporels, ils ne sont que 7% du côté des chiites.
Interrogés sur l’influence des Etats-Unis dans le monde arabe, 98% des chiites s’opposent à la politique américaine dans la région, alors qu’ils ne sont que 53% des sunnites à penser la même chose.
Au Liban, 22% des chiites interrogés disent que les attentats-suicide et les attaques contre des cibles civiles peuvent être justifiés dans un conflit. Seuls 9% des sunnites libanais approuvent ce point de vue.

 

Le Point
Julie Schneider, correspondante de l’hebdomadaire Le Point, raconte «la crainte des réfugiés syriens au Liban». Des vitres ont reçu des impacts de balle. Au deuxième étage de cet ancien cinéma délabré et abandonné, situé à Bab el-Tabbané, à Tripoli, ville du nord du Liban, quatre familles syriennes ont trouvé refuge. Matelas posés à même le sol, vêtements, chaussures et autres effets personnels sont disposés sur le béton gris. Avec son mari et cinq de ses enfants, Fatima vit dans ce quartier sunnite, séparé par la rue de Syrie de Jabal Mohsen, le quartier alaouite.
Un drapeau de la résistance syrienne est accroché au-dessus du téléviseur, à côté de celui de l'Arabie saoudite et de l'étendard noir des salafistes. Hamza, 12 ans, pénètre dans cet appartement de deux pièces. Il rapporte avec lui deux dollars. «Il vend des mouchoirs dans la rue, il ne peut plus aller à l'école. Mais il n'a pas le droit de sortir du quartier de Bab el-Tabbané, c'est trop dangereux. Il pourrait se faire enlever», s'inquiète cette mère de six enfants.
«Les familles libanaises de Bab el-Tabbané nous aident beaucoup. Certains imams viennent nous apporter à manger aussi. On se sent en sécurité ici, ils nous protègent», raconte Fatima tout en ajustant son voile. Son mari travaille dans le bâtiment, et les quatre garçons sont des vendeurs de rue essayant de payer le loyer de 200000 livres libanaises tous les mois.
«Beaucoup étaient des ingénieurs, des docteurs, ils faisaient partie de l'intelligentsia syrienne, c'est très dur pour eux de venir demander à manger, constate Rifat Aref Houalla, le directeur du bureau de l'association pour le secteur de la mosquée Taynal.
Installé derrière son bureau, Rifat Houalla déclare que son association, dont le budget s'élèverait à près de 6 millions de dollars, selon ses dires, serait financée par des associations qataries, saoudiennes et émiriennes.

 

J. A-R.

 

Nouvel Observateur
Deux Etats siamois

Voici les principaux extraits de l’éditorial signé par René Backmann, chef du service étranger au Nouvel Observateur. Le Liban et la Syrie, ces deux «Etats siamois» qui n’avaient pas de relations diplomatiques avant 2008, ont aussi en commun la nature communautaire de leurs sociétés, leur exploitation rouée des rivalités confessionnelles, un voisinage conflictuel avec Israël, des rapports troubles avec les Palestiniens et des liens assumés ou contraints avec l’Iran. Autant dire que rien de ce qui affecte l’un n’épargne totalement l’autre. Depuis l’explosion de la révolte syrienne, le Liban a aussi accueilli des opposants au régime de Damas, puis des combattants de l’Armée syrienne libre venus s’y entraîner ou acheter des armes, et plus de 20000 réfugiés. Inévitablement, les affrontements communautaires ou religieux qui sous-tendent la révolte syrienne ont fini, surtout autour de Tripoli, par traverser la frontière. La tension est donc réelle aujourd’hui au Liban, non seulement entre alaouites, chiites et sunnites mais aussi, au sein des communautés chrétienne et sunnite, entre courants favorables et hostiles à la Syrie.

 

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