Magazine Le Mensuel

Nº 2848 du vendredi 8 juin 2012

Economie & Finances

Economie et finance

Nouvelles impositions
Laissez les banques tranquilles

En ces temps d’instabilité sur le double plan politique et sécuritaire, est-il raisonnable que le gouvernement se rabatte sur le secteur financier, qui représente le catalyseur de l’activité économique dans le pays, pour en faire une poule aux œufs d’or générant des revenus nécessaires à la couverture du déficit budgétaire et du gaspillage? N’y aurait-il pas d’autres sources pour alimenter les caisses de l’Etat?
Dans son dernier rapport sur la dette souveraine du Liban, l’agence Standard & Poor’s s’est félicitée de «la flexibilité et de la résilience du secteur bancaire local face aux chocs internes et externes», insistant par ailleurs sur le fait que ce secteur est «une source principale de soutien à la balance des paiements et une source fondamentale de financement des besoins de l’Etat». En plus de ce témoignage, les chiffres ont montré qu’en dépit des circonstances opérationnelles difficiles sur les plans domestique et régional, les dépôts bancaires ont augmenté de 2,6% au premier trimestre, par rapport à la même période de l’année précédente. En ce qui concerne l’activité, les banques libanaises Alpha ont maintenu au premier trimestre 2012 «une croissance modérée», contrairement aux cinq dernières années. Leurs avoirs ont augmenté de 2% sur les trois premiers mois, leurs dépôts de 1,9% et les crédits de 4,1%, tandis que leurs profits nets ont reculé de 0,4% en glissement annuel.

 

Recul acceptable
Selon Bankdata, la proportion de recul des bénéfices nets reste «acceptable», en comparaison aux ratios moyens enregistrés dans la région et dans les pays émergents. Le flux continu de capitaux vers nos banques reflète l’élément de confiance dont jouit le secteur, permettant aux dépôts bancaires de totaliser 118,2 milliards de dollars, ou six fois le volume de la dette publique en devises étrangères. Ce qui donne aux établissements de crédit «une marge plus grande» pour le financement du Trésor. «La confiance dont jouit le secteur bancaire domestique sur un plan régional et international est la résultante d’une discipline de longue haleine à laquelle se sont conformées toutes les banques locales», a souligné le gouverneur de la Banque du Liban (BDL). Riad Salamé était fier d’annoncer que les établissements de crédit opérant au Liban seront en conformité avec les normes de Bâle III avant la date d’échéance officielle, fixée au 31 décembre 2015. Ce qui exige de l’Etat de donner aux agents du secteur l’occasion de se recapita-liser fortement. Compte tenu de toute cette argumentation, le ministre des Finances, Mohammad Safadi, est invité à laisser nos banques tranquilles, pour le bien de toutes les tranches de la société.
Dès que le projet de la Loi de finance a été rendu public, les dirigeants du secteur bancaire ont fait entendre leur voix, dénonçant les nouvelles impositions touchant leurs établissements, et brandissant la possibilité d’un recours en invalidation devant le Conseil d’Etat. De même, les petits épargnants ont exprimé timidement leur mécontentement, certains n’ayant d’autres ressources, en l’absence d’un régime de pension retraite, que le rendement de leur compte bancaire d’épargne. Le projet impose aux sociétés du secteur financier un impôt sur les revenus de 20%, soit un quart de plus qu’elles ne versaient au Trésor un an auparavant. Alors que les autres sociétés commerciales restent soumises à un impôt de 15%, enfreignant la loi de l’égalité devant la loi. Le projet stipule également le relèvement de l’impôt sur les intérêts, qui passerait de 5% à 7%. Ce qui représente un coup de massue pour les petits épargnants, compte tenu de la concentration des gros montants dans un nombre limité de comptes bancaires.

 

Affaire des journaliers
L’Etat n’a plus froid aux yeux

Au pays des chômeurs, les problèmes socioéconomiques s’amplifient d’autant que, contrairement aux règles de la microéconomie qui stipulent que «la restructuration d’une entité privée ou d’intérêt public commence par une purge à partir du haut de l’organigramme» (soit par les personnes à gros revenus et à peu de rendement), au Liban, la réforme s’acharne sur «les personnes faibles du maillon du contrat social».
Le problème a éclaté au grand jour et a mobilisé l’opinion publique lorsque la crise de l’encadrement des journaliers de l’EDL a émergé. Dans cette affaire à dimension sociale, à qui revient la faute? L’une des parties devrait faire les frais de cette décision qui aurait dû être prise depuis des années. Le gouvernement en place en 1992 a décidé le gel total du recrutement par l’Etat de fonctionnaires dans toutes les administrations publiques. L’intention qui sous-tendait cette décision était de réduire le volume du secteur public qui grevait le budget public du fait que les salaires des fonctionnaires représentaient, à l’époque, le poste de dépenses le plus important. Du fait de cette décision, le rôle du  Conseil de la fonction publique en termes d’organisation de concours pour le recrutement de nouveaux commis de l’Etat a été pratiquement suspendu pendant plus d’une décennie. Une seule exception a été faite au milieu des années 2000 avec la reprise des concours d’entrée destinés aux candidats à la fonction diplomatique, vu le manque d’agents diplomatiques de toutes catégories dans les missions libanaises à l’étranger.
La décision du gouvernement de suspendre le recrutement s’est heurtée aux intérêts du clientélisme politique. Ainsi les politiciens, jouant de l’élasticité de la loi, ont eu recours au recrutement de fonctionnaires sur une base contractuelle et/ou journalière dans l’ensemble de l’appareil étatique. Les fonctionnaires sur base contractuelle sont menacés de voir leur contrat résilié d’une manière unilatérale par l’administration qui les emploie après un préavis de deux mois. Cette catégorie de contractuels bénéficie toutefois des prestations de la CNSS et des congés annuels tels que prévus par le Code du travail. Toutefois, les journaliers, comme leur nom l’indique, sont rémunérés par jour de travail effectif. Par conséquent, les jours de chômage officiel ne leur sont pas payés. Ils ne jouissent d’aucune garantie au niveau de la pérennité de leur emploi ni au niveau d’une indemnisation de fin de service et certainement pas de l’option d’une pension-retraite, un choix laissé aux seuls fonctionnaires cadrés de l’administration. A la lumière de ces données, des milliers de contractuels et de journaliers ont été casés par leurs mentors politiques à partir de 1993 (la décision du gel du recrutement ayant tenu moins d’un an). Certains journaliers de l’EDL ont passé près de 20 ans à travailler dans cet établissement. Aujourd’hui, arrivés à l’automne de leur vie, l’Etat veut les lâcher sous prétexte de la réforme. Le gouvernement propose, pour encadrer un certain nombre d’entre eux, un concours d’aptitude. Ces journaliers, s’ils ne sont pas forts au niveau des théories, ont une expérience technique de vingt ans que les nouveaux diplômés n’ont pas. De plus, l’Etat a choisi le mauvais moment pour se débarrasser d’eux. Nul ne refuse que les journaliers qui ne se présentent pas régulièrement à leur travail soient licenciés. Mais pour les autres, c’est une injustice flagrante. Le trou entre les différentes tranches de la société libanaise est profond, d’autant que 28% des Libanais vivent sous le seuil de la pauvreté, et que 20% des citoyens accaparent la moitié de l’ensemble de la consommation interne. 

Liliane Mokbel

 

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