La journaliste Audrey Pulvar, l’une des présentatrices phare du service public en France, était invitée au Liban dans le cadre des Rendez-vous médias de l’Institut français du Liban, en partenariat avec le centre SKeyes. Elle a animé, le 15 juin, la conférence Divertissement et émissions politiques: un mariage difficile? Magazinel’a rencontrée.
Avec toutes les polémiques et les tensions engendrées par les médias, pensez-vous qu’il y a toujours actuellement une éthique du métier de journaliste?
Oui, je crois qu’il y a toujours une éthique du métier. De toute façon, le journalisme est un métier qui réclame de l’honnêteté, de l’ouverture d’esprit et du sens critique. Donc, oui, je pense qu’il y a une éthique, une déontologie. L’émission On n’est pas couché est particulière, car c’est une émission de divertissement connue pour son ton très acide parfois. Il ne faut pas comparer cette émission à un Journal télévisé, beaucoup plus neutre. C’est quand même une émission où on est là pour qu’il se passe des choses, pour qu’il y ait de la confrontation, de la confrontation d’idées, etc. Les Français aiment beaucoup discuter, confronter leurs idées. Il y a de tout temps eu de grandes polémiques, de grandes discussions philosophiques. A mon avis, ça reste dans la continuité de la tradition française.
Est-ce que c’est difficile de parler politique dans des émissions de divertissement?
Oui et non. Parce qu’en même temps, il faut arriver à séparer les choses. Par exemple, dans On n’est pas couché, le politique effectivement est dans une émission de divertissement. Il vient, il fait son interview et il repart. Il ne reste pas tout au long de l’émission. Donc, il n’est pas confronté à des situations qui peuvent le ridiculiser. Même s’il y a du divertissement, il y a quand même un respect de l’homme et de la femme politique invités.
Et par rapport au journaliste, est-ce qu’il y a certaines règles à suivre?
Chacun fait un peu à sa façon. Mais je pense qu’il faut arriver à faire la limite entre le fait que c’est une émission de divertissement et basculer dans la camaraderie. On reste des journalistes qui doivent interroger le politique, avoir une distance avec lui. Ce n’est pas parce qu’on est dans une émission de divertissement qu’il faut se laisser aller à devenir bons camarades.
Le journalisme et la politique sont-ils deux univers incompatibles?
Soit on fait de la politique, soit on fait du journalisme. Mais dans le journalisme, il y a la fonction d’éditorialiste qui est là pour donner un avis, l’argumenter, donc prendre position. Je ne pense pas qu’il s’agit là de faire de la politique, mais d’avoir un positionnement politique. Il y a peut-être certains qui font les deux. Mais je considère qu’on ne peut pas être juge et partie à la fois, alors que le journaliste est censé critiquer le pouvoir politique.
Pour vous donc, la première règle du journalisme, c’est l’objectivité, la neutralité?
Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas avoir de parti pris, un point de vue politique, une opinion. Mais à ce moment-là, on est clairement dans le commentaire, et non dans l’information.
Vu la polémique qui vous entoure actuellement, comment vivre avec le titre qu’on vous a collé de «femme de…»?
Moi, je ne veux pas de ce titre. Je suis Audrey Pulvar. Je ne suis même pas mariée d’ailleurs. Je suis la compagne d’Arnaud Montebourg. Nous vivons ensemble. Mais je reste une personne à part entière. Je ne suis pas sa moitié, je ne suis pas son cerveau, il n’est pas le mien. Nous sommes deux êtres différents et entiers, et je refuse d’être cataloguée.
Mais vous en subissez les conséquences. Comment allez-vous vous battre?
Oui, je continuerai d’essayer de faire mon métier d’une façon ou d’une autre. Je ne souhaite pas forcément continuer l’interview politique, mais au moins, continuer à faire mon métier de journaliste. Il n’y a pas que le journalisme politique. Donc, je continue à rencontrer des gens. Certains me disent qu’ils ne peuvent pas travailler avec moi, parce que je suis la femme d’Arnaud Montebourg, même si c’est pour des choses qui ne concernent pas la politique. Peut-être qu’il y en aura un ou une qui aura le courage de me faire travailler.
Peut-on dire alors que le débat est ouvert en France, dans votre cas comme dans celui de la compagne du président?
Je pense que ce débat ne concerne pas qu’elle et moi. Il dépasse notre personne. C’est un débat qui pose des questions sur les rapports homme-femme, sur l’autonomie des femmes, sur le fait que les femmes travaillent, ont des responsabilités de plus en plus grandes dans le monde du travail et donc des possibilités de conflits d’intérêts plus importants. On verra si le débat continue. Ou une fois que je serai disparue, que Valérie Trierweiler ne pourra plus travailler, peut-être qu’on pourra considérer que le débat est clos. Mais à mon avis, il ne fait que commencer.
Tout au long de votre carrière, est-ce que vous avez fait face à ce genre de problèmes, parce que vous êtes une femme?
Quand j’ai commencé à travailler en Martinique, il y a dix-huit ans, on a dit que c’est parce que j’étais la fille d’un syndicaliste très connue. Ensuite, quand je suis venue travailler à Paris, on a dit que c’est parce que j’étais la compagne d’un homme très influent à l’époque en Martinique. Après, quand j’ai été embauchée à France 3, on a dit que c’est parce que j’étais noire. Voilà, ça n’en finit pas. Mais moi, je sais que tout ce que j’ai obtenu, je ne le dois qu’à moi-même, que personne ne m’a rien donné. Il y a des gens que j’ai sollicités, qui m’ont aidée, ça c’est sûr. Mais rien ne m’a été donné, rien ne m’a été offert, je n’ai hérité de rien et je n’ai eu aucun passe-droit. Moi, je le sais. Maintenant, si les gens veulent continuer à me cataloguer de fille de, femme de, femme noire, femme ci, femme ça… Ouf ! Je ne peux pas modifier leur cerveau.
Donc, la récente polémique fait un peu partie de ce que vous avez déjà vécu?
Oui, mais là c’est un peu fort. Pour le coup, j’ai quasiment eu une interdiction de travail. Tout ça va peut-être s’arranger. Et si ça ne s’arrange pas, eh bien, ça ne s’arrange pas. Il y a des femmes qui perdent leur travail en France tous les jours. Voilà, je vais devoir réinventer ma vie comme on dit.
Propos recueillis par Nayla Rached