Magazine Le Mensuel

Nº 2864 du vendredi 28 septembre 2012

Monde Arabe

Syrie. Statu quo politique et militaire

A Damas, fait sans précédent, l’opposition de l’intérieur tient un congrès sous les yeux du régime. De Turquie, le commandement de l’ASL annonce le transfert de son quartier général en Syrie. A New York, Lakhdar Brahimi se concerte avec les membres du Conseil de sécurité. Pendant ce temps sur le terrain, le sang coule à flots.

Dimanche dernier, 15 partis d’opposition et 8 mouvements populaires se sont réunis sous la houlette du comité de coordination de l’opposition, pour un cycle de réflexion intitulé:«Pour le sauvetage de la Syrie». L’accent a été mis sur la résolution de la crise par les Syriens eux-mêmes, loin de l’ingérence étrangère que d’autres réclament à cor et à cri. Cela sous-tend, bien évidemment, l’arrêt du financement et de l’armement de chacun des camps par des puissances tierces. En tête des objectifs, l’ambassadeur russe, qui participait à la discussion en compagnie de diplomates, algérien, iranien, chinois et égyptien, cite «l’arrêt immédiat de toutes les violences par toutes les parties, sans conditions préalables». La construction d’un Etat laïque et l’éventuel changement de régime sont également apparus au menu de la consultation. Le rapport final exhorte l’émissaire de l’Onu, Lakhdar Brahimi, à faciliter la tenue d’une conférence internationale qui mette en scène tous les principaux acteurs. Il exige également la libération des prisonniers politiques détenus par les services de sécurité de Bachar el-Assad. Encore une fois, la nécessité du respect des six points du plan Annan et de la supervision des négociations par les pays arabes voisins et par les instances internationales a été soulignée. Une tentative de rapprochement entre ce mouvement d’opposition tolérée et le Conseil national syrien (CNS) avait été menée sans succès.

L’ASL en Syrie
Sans surprise, l’ASL et quelques autres groupes anti-Assad n’ont pas accordé une seule demi-once de légitimité à cette conférence. Sans surprise toujours, les médias internationaux avaient choisi leur camp. En effet, pour la plupart d’entre eux, il n’y avait guère, le week-end dernier, que l’arrivée en Syrie du commandement de l’ASL qui soit digne d’intéresser le lecteur.
C’est dans une vidéo postée sur la toile que le colonel Riad el-Assaad, haut commandant de l’ASL, déclarait victorieux: «Nous annonçons une bonne nouvelle à notre peuple syrien libre et héroïque, le commandement de l’ASL est entré dans les régions libérées». Sur le papier, c’est une étape de plus vers le renversement du régime. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) annonce parallèlement que désormais 80% des communes syriennes frontalières avec la Turquie sont hors de contrôle du régime. El-Assaad parle de «libération de Damas» pour «bientôt».
Dans les faits, la situation est beaucoup plus confuse. L’annonce du départ de Turquie du commandement de l’ASL permet au Premier ministre Recep Tayyeb Erdogan de faire taire momentanément l’opposition qui l’accuse d’importer en Turquie le problème syrien. Par ailleurs, l’ASL peine à asseoir son autorité sur des groupuscules en quête d’autonomie. Impossible de savoir qui contrôle quoi. Les bombardements continuent avec d’autant plus d’acharnement que le régime cherche à tout prix à éviter la jonction entre les forces rebelles de la région d’Alep et celles d’Idleb plus à l’ouest. S’il n’y parvient pas, l’ASL prendra un avantage certain grâce à la maîtrise totale de la zone frontalière avec une Turquie qui compte parmi les premiers soutiens à la rébellion. Les morts se comptent par dizaines chaque jour.
D’autre part, cet événement intervient alors que l’ASL fait l’objet de plus en plus de critiques quant à sa légitimité. Ses exactions sont fréquemment mises à jour, ses abyssales divisions internes ne sont plus un mystère. Tchétchènes, Somaliens, Afghans et surtout Libyens, des mercenaires non-syriens peuplent désormais ses rangs. On ne sait pas combien, mais il y en a. Dans ce contexte, un expert confie à l’AFP: «C’est la communauté internationale qui fait pression sur l’ASL pour resserrer ses rangs, car elle s’inquiète de la montée des islamistes et jihadistes au sein de la rébellion».
 

Utilité contestable et contestée
Ce transfert permettra-t-il au commandement d’être plus proche des combattants? C’est ce qu’espère le général Moustapha el-Cheikh, chef du Conseil révolutionnaire supérieur qui chapeaute l’ASL. Pourtant, si on en croit certains de ses combattants, ce déménagement ne va pas changer la donne d’un coup d’un seul. Un porte-parole de la brigade islamiste al-Tawhid va dans ce sens, «l’arrivée d’un seul combattant au front serait plus utile». Il semblerait dès lors qu’on assiste davantage à une opération de communication destinée à l’opinion publique internationale qu’à une radicale transformation de fonctionnement. Bachar el-Assad joue la carte de la conspiration étrangère pour tenter de conserver une certaine cohésion dans ses rangs. Baser l’ASL en Turquie, c’était donner le bâton pour se faire battre. Les différentes factions, souvent en pointe dans les combats urbains qui gravitent autour de l’ASL sont-elles prêtes à se soumettre davantage à l’autorité du général el-Assaad parce qu’il réside désormais en Syrie? Abou Somar, le chef de la brigade Fahd el-Rassoul répond clairement: «La stratégie se décide avec ceux qui sont sur le terrain». Les généraux venus de Turquie doivent craindre au moins l’indifférence, si ce n’est le mépris.
Entre les deux oppositions, la référence commune au plan Annan est un repère déjà obsolète.
De part et d’autre, entrouvrir la porte des négociations, c’est prendre le risque de voir un pied onusien tenter l’élargissement de l’ouverture. Kofi Annan avait déjà laissé son nom à un plan de réunification des deux Etats chypriotes jamais appliqué, il va se croire maudit.

AntoineWénisch
 

Bouchra el-Assad à Dubaï
Des Syriens de Dubaï ont annoncé dimanche que la sœur de leur président avait quitté la Syrie pour la cité-Etat. Selon eux, elle aurait inscrit ses 5 enfants dans un établissement privé de la ville. Pour Ayman Abdel Nour, rédacteur en chef du site d’opposition All4Syria, il ne fait aucun doute que ce départ est lié à de profondes divergences politiques avec son frère. Les conditions de vie sur le territoire syrien devenant compliquées, on peut aussi penser que de simples raisons pratiques aient poussé Bouchra el-Assad à rejoindre le Golfe. Ce qui est certain c’est que les relations entre Bachar el-Assad et sa sœur n’ont pas toujours été au beau fixe. Pour rappel, Bouchra el-Assad avait perdu son mari, le général Assef Chawkat, le 18 juillet dernier dans un attentat qui avait coûté la vie à trois autres hauts dignitaires du régime baasiste.

L’ombre de la Syrie plane sur l’Onu
La 67e session annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies s’est ouverte mardi 25 septembre. En marge de celle-ci, le secrétaire général Ban Ki-Moon avait annoncé que «la Syrie est la priorité de mon agenda». Tout le monde en parle et pourtant aucune rencontre de haut niveau n’est véritablement consacrée au dossier syrien. Paradoxalement. C’est comme si les responsables onusiens avaient pris acte de leur impuissance. Comme s’ils avaient déjà tout essayé. Les déclarations alarmistes s’ajoutent aux désormais banales dénonciations du régime syrien et de ses crimes. Mais pas de décisions concrètes. Un diplomate européen confie que la tenue de nouvelles discussions n’aurait fait qu’«exacerber la polarisation» déjà prégnante et se serait révélée «contre-productive». Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, évoque un «risque d’éclatement de la Syrie» et parle en tout cas d’un conflit qui «risque de durer». Lakhdar Brahimi déclare quant à lui «ne pas avoir de plan complet». Il n’hésite pas; «c’est une impasse».

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