Magazine Le Mensuel

Nº 2883 du vendredi 8 février 2013

general

Mariage civil. Au-delà des barrières politiques

Des dizaines de jeunes et de moins jeunes ont manifesté, place des Martyrs, pour réclamer que le mariage civil facultatif soit institué au Liban. Ils sont de tous bords, de toutes confessions, unis autour d’une même cause. Fait marquant: l’invitation lancée sur les réseaux sociaux insistait sur un point essentiel aux yeux de tous, interdiction aux politiciens de pointer leur nez pour récupérer cette affaire. Et ainsi fut-il.

«Le mariage civil est un droit». «Oui pour le mariage civil, non pour la guerre civile». «La religion prône l’amour, le confessionnalisme la division». «Je suis chiite, je suis sunnite, nous sommes libres de nous marier civilement». Des pancartes colorées portant des slogans sur le mariage civil, la voix de Feyrouz chantant al-Mahabba, un enthousiasme qui fait chaud au cœur, la place des Martyrs vibrait d’une belle énergie, celle de dizaines de personnes unies pour la même cause: demander que le mariage civil soit scellé au Liban. Après une minute de silence dédiée à la mémoire des deux éléments de l’armée assassinés à Ersal dans d’abominables conditions, Roger Bejjani, un des organisateurs de l’événement, prend la parole. S’adressant aux instances religieuses, il dit: «Avec tout le respect que nous portons à vos religions et à vos croyances, nous, peuple du Liban, avec tout le respect, nous vous demandons de vous intéresser exclusivement aux affaires religieuses et de ne pas vous occuper des choix privés des citoyens. Hommes du clergé et cheikhs de l’islam, cessez vos ingérences dans la politique. Vous n’êtes pas élus par le peuple et ce fait vous enlève toute représentativité». Abordant de plain-pied la question du mariage civil, Bejjani insiste sur le fait qu’il est temps que le Liban fasse ce que la France a fait il y a 224 ans, la Turquie il y a 93 ans et la Tunisie il y a 56 ans: adopter une légalisation sur le mariage civil, insistant sur le fait qu’il est temps qu’une loi soit promulguée à cet effet. Pour sa part, Pascale Choueiri Saad, l’une des organisatrices, déclare: «Nous qui croyons en le Liban pays-message, demandons aux responsables, notamment aux députés, d’appuyer notre proposition de voter une loi pour l’instauration du mariage civil facultatif. Que les prochaines élections législatives soient un examen de passage à tout candidat et non un bazar auquel les électeurs sont conduits sans qu’ils n’aient leur mot à dire».
A la question de savoir pourquoi avoir insisté à ce que les politiciens ne participent pas au sit-in, Bahjat Salameh, également un des organisateurs, déclare à Magazine: «Nous tenions à ce que personne ne monopolise notre cause pour l’utiliser à des fins politiques. En revanche, lors de nos prochains projets que nous comptons lancer pour poursuivre notre défense de cette cause, nous coordonnerons avec les responsables politiques, car nous avons besoin de leur soutien pour aboutir à la promulgation d’une loi civile». «C’est la première fois, poursuit-il, qu’un rassemblement parvient à unir toutes les fractions politiques, inclus les indépendants, des citoyens de toutes confessions. Nous avons tous la volonté commune et la détermination d’entreprendre une action déterminante à ce sujet pour qu’ultérieurement chacun fasse pression sur les blocs politiques parlementaires afin d’assurer le succès de notre initiative qui ne peut que contribuer à une déconfessionnalisation qui aura des répercussions positives sur l’ensemble du pays».
Tout a commencé il y a près d’un mois, lorsqu’un couple sunnite-chiite, Khouloud Sukharieh et Nidal Darwiche, décide après avoir contracté un mariage religieux, d’aller chez un notaire et de sceller symboliquement un mariage civil mettant les instances institutionnelles devant le fait accompli. Ils insistent auprès du ministère de l’Intérieur pour que ce mariage soit reconnu, mais la demande est rejetée puisque les conseillés pour les affaires juridiques du ministère de la Justice ont refusé le contrat de mariage. Selon Bahjat Salameh, le couple n’a pas abandonné la partie et compte avec l’aide de son conseiller juridique, Talal Husseini, essayer d’avoir gain de cause. L’initiative du couple qui suscite maints remous, est attrapée au vol par le président de la République Michel Sleiman, qui proclame haut et fort son soutien à ce type d’union. Le chef de l’Etat lance sur Twitter une question à laquelle il demande aux Libanais de répondre honnêtement: s’ils sont pour ou contre le mariage civil. «Nous devons travailler sur la mise en place d’une nouvelle loi sur le mariage civil. C’est une étape très importante pour éradiquer le confessionnalisme et renforcer l’unité nationale. Qu’en pensez-vous?». «Certes, affirme-t-il toujours sur son compte Twitter, des dignitaires s’opposent au mariage civil, mais cela ne change rien à mes convictions: il est temps de répondre aux attentes des citoyens et de préparer des lois adéquates sur la question du  mariage civil». Réponse rapide du chef du gouvernement Najib Mikati qui, d’un revers de la main, rejette la proposition et la relègue aux oubliettes, arguant du fait que les circonstances actuelles ne sont pas favorables pour discuter de sujets controversés qui divisent les Libanais, ajoutant que «cette question ne sera pas discutée tant que je serais Premier ministre». Très vite, le mufti de la République, cheikh Mohammad Rachid Kabbani, crie lui aussi au scandale et, entouré d’un grand nombre d’ulémas, annonce devant les caméras de façon solennelle: «Tout responsable musulman qui donne son approbation à la légalisation du mariage civil est considéré comme traître à la religion. Celui qui approuvera tel projet ne sera ni lavé, ni placé dans un linceul. Il ne recevra pas les prières à sa mort et ne sera pas enterré dans les tombes musulmanes».
L’ancien chef du gouvernement Saad Hariri saisit la balle au vol et déclare lors d’une émission télévisée qu’il n’est pas contre le mariage civil et appuie la promulgation d’une loi à cet effet, se démarquant ainsi de son feu père Rafic Hariri qui, lorsque cette question a été débattue lors du mandat d’Elias Hraoui, s’est prononcé contre. La polémique risque de se poursuivre puisque la société civile est déterminée à poursuivre la lutte jusqu’au bout. D’autant plus que, rappelons-le, paradoxalement la loi libanaise reconnaît les mariages civils scellés à l’étranger.

Danièle Gergès
 

Sur les réseaux sociaux
Sur les réseaux sociaux, un groupe ouvert est créé sous le titre «Nous nous sommes mariés civilement… A votre tour de le faire». En près d’une dizaine de jours, 30000 personnes ont adhéré au groupe et des centaines de couples ont mis les photos de leur mariage contracté à l’étranger. Une pétition pour soutenir le mariage civil a été lancée et signée par près de trois mille signataires. Un sondage publié par le centre de recherche information internationale a montré qu’une majorité de Libanais souhaiterait que le mariage civil soit légalisé au Liban. Réalisé le 29 et le 30 janvier 2013, le sondage montre que 51% des personnes interrogées soutiennent le mariage civil facultatif. A bon entendeur…

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