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Nº 2901 du vendredi 14 juin 2013

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Colloque

Relations euro-méditerranéennes. La Méditerranée, une mosaïque de fractures?

Dans le cadre du colloque organisé à l’Université Antonine, les 6 et 7 juin 2013, différents intervenants et experts se sont prononcés sur les relations euro-méditerranéennes et des défis à relever. Compte rendu.
 

Le partenariat Euromed, ou Processus de Barcelone, a été institué en 1995 à Barcelone, à l’initiative de l’Union européenne (UE) et de dix autres Etats riverains de la mer Méditerranée (Algérie, Autorité palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie et Turquie). Le partenariat euro-méditerranéen a pour objectif de créer un ensemble régional intégré auquel participeraient les pays membres de l’UE et les Pays partenaires méditerranéens (PPM).

 Euromed: le strict échange
«L’objectif des relations euro-méditerranéennes est de transformer la Méditerranée en un espace de paix, de démocratie, de coopération et de prospérité», explique Inaya Wahidi. Les nouveaux accords d’association entre l’UE et le Liban ont réussi à libéraliser progressivement le commerce des marchandises entre eux de 2008 jusqu’à nos jours.
La littérature a, de son côté, révélé que, bien que l’accord de partenariat euro-méditerranéen ait favorisé l’augmentation considérable des importations au Liban de l’UE, celui-ci n’a toutefois eu aucune incidence positive sur les exportations vers l’Union européenne.
«Ceci est probablement dû à l’asymétrie dans la libéralisation des échanges entre l’UE et le Liban», affirme Inaya Wahidi. A la question de savoir quelles sont les raisons qui expliquent, suite à l’accord Euromed, l’augmentation considérable des importations provenant des pays de la région de l’UE, Wahidi constate que l’UE cherche à se développer davantage au détriment de la région Mena (Middle East and North Africa). Dans quelle mesure la création d’une zone arabe libre réussirait-elle à rétablir l’équilibre ou l’augmentation de l’exportation de la région Mena vers l’UE? Quels sont les facteurs qui se cachent derrière le faible niveau des exportations vers l’UE?
Wahidi cite les causes suivantes: d’abord, les produits libanais ne répondent pas aux normes «dictées» par l’UE, ce qui revient à dire qu’ils ne sont pas compétitifs en termes de qualité, de prix, etc. Ensuite, le ministère du Commerce et de l’Economie − pour des raisons de corruption − n’encourage pas suffisamment l’exportation.
Afin de régler ce problème, Wahidi propose ce qui suit: un soutien de la part du gouvernement pour stimuler l’exportation et assurer l’application des lois, l’octroi plus fréquent de prêts par les banques libanaises pour les industries, la création de la zone arabe libre et la protection légale 
des fabricants.

L’après-Barcelone
Dix-huit ans après la conférence de Barcelone en 1995, l’Union européenne est désireuse  de construire un environnement de sécurité, de stabilité et de prospérité avec ses voisins du Sud et de l’Est. Les politiques externes et celles de voisinage de l’UE consistent à faciliter l’aide à la coopération. Mena a déclenché de nombreuses modifications géopolitiques, susceptibles d’affecter les relations de l’Europe avec la région dans les années à venir. Mais le changement de régime et l’apparition ultérieure d’une démocratie arabe fragile au lendemain de 2011 ont contribué à raffermir le pouvoir institutionnel de l’islamisme et des Frères musulmans. Se demandant si les révolutions arabes ne constitueraient pas une fenêtre d’opportunité pour fonder le partenariat Euromed, Elizabeth Kassab met l’accent sur la crise profonde et multidimensionnelle qui a frappé le Nord après la conférence de Barcelone et sur l’entrée en mouvement des sociétés arabes au Sud. De nouvelles opportunités se sont offertes pour ces sociétés avec une modification de la nature de leur rapport avec le Nord.

L’UPM: un projet tombé en désuétude
Se prononçant sur les blocages qui ont paralysé le PEM (Partenariat euro-méditerranéen), Lina Kennouche expose la flagrante contradiction qui se pose entre le cadre multilatéral du PEM et de la PEV (Politique européenne du voisinage). Ainsi, avec la PEV, nous assistons à une réorientation de l’Union à l’Est. La différenciation des objectifs et du niveau de coopération s’apparente à un partenariat à géométrie variable. Plus encore, l’obsession sécuritaire de l’Union européenne se traduit par la question des migrations systématiquement pensée en termes de politiques sécuritaires avec la PEV. En outre, la main-d’œuvre précaire et bon marché pour les besoins économiques de l’UE et l’instrumentalisation de cette question devraient nous pousser à repenser de l’immigration (en termes de cause et d’effet et non de quotas). Kennouche critique également les politiques libérales qui demeurent sans effet sur le développement, mais qui ne sont pas sans effets bénéfiques pour l’Europe. Nous citons à titre d’exemple la baisse des barrières douanières et l’ouverture des marchés des pays importateurs de biens et de consommation européens. D’autre part, c’est au Sud que les effets négatifs se manifestent avec une déréglementation importante de l’emploi et une atteinte aux droits sociaux fondamentaux. Dans le même ordre d’idées, l’ouverture des marchés et le libre-échange n’ont pas réussi à «casser» le système des rentes et les programmes déconnectés des réseaux économiques ne font que privilégier les rapports à sens unique.
Pour en venir aux conséquences de ce blocage qui a paralysé le PEM, Kennouche énonce premièrement la différence de modèle de développement avec, au Sud, la prédominance du modèle rentier. Région constituant la première zone d’importation du monde pour les produits de base en provenance du Nord, les pays du Sud coopèrent peu entre eux.
Projet qui visait à établir une dynamique politique hors de l’UE, à offrir une alternative sérieuse à l’adhésion de la Turquie à l’UE et à permettre à la France d’avoir une mainmise sur la Méditerranée, l’UPM (Union pour la Méditerranée) a finalement maintenu une partie substantielle du PEM, tout en renforçant le fonctionnement intergouvernemental.
Dans le même sens, l’un des maints éléments qui ont contribué à paralyser le PEM, n’est autre que l’hypothèque du conflit israélo- palestinien qui consiste à refuser d’envisager la question palestinienne conformément aux principes du droit international et aux aspirations légitimes de ce peuple. L’intégration d’Israël avec la complaisance des régimes autoritaires et l’incapacité des pays européens à analyser la situation 
de la région en dehors de leurs propres référents historiques et géographiques a été contre-productive.
Elie Assaf, lui, aborde la question de la Méditerranée, du Printemps arabe et de la crise actuelle. Où en est la Méditerranée, alors que la zone euro est en pleine crise politique, économique et financière? Quelles sont les incidences des révoltes arabes et de la crise actuelle sur le partenariat Euromed? Beaucoup de questions à partir desquelles Elie Assaf tire un diagnostic: celui de l’échec du Processus de Barcelone.
Ainsi, avec des stratégies nationalistes de puissances régionales (France, Allemagne…), le repli de l’Europe, l’absence de volonté politique européenne, etc., ne serait-il pas plus sage de «renoncer au PEM pour fonder le PM» (comme le souligne Lina Kennouche)?
Les pistes à explorer seraient à ce moment-là la coopération Sud/Sud avec une ouverture des frontières entre les pays de la rive Sud, la construction d’un espace régional politique et économique solide, la fondation d’un partenariat sur les bases d’une complémentarité démographique, technique, énergétique et financière et la mise en place de politiques économiques de co-développement qui passeront par une remise en cause du néolibéralisme. Renoncer à l’expression même d’Euromed et au caractère euro-centré de son projet, serait-il la solution?

Natasha Metni

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