Magazine Le Mensuel

Nº 2918 du vendredi 11 octobre 2013

POLITIQUE

Dispute sur le magot. Le pétrole attendra, comme le reste

Illustration des difficultés qui paralysent la formation d’un gouvernement d’union nationale, l’absence de consensus, rompu par le Courant du futur, a freiné les centristes au pouvoir et a eu raison de la tenue d’une séance du gouvernement démissionnaire consacrée à la question très stratégique de l’exploitation des sources pétrolifères.   
Les cris d’orfraie lancés par Gebran Bassil, depuis le début de l’été, n’ont pas porté leurs fruits. Le fait qu’il ait réussi à rallier à sa cause le président de la Chambre, Nabih Berry, qui conteste le bien-fondé du processus, mis en place par le ministre de l’Energie, n’a rien changé. Le gouvernement ne se réunira pas pour entériner les deux décrets permettant la relance d’un appel d’offres et l’octroi de licences aux 
46 groupes pétroliers qui se sont positionnés. Pourtant, le Premier ministre démissionnaire Najib Mikati avait indiqué qu’il consentirait à convoquer une séance de son gouvernement si l’ensemble des parties concernées étaient d’accord. Le 8 mars et le Courant patriotique libre (CPL), main dans la main, la décision revenait donc au bloc centriste composé par le chef du gouvernement, le chef de l’Etat, Michel Sleiman, et Walid Joumblatt. La tenue de cette séance butait sur deux écueils. Le premier, soulevé par l’opposition, est d’ordre constitutionnel. Un gouvernement démissionnaire ne peut se réunir pour des questions dites non essentielles. Garant des institutions, le président de la République ne veut pas prendre le risque d’opérer un coup de force, a fortiori constitutionnel. Le deuxième écueil est d’ordre politique.


Répétition générale
Garant politique du gouvernement Mikati, le leader du PSP, Walid Joumblatt, en bon évaluateur des équilibres, a pris acte des prises de position des seuls partis qui comptent à ses yeux. En début de semaine, le bloc parlementaire du Hezbollah a très clairement appelé à la tenue d’un Conseil des ministres extraordinaire sur ce dossier, mettant en avant les velléités d’Israël. Quelques heures plus tard, le bloc du Courant du futur casse le consensus, et de quelle manière! «Le travail sur ce dossier, d’une importance capitale, devrait être entouré de garanties et de cadres nationaux sûrs, jouissant d’un niveau élevé de transparence et d’impartialité, loin des objectifs et des intérêts politiques, égoïstes, partisans et clientélistes», expliquent les députés du parti qui dénoncent les pratiques de Gebran Bassil. Autre angle d’attaque, «le gouvernement démissionnaire est un cabinet chargé de l’expédition des affaires courantes. Constitutionnellement, il n’a pas le droit de décider de cette affaire stratégique». Voulant à tout prix éviter les possibilités de conflit qui pourraient émerger entre sunnites et chiites, Joumblatt a fini par se positionner contre la tenue d’une séance qui froisserait le camp du Futur.
Les alliés du Hezbollah peuvent s’étonner de ce raisonnement. Lorsque Najib Mikati parlait d’un consensus entre toutes les parties, l’ex-coalition du 8 mars pouvait penser qu’il s’agissait seulement des parties membres du gouvernement. La notion de consensus a donc été élargie à l’opposition comme si, le gouvernement d’union nationale qui attend d’être formé, avait déjà pris ses fonctions. «Ils sont en train de proroger le report de l’extraction du pétrole tout comme ils ont prorogé le mandat de la Chambre et de certains individus. Pourquoi le font-ils? Ont-ils peur pour les sociétés pétrolières, peur d’une baisse de leurs gains? Ont-ils peur qu’Israël soit contrarié par l’extraction du pétrole? Ou ont-ils peur que ce soit le Bloc du Changement et de la Réforme qui réalise tous ces exploits pour la relance économique du Liban?», s’est emporté cette semaine le chef du CPL, Michel Aoun.

Consensus du vide
L’épisode politique du dossier du pétrole est instructif, il préfigure les obstacles auxquels butera, s’il venait à être formé, le gouvernement d’union nationale présidé par Tammam Salam.
La distribution des rôles d’abord. Najib Mikati, pourtant désigné en son temps par le Hezbollah et le CPL, a su ménager la sensibilité d’un Courant du futur dans l’opposition en l’intégrant dans ses décisions de Premier ministre. Le positionnement du Premier ministre désigné, nommé par tous, aura au moins le mérite d’être plus clair. Alors, quel rôle pour le trio centriste Sleiman-Salam-Joumblatt? La formule des trois 8 lui permettrait, par sa seule initiative, d’annuler de manière active les provocations d’un des camps contre l’autre. Un poids et une responsabilité politique que le seul Joumblatt, présent au Parlement, ne peut assumer. Le 9-9-6 lui suffit pour continuer de jouer le rôle de tampon entre les deux camps. Pour préserver l’équilibre, les deux forces agissantes doivent s’annuler; or c’est justement parce qu’elles s’annulent que la formation d’un gouvernement s’avère impossible.
Les désaccords entre les deux camps n’ont pas changé, ils sont toujours aussi profonds. Selon le président du Parlement, Nabih Berry, «le Courant du futur est le seul à n’avoir pas encore donné de réponse définitive à mon initiative. J’attends toujours sa réponse. Qu’il accepte mon initiative et nous verrons alors si les propos de certains à son égard sont vrais. Lorsque l’invitation pour la reprise du dialogue sera lancée, la véritable position de tous les protagonistes se clarifiera». Le leader du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad: «Si la formation du cabinet est liée à la mise en échec de l’équation armée-peuple-résistance, alors ils devront longtemps encore attendre ce gouvernement. Si cette équation s’inscrivait dans la déclaration ministérielle de n’importe quel gouvernement à venir, qu’est-ce qui resterait du Liban et de l’unité nationale libanaise?». Quant à son collègue Ali Fayad, il déclare: «A cause de ses alliances régionales, le 14 mars est responsable du retard dans la formation du gouvernement».


Gouverner sans programme
De son côté, le 14 mars n’a pas bougé d’un iota. Le député de la coalition Boutros Harb: «Il n’est pas permis que le président de la République soit amené à céder sa prérogative la plus importante, celle de donner son accord à la formule gouvernementale. De même qu’il n’est pas permis que le Premier ministre désigné abandonne son pouvoir de former le cabinet en collaboration avec le président». Elie Marouni, député phalangiste de Zahlé: «Nous refusons le renflouement d’un gouvernement corrompu et non productif».
Pourtant, tous s’accordent sur la nécessité d’un nouveau gouvernement. Najib Mikati a même appelé les différentes parties à «ne pas parier sur des changements régionaux pour ne pas noyer le Liban dans des conflits». «La confiance doit être établie entre les parties politiques et un nouveau gouvernement doit être formé. Il n’est pas acceptable de rester coincé dans la spirale des conditions. Les intérêts des Libanais sont gelés et les dossiers économiques et sociaux sont nombreux et ne peuvent attendre davantage».
Le 14 mars ne veut plus tergiverser. «Attendre la formation d’un nouveau cabinet est vain», a expliqué le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, proposant ainsi «un vote de confiance au Parlement sur une équipe gouvernementale que le président Sleiman et le Premier ministre Salam auraient formée».
Le chef de l’Etat a eu beau rassurer tout son monde en indiquant que «rien ne justifiait les propos sur une prorogation» de son mandat, l’horizon reste toujours aussi nébuleux car la solution ne peut venir que d’ailleurs. Voilà à quoi sont suspendus les responsables politiques du pays. Prise après l’accord américano-russe sur les armes chimiques en Syrie, la photographie diplomatique de la région est encore floue.

Julien Abi Ramia

Après le S-S, Berry mise sur le S-I
A l’issue de sa rencontre avec le chef du 
Parlement iranien, Ali Larijani, et en marge de l’Assemblée de l’Union interparlementaire qui se tient à Genève, le président du 
Parlement, Nabih Berry, a souligné «l’importance du rapprochement irano-saoudien et de ses répercussions sur la situation dans la région, puisqu’il permet des percées sur la situation au Liban. Nous avons discuté des développements récents et l’Iran est un acteur-clé sur les scènes 
internationale et régionale». Réponse de Larijani: «Le Liban est un petit pays, mais il possède une énorme force de résistance».

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