Magazine Le Mensuel

Nº 2920 du vendredi 25 octobre 2013

Événement

Wafa Khochen. Quand l’art se fait partage

Vétéran de la musique au Liban, organisatrice de festivals de rue rassembleurs et d’événements artistiques audacieux, Wafa Khochen n’a de cesse d’aller au-delà des limites. De secouer idées, inspiration, travail acharné et persévérance pour faire jaillir le Beau, le donner en partage.

Depuis quelques semaines, les internautes mélomanes peuvent avoir accès à plus de 250 heures de musique concoctées par Wafa Khochen, vétéran de la musique au Liban, animatrice de programmes musicaux sur Radio Liban, 96.2 F.M. MicroOndes, Flashback… Nous sommes très nombreux à attendre ces tranches musicales qui passent sur les ondes hertziennes, quatre jours par semaine. Désormais, nous pouvons les écouter sur la Toile, sur le site www.wafakhochen.com
Non seulement les écouter en mode «streaming», mais les télécharger pour les avoir toujours à portée de main et ensuite les enregistrer sur un support CD, à mettre en voiture ou chez soi. Et c’est ce que Wafa veut. «Ce que je connais, je veux le partager, gratuitement». Cette gratuité pourra étonner certains, habitués à l’individualisme qui voudrait qu’on garde pour soi ce qu’on a, ce qu’on connaît le mieux, quitte peut-être à n’en révéler que quelques bribes, question de pouvoir, de mainmise, de compétition. La question même l’étonne. «Sûrement, gratuitement. La musique n’appartient à personne, c’est un langage. Pourquoi garder pour soi les belles choses? En tout cas, personne n’est là pour rester éternellement». Le site Web se décline donc comme autant de traces d’une vie, des traces positives, des archives de ces belles choses que Wafa a de tout temps partagées, voulu partager, aimé partager.
Ce qu’elle met à disposition des internautes mélomanes, ce n’est pas simplement des morceaux de musique et des chansons, mais des compilations d’une heure, soit donc toutes les émissions radio qu’elle a pu enregistrer. Et chaque émission est un monde en soi. Parce que la compilation ne se fait jamais de manière arbitraire. Jamais. Et c’est ce qui distingue la musique choisie par Wafa. Il ne s’agit nullement d’entasser une quantité de morceaux et de connaissances, mais de créer «un mood», une ambiance, que l’auditeur perçoit, avec laquelle il communique, à son insu, sans comprendre comment ni pourquoi. Elle s’insère tout simplement en lui. C’est que derrière les coulisses, Wafa a pris son temps, tout son temps, pour enchaîner une chanson après l’autre, changer, permuter, sentir, ressentir, laisser la musique lui parler, pour nous parler.
Encouragée par un de ses fidèles auditeurs, elle décide finalement de se lancer dans ce projet qu’elle avait depuis longtemps en tête sans que les contours en soient précis. L’idée se peaufine avant de naître sous la forme d’un site Web qui s’impose comme le meilleur format, la meilleure plate-forme.
C’est aussi une manière de montrer l’autre facette de son travail, de sa passion, toujours dans le domaine des arts. Une facette qu’on connaît moins; la direction artistique, l’organisation de festivals de rue au moment où le concept n’avait pas encore fait son apparition au Liban. Un concept auquel Wafa accorde une grande importance, un concept nouveau, avant-gardiste: proposer aux gens de tous les âges, de toutes les classes sociales, de toutes les régions, sans aucune distinction, des spectacles de qualité, sans prise de tête, des spectacles visuels emmêlant rêve, merveilleux et féerie. En 2004, sous l’égide de son association Nabadd, elle organise l’événement Les noces du port, à Tyr, sa ville natale. Durant trois soirées consécutives, des milliers de personnes affluent dans la ville, se délectant des spectacles choisis minutieusement, après des années de recherche.
Le couronnement d’un travail qu’elle avait entamé des années auparavant à travers l’organisation de multiples événements artistiques à une moindre échelle. Mais voilà, Wafa a de tout temps aimé les défis, ne se reposant jamais sur ses acquis, désirant toujours pousser les limites loin, encore plus loin. Ces mots ne cessent de revenir au fil de la conversation. Des défis, elle en a relevé, dans chaque détail des événements qu’elle organise, qu’elle construit comme un puzzle pour créer un tableau final, symbolique à plus d’un niveau, ouvert à l’improvisation, à la rencontre entre artistes locaux et étrangers, à la rencontre des Libanais entre eux.

 

Lutter pour continuer à lutter
Des défis, elle en a relevé, et de taille, luttant toujours, malgré la fatigue, faisant face à mille et un problèmes, mille et un obstacles, qui surgissent toujours, dès qu’on brandit le mot culture ou arts. D’autant plus que, généralement, au Liban, ces événements sont élitistes, alors que Wafa, elle, désire s’adresser à tout un chacun, les rassembler tous sous un même chapiteau. Et elle a réussi à le faire, à plus d’une reprise. Les noces du port de 2004 ont été suivies, en 2009, de Zalghoutet el-corniche à Tyr, Erss al-madina à Saïda, puis en 2010, Erss al-madina, respectivement à Saïda, Beyrouth et Tripoli.
«Notre quotidien est pétri de violence. La culture de la mort est partout. Comment alors donner la culture de la vie? C’est une forme. Je ne prétends pas changer une société, mais j’aime ce travail. C’est une passion, affirme-t-elle. Et je suis triste de ne pouvoir continuer. Ce n’est pas évident au Liban. C’est frustrant d’attendre de pouvoir faire, en fonction des autres et de la situation du pays. Et tout le monde arabe en a besoin». Mais Wafa ne désespère pas, malgré tout. Elle compte persévérer, elle l’a toujours fait, elle continuera à le faire. Les défis la motivent davantage. Mais elle ne peut pas revenir en arrière, dans la qualité de ce qu’elle propose, dans l’ambiance qu’elle crée à chaque fois, dans sa manière d’adoucir le monde, de distiller un peu de beauté, de réveiller le désir du beau qui sommeille en chacun de nous.
Et depuis plus d’une trentaine d’années, elle le fait, en musique, à Radio Liban, où elle a remplacé son frère, Mohammad, dont elle se considère la «disciple», l’élève, au début des années 80 comme animatrice de programmes musicaux. Là aussi, que de défis relevés, que de limites brisées, que d’horizons ouverts. Dans le renouvellement, dans la créativité, dans la découverte, la redécouverte. «On ne peut jamais être confiant dans les choses créatives. Il faut toujours se renouveler, donner encore plus. Je n’aime pas l’acquis», dit-elle encore une fois. Règles et limites brisées, Wafa va droit au but. Dans ses émissions, elle ne dit que l’essentiel; le titre de la chanson, le nom de l’artiste, l’année. En évitant tout autre terme restrictif, parce que la musique, quand elle est de qualité, n’a pas d’âge, elle reste éternelle. Wafa Khochen a de nombreux, très nombreux auditeurs, qui lui sont fidèles. C’est d’eux, auprès d’eux, ceux qui ont été le témoin de l’impact de son travail, qu’elle puise son énergie, sa force, sa motivation, sa détermination à passer outre la routine et les problèmes. «Tant que j’ai du souffle j’irai jusqu’au bout. Il est interdit d’arrêter». Elle se le répète à elle-même, de plus en plus consciente de la responsabilité qu’elle a.
Wafa ne se sent pas la personne la mieux placée pour parler de son travail, de sa passion. Authentique, toujours authentique avec elle-même et avec les autres. Authentique pour l’amour du Beau, pour le partage du Beau, pour la communication en musique, en art, ce moment de paix qui tisse des affinités, qui donne naissance à des amitiés soudées par une même façon d’être, de penser, de vivre. Authentique jusqu’au bout, passionnée jusqu’au bout. Et ses passions la révèlent, parlent pour elle.

Nayla Rached
 

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