Magazine Le Mensuel

Nº 2923 du vendredi 15 novembre 2013

Livre

Moi et la loi de Lina Zakhour. L’abécédaire du droit libanais est né

Après avoir passé dix ans à écrire des chroniques juridiques pour Femme Magazine, Lina Zakhour se décide en 2013 à en faire un livre, toujours aux abonnés absents des étagères. Un livre sur la loi au Liban. Car oui, au Pays du Cèdre, des lois existent.

Le 2 novembre dernier, autour d’une table ronde sur le thème Un acte de foi en un Etat de droit, en écho à la publication du livre Moi et la loi de Lina Zakhour, l’ancien ministre de l’Intérieur, Ziad Baroud, avocat de profession, débute ainsi son intervention: «Moi, juriste, on m’a appris à la faculté que moi, citoyen, je ne suis pas censé ignorer la loi. Or, la loi est compliquée, d’accès difficile, parfois inhumaine, quelquefois injuste… Grande est la différence entre le droit et la loi. L’Etat de droit est méritoire, l’Etat de la loi est dérisoire. Le droit s’attache aux valeurs, ses fondements plongent dans les profondeurs des obligations naturelles; la loi, elle, est l’œuvre des hommes; ceux-là qui, parfois − peut-être souvent − laissent primer les intérêts privés, les leurs, même dans un texte de loi. La loi reflète ainsi un état d’esprit, non un Etat de droit».
Le défi que s’est lancé Lina Zakhour: dépoussiérer les gros pavés de droit en proposant un ouvrage attrayant, teinté d’humour, grâce à une plume aiguisée et des illustrations signées Cynthia-Maria Aramouni. Un ouvrage vulgarisant la connaissance juridique pour la rendre accessible à tous. Vulgariser les lois oui, les tronquer non! Car Lina Zakhour ne rigole pas avec le sens des mots, pour une avocate au barreau de Beyrouth et une chercheuse consultante spécialiste du discours, ça ne s’invente pas. «Tout ce que dit la loi est dans le livre», souligne-t-elle.
Durant plus d’un an et demi, elle retravaille ses chroniques, les fusionne, ajoute des thématiques et les met à jour. Son fil conducteur: la vie d’un citoyen libanais, de sa naissance à sa mort. Ainsi au fil des pages, Lina Zakhour dresse un portrait du panorama législatif libanais allant de la compétence des tribunaux judiciaires, au civil et au pénal, n’abordant ni les droits constitutionnels et administratifs, ni les lois confessionnelles qui régissent le statut personnel. On y découvre les textes de lois en vigueur sur l’adultère, les mœurs, l’avortement, la prostitution, la propriété, la location, les congés payés, la sécurité sociale, le fonds de commerce, les droits des consommateurs, l’héritage, etc. En un mot, un véritable guide pratique des lois au Liban, habilement maquetté à renfort d’encadrés Notez-le, Alerte rouge, Bon à savoir ou encore A retenir.
«Pourquoi savoir faire une bonne moghrabié et ne pas connaître ses droits? lance la jeune avocate. Comprendre les lois d’un pays, c’est en comprendre la philosophie. Ce livre se veut à la fois un guide pratique, mais aussi un ouvrage de sensibilisation des Libanais à la culture de la légalité. Oui, nous avons des droits au Liban», confirme-t-elle aux sceptiques. Et si certaines personnes lui ont soutenu qu’un tel ouvrage n’avait pas de sens au Liban, «à quoi bon, qui applique les lois?», Lina Zakhour livre son plaidoyer sans ambages. «Certes, au Liban, la loi du plus fort prédomine souvent, mais il existe des tribunaux et des avocats qui font encore leur métier. C’est un fait, les lois existent, et elles s’appliquent à nous. Si nous en avons une meilleure connaissance, nous pouvons essayer de les changer. Ce livre est un acte de foi, assure-t-elle. Ce n’est pas un combat facile mais un acte militant de résistance, contre la loi du plus fort, contre la loi de la jungle. Il faut distiller dans la société cette culture de la légalité, cette conscience civique. Ce qui m’intéresse, c’est informer les Libanais pour qu’ils s’approprient leurs droits. Les lecteurs vont découvrir des lois qui, peut-être, vont les faire hurler», note-t-elle. Et à première vue, il y a du boulot! Si, depuis 2000, la discrimination fondée sur le genre entre les salariés est interdite (salaires, promotions, recrutement, etc.), l’épouse adultère encourt toujours une peine de prison pouvant atteindre le double de celle d’un mari infidèle. L’auteur d’un viol peut contracter un mariage régulier avec sa victime pour suspendre les poursuites ou encore une victime de viol se voit toujours interdire l’avortement en cas de grossesse.
Le ministre Ziad Baroud conclut: «Moi et la loi, c’est un peu Le Routard de notre existence juridique, avec moins de bonnes adresses à visiter et beaucoup de moins bonnes à éviter. Les destinations sont nombreuses; encore faut-il ne pas rater le train…».
Quant à la possibilité de voir paraître une nouvelle édition régulièrement mise à jour?… «Les députés ne se réunissent même pas au Parlement. Je pense que ce livre a une longue vie devant lui», ironise l’auteur. 


Delphine Darmency

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