Magazine Le Mensuel

Nº 2936 du vendredi 14 février 2014

Paul Khalifeh

Le coup de maître de l’armée

En quelques semaines seulement, l’Armée libanaise a identifié, arrêté et mis hors d’état de nuire de dangereux terroristes responsables de nombreux attentats qui ont ensanglanté le pays ces derniers mois. L’arrestation, mercredi, du Palestinien Naïm Abbas, est un coup de maître. Elle a permis d’épargner au Liban un véritable carnage, qui devait se produire entre vendredi et dimanche. Les deux véhicules piégés neutralisés étaient bourrés de 100 kilogrammes d’explosifs chacun. Celui intercepté à Mazraa était censé attaquer les locaux de la chaîne de télévision al-Manar, pendant la retransmission d’un discours de Hassan Nasrallah. Certaines sources affirment que c’est l’ambassade de Russie, à Mazraa, qui devait être prise pour cible. Le deuxième devait viser la région de Ghobeiry. Dans le même temps, des roquettes seraient tirées à partir des hauteurs de Damour ou de Naamé vers la banlieue sud.
Des sources de sécurité concordantes affirment que les Brigades Abdallah Azzam, la branche libano-palestinienne d’al-Qaïda, ne sont pratiquement plus opérationnelles. La plupart de leurs agents de liaison entre les réseaux au Liban et en Syrie sont soit sous les verrous, soit dans la tombe. L’effort exceptionnel de l’armée a permis de déterminer le mode d’action de ces réseaux, de localiser les plus importantes cellules et d’en identifier les responsables. Ceux qui sont encore en vie auront de plus en plus de mal à se mouvoir et à opérer, surtout que l’étau se resserre autour de Yabroud, leur base arrière.
Ces sources de sécurité expliquent que les Brigades Abdallah Azzam constituent le point d’intersection entre plusieurs groupes. Leur particularité c’est qu’elles opèrent d’une manière transversale, grâce aux relations qu’elles ont tissées avec la plupart des organisations liées à al-Qaïda. Elles assurent elles-mêmes la logistique nécessaire à la préparation des attentats à l’intérieur du Liban (caches d’armes, garages, appartements etc.), se procurent les armes et les explosifs auprès d’un autre groupe, et recrutent les kamikazes dans les rangs d’un troisième. Cependant, c’est aussi leur point faible, car ce mode opératoire décentralisé facilite les fuites d’informations et l’infiltration des réseaux.
Les succès réalisés par l’Armée libanaise sont le fruit d’une longue expérience et d’un grand professionnalisme. Ils sont aussi le résultat du soutien apporté à l’institution militaire non pas par la classe politique libanaise, mais par la communauté internationale. Soucieux de préserver la stabilité et la sécurité du Liban en cette période explosive au Moyen-Orient, les pays occidentaux, emmenés par les Etats-Unis, ainsi que la Russie, ont pris la décision, il y a quelques mois, de miser à fond sur l’armée. Cette couverture externe a neutralisé la campagne de dénigrement systématique dont elle était la cible au Liban de la part de députés et d’hommes politiques proches de mouvements islamistes, qui ont ouvertement mis en doute le patriotisme de son commandant en chef, le général Jean Kahwagi, en vue de saper sa légitimité. Ce soutien s’est exprimé dans tous les communiqués publiés ces derniers mois à l’occasion de réunions ou de sommets internationaux. Le financement saoudien de trois milliards de dollars d’armes françaises destinées à la troupe (qui bute sur certains obstacles) et la rencontre internationale prévue prochainement pour soutenir l’Armée libanaise, en sont aussi l’illustration.
L’armée a en outre bénéficié d’un savoir-faire, d’un échange de renseignements et de matériel sophistiqué fournis par les Etats-Unis et d’autres pays.
Le commandement de l’institution militaire a su saisir ce momentum international et l’a investi pour intensifier la lutte contre les réseaux terroristes qui menacent de plonger le Liban dans le chaos. On ne peut pas en dire autant de la classe politique locale. Empêtrée dans ses querelles de poulaillers, elle n’a pas su exploiter cette fenêtre d’opportunité, qui s’est également manifestée dans le domaine politique, avec l’encouragement à former un gouvernement rassembleur.

Paul Khalifeh

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