Magazine Le Mensuel

Nº 2944 du vendredi 11 avril 2014

general

Aoun-Geagea. Ce qui les sépare, ce qui les rapproche

D’un côté, un candidat naturel allié du Hezbollah qui revendique son statut de premier représentant des chrétiens, fort d’une nouvelle ouverture envers le Courant du futur. De l’autre, un candidat déclaré qui porte les fondamentaux maximalistes des sympathisants du 14 mars dont l’objectif est de freiner la marche des non-alignés. La restructuration en cours de la scène régionale leur offre de nouvelles perspectives. Légitimité communautaire, soutien des alliés, ouverture aux adversaires et 
blanc-seing des grandes puissances, voilà pour la tactique. Leurs programmes? Une tout autre histoire.

L’enjeu des chrétiens d’Orient
Une divergence née des propos du patriarche en France, en septembre 2012, qui expliquait alors les dangers encourus par la communauté chrétienne de Syrie face à la radicalisation de
la rébellion fondamentaliste fomentée de l’extérieur. «Le patriarche Raï, par ses propos, met tous les chrétiens de la région en danger, en les plaçant à contre-courant de la majorité», estimait alors Samir Geagea, qui a pris fait et cause pour la chute du régime de Bachar el-Assad. Le leader des FL explique «défendre la présence des chrétiens au Moyen-Orient à travers un angle humaniste, dépouillé des épouvantails et de la peur». Une lecture à laquelle s’oppose diamétralement Michel Aoun, qui s’est fait le chantre de la défense des chrétiens d’Orient à Bkerké, au Vatican, en se rendant à Brad en Syrie et en organisant un rassemblement politique autour de cette question. «Les extrémistes musulmans élimineront rapidement les chrétiens, alors que les dictatures le feront plus lentement», expliquait-il en novembre dernier.
 

Bkerké, la maison mère
Pour la présidentielle, Michel Aoun et Samir Geagea ont accepté de se mettre sous la coupe de Bkerké; mais à des degrés différents. En décembre dernier, le leader du Courant patriotique libre (CPL) appelait «les pôles maronites à se regrouper autour de Bkerké et à choisir, après discussions, le candidat qu’ils jugent convenable au poste de président de la République». Le général et le patriarche semblent s’accorder sur une même vision stratégique de la place des chrétiens au Liban. Avec Samir Geagea, la donne est différente.
«Seules les considérations sécuritaires étaient dernière mon absence de la dernière réunion des dirigeants maronites à Bkerké», a expliqué ce mardi le leader des Forces libanaises (FL). Voilà qui met en lumière les relations tout juste cordiales qu’il entretient avec le patriarche Béchara Raï. Bien que le leader des FL ait soutenu la charte nationale de Bkerké, ses positions alambiquées lors de la séquence sur la loi électorale o
nt illustré les différences d’appréciation entre Maarab et Bkerké.
 

Programme socioéconomique flou
Le CPL et les Forces libanaises s’inquiètent énormément de la situation économique du pays. Le leader des FL l’a dit cette semaine, «c’est la situation critique durant les dix derniers mois au niveau politique, sécuritaire et économique qui était derrière l’annonce de ma candidature à la présidentielle». Dans sa réflexion, la détérioration de la situation économique est avant tout la cause de l’instabilité générale du pays, mais Samir Geagea est plutôt un libéral qui a fondé la LFBC, (la communauté des hommes d’affaires des Forces libanaises).
Du côté du CPL, l’expérience des ministres issus du parti dans les ministères de l’Energie, des Télécoms et du Travail dessine une ligne libérale managée par un Etat stratège qui assurait un service public de première nécessité et des infrastructures viables. Les deux partis sont fortement représentés au sein de l’ensemble des syndicats professionnels.  

Présidents rassembleurs
«Si je remporte la course présidentielle, je serai bien sûr le président de tous les Libanais», a indiqué le leader des FL, «mais selon la vision du 14 mars», ajoute-t-il. «La logique de la Résistance n’est plus compatible avec celle de l’Etat». Clairement, Samir Geagea se pose en candidat du 14 mars décidé à appliquer le projet national de la coalition. Une candidature de témoignage qui vient contrecarrer celle de Michel Aoun qui avait jusque-là le champ libre. Le leader du CPL qualifie sa candidature de manière différente. «Je ne me porterai pas candidat face à Samir Geagea. Je ne suis en compétition avec personne», comprendre: je porte une candidature présidentielle de rassemblement qui ne doit souffrir d’aucune contestation. Une logique jusqu’au-boutiste qui reflète en tout cas sa volonté de s’élever au-dessus des contingences.

Le vrai dossier qui les oppose
Appelés à répondre sur le rôle et la liberté de la Résistance, question que l’engagement en Syrie du Hezbollah a rendu plus que jamais saillant, les deux hommes développent deux théories différentes. «Si je suis élu président, je retirerai les combattants du Hezbollah de Syrie», expliquait le leader des Forces libanaises le 26 mars dernier. Au lendemain de l’annonce de sa candidature, il infléchit son discours: «Mon programme politique consiste à élargir le rôle de l’Etat, non à réduire celui du Hezbollah». Une inflexion qui rejoint l’idée d’un discours moins clivant, plus rassembleur.
Le document d’entente, signé en 2006, lie Michel Aoun au Hezbollah et à ses alliés les plus proches de manière indéfectible. Mais ses récentes déclarations ont enrichi son discours à l’adresse du parti. Après avoir réclamé «le retrait de toutes les forces de Syrie», il a expliqué que «le Hezbollah pourrait s’être ingéré en Syrie pour défendre le régime ou pour se protéger lui-même». «Si nous voulons dissoudre la Résistance, il faut armer nos troupes comme force de dissuasion face à Israël», ajoutant avoir «payé le prix de mon alliance avec le Hezbollah, surtout en ce qui concerne la présidence de la République. Mais mes alliances avaient une nécessité: garantir la stabilité du Liban». Un discours qui parle forcément au Courant du futur.

Les puissances régionales tranchent
«Je cherche à construire des relations amicales avec tous les pays arabes tout en préservant la liberté et la souveraineté du Liban, et nous nous opposons à un Etat qui menacerait notre existence pour ses intérêts personnels», explique Aoun. Tous appellent à l’élection d’un président «100% libanais» mais la manière dont les ambassadeurs et les chancelleries s’intéressent à l’échéance dessine une tout autre réalité. L’Iran, la Syrie par ricochet, et l’Arabie saoudite sont les premiers concernés. L’ouverture de Riyad en direction du général a préparé le rapprochement entre ce dernier et Saad Hariri. Visiteur plus régulier, l’ambassadeur d’Iran, Ghadanfar Rokon Abadi, apprécie l’homme. Geagea semble plus direct. «Si l’Iran continue d’envoyer des armes illégales au Liban, l’Etat libanais devra aller jusqu’à geler ses relations avec Téhéran», dit-il à al-Charq al-Awsat.

Le Futur, partenaire incontournable
La formation du gouvernement parachevé par Saad Hariri a parasité les liens que le probable futur Premier ministre entretenait jusqu’alors avec les deux pôles chrétiens. Les rencontres entre les cadres du CPL et du Futur accréditent la thèse d’un «dialogue sérieux visant à stabiliser le pays», tel que l’a expliqué Michel Aoun. D’un soutien de ce dernier à la présidentielle? Cette possibilité est ce qui a précipité la déclaration de candidature de Samir Geagea, histoire de mettre Hariri devant le fait accompli et de clarifier ses positions. Aoun a prévenu: «Un appui du Futur et du 14 mars à la candidature de Geagea aurait des répercussions négatives». Ahmad Hariri, secrétaire général du Courant du futur, a le mieux décrit la stratégie interne des deux candidats à la présidentielle: «Le général Aoun, en sa qualité de candidat à la présidence, tend à combler le fossé avec le président Hariri, tout comme le Dr Geagea tente de combler le fossé avec le Hezbollah».

L’Occident consulte
En janvier dernier, Michel Aoun se montrait critique envers les Etats-Unis. «Ils ont choisi la Syrie comme arène pour venir à bout de l’influence de la Russie sur cette partie de la région, et pour séparer la Syrie de l’Iran et le Liban de la Syrie, en vue d’affaiblir toute la région». Aujourd’hui, il appelle à «un dialogue entre les pays arabes et occidentaux». Les indiscrétions de l’ambassadeur des Etats-Unis, David Hale, et les bruits de couloir qui en découlent, montrent que le dialogue avec Rabié a été rétabli. Samir Geagea a, lui, été déçu par Barack Obama. Dans une lettre ouverte publiée en août dernier, le leader des FL déplorait «l’absence de toute action tangible en Syrie». Une déception qui traduit la colère de son leader contre les tergiversations occidentales, en Syrie et face à l’Iran. La Russie, soutien de Damas et des chrétiens d’Orient, et son ambassadeur, partagent de nombreuses convergences avec les positions de Michel Aoun.

Julien Abi Ramia

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