Magazine Le Mensuel

Nº 2949 du vendredi 16 mai 2014

Livre

Beyrouth, chroniques et détours. De passé et d’espoir

Publié aux éditions Tamyras, l’ouvrage collectif Beyrouth, chroniques et détours se faufile à travers le passé de la ville dans l’espoir d’une vision qui tisserait des liens entre Beyrouth et ses habitants, entre son histoire et son avenir…
 

Le titre Beyrouth, chroniques et détours intrigue toujours, même si tellement de choses ont été dites et redites sur Beyrouth, sans jamais vraiment la cerner tellement cette ville, et au regard des Libanais et celui des étrangers, se complaît et se meut dans ses multiples contradictions, dans ses multiples couches qui s’entrecroisent et s’annulent mutuellement. Et c’est pour cette raison que l’ouvrage attire d’emblée le lecteur à venir, moins curieux d’affleurer l’approche personnelle des chroniques que de se perdre dans les détours de la ville, se demandant quels secrets va-t-il encore découvrir, quels endroits cachés qui n’attendent qu’à être révélés.
Divisé en trois parties, Perte – Flashback – Destin, qui s’ouvrent chacune par une citation d’un célèbre écrivain suivie d’une explication des pages qui vont suivre, l’ouvrage fait défiler dix-neuf textes écrits par une vingtaine de jeunes auteurs et journalistes, des Libanais d’origine et des étrangers, vivant au Liban ou entre divers pays. «Chaque histoire, extraite des crevasses et fissures des murs de la ville, est un morceau de mémoire. Un hommage à quelque chose qui n’a peut-être jamais vraiment existé. Des souvenirs, des espoirs…», dit Nasri Atallah dans la préface. C’est justement cette ambiance qui s’installe à la lecture et de laquelle on n’arrive pas à se détacher. Beyrouth semble ne pas avoir de présent, mis à part la relation ambiguë qu’elle tisse avec ses citoyens, parce que son présent n’est qu’une transition, toujours une transition, dans l’espoir nostalgique d’un impossible retour en arrière, de cet avant c’était mieux!, expression devenue presque un lieu commun, toutes générations confondues. «Le Beyrouth d’hier, qui ressurgit dans certains recoins d’un présent boiteux», lit-on au fil des pages. Et pourtant, les photographies, signées Nicolas Brodard et Noha Mokhtar, qui accompagnent l’ouvrage sont presque exclusivement récentes, pas de photos d’archives. D’autant plus intéressant qu’éclate ainsi en couleurs le visage actuel de Beyrouth. Encore un reflet des complexités de la ville?

 

Beyrouth où rien n’est constant
«Chaque contributeur a en lui un peu de l’historien, de l’anthropologue et du journaliste», prévient la préface. Effectivement, une grande partie des textes aurait très bien pu trouver sa place dans les pages d’une revue; des reportages qui sondent objectivement leur sujet, mais qui se colorent là d’une touche personnelle, humaine et qui, en général, fait défaut ou est occultée par les médias étrangers à l’évocation de Beyrouth. D’autres textes sont essentiellement personnels, subjectifs, certains auteurs choisissant de conter la relation passée de leurs parents avec la ville et la manière dont cela se répercute sur leur propre vision de Beyrouth… des textes qui pourraient tout aussi bien figurer sur un blog ou un site Web. Les sujets sont aussi divers que les styles, entre l’histoire cachée de la construction de l’AUB (American University of Beirut), celle du Sporting, de l’immeuble La Rancune, de l’hôtel Edison… entre le Beyrouth d’antan, l’effluve de la guerre, les nouveaux projets de construction immobilière…
Il y a quelque chose de déroutant dans Beyrouth, chroniques et détours. C’est peut-être qu’il ne s’adresse pas à un large public. Même si apparemment tout, du titre, à la préface, aux photos, à l’intention qui semble animer chacun des auteurs et journalistes, tout semble indiquer que l’ouvrage s’adresse aux amoureux de Beyrouth. Pourtant, pour ceux qui vivent, qui respirent Beyrouth au quotidien, ceux pour qui Beyrouth est devenue un quotidien, ces textes n’apportent rien de nouveau. Certes, il se dégage de l’ensemble des textes un souffle de fraîcheur, de spontanéité. Un cri du cœur souvent, un cri d’amour pour cette ville, à l’image de ces mots de Nasri Atallah: «Rien n’est constant à Beyrouth. Surtout pas les rêves. Le désespoir non plus. Beyrouth est une ville qu’on aime et déteste mille fois par jour. Tous les jours. C’est exténuant, mais magnifique. Vous ne vous sentirez jamais aussi à bout et aussi vivants que lors d’une journée à Beyrouth. Et ça ne risque pas de changer de sitôt». Une ambiguïté à l’image du rapport qui s’établit entre le lecteur et cet ouvrage qu’il a entre les mains.

Les coulisses du livre
Lancé en 2010, Mashallah News est un média en ligne indépendant couvrant le monde arabe, la Turquie et l’Iran, sous un angle inédit, avec pour mission de publier des «informations désOrientées» sur leur site développé par l’atelier de communication visuelle AMI basé à Genève. Le projet Beyrouth, chroniques et détours était l’occasion idéale de donner vie à un objet littéraire et visuel. Les auteurs contributeurs sont: Tala Abu Rahmeh, Farah Aridi, Nasri Atallah, Jad Baaklini, Chloé Benoist, Marine Casalis, Sophie Chamas, Clément Girardot, Jenny Gustafsson, Cynthia Khattar, Mari Kostrz, Saad Kurdi, Denise Maroney, Richard Pelgrim, Nathalie Shooter, Marisol Rifai, Sandra Rishani, Paola Salwan Daher, Micheline Tobia et Sarah Lily Yassine.

Nayla Rached

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