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Nº 2982 du vendredi 2 janvier 2015

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Campagnes de Messieurs Propres. Petites questions pour grands soucis

La campagne contre les fraudes alimentaires, lancée tambour battant par le ministre de la Santé Waël Abou Faour, aussitôt rattrapé par son collègue des Finances, Ali Hassan Khalil, reste un des moments forts de l’année 2014. Ce vent de réforme qui souffle sur le pays, serait-il une opération ponctuelle, destinée à occuper les Libanais et les tenir à l’écart des sujets épineux ou le début d’un véritable changement? Magazine a sondé les leaders d’opinion et des citoyens.

C’est avec effarement que les Libanais ont découvert que ce qu’ils mangeaient et l’eau qu’ils buvaient sont infestés de bactéries et représentent une bombe à retardement. On ne sait pas ce qui a poussé le ministre de la Santé, Waël Abou Faour, à réagir. Mais ce que l’on sait, c’est qu’au terme d’une campagne menée auprès de milliers d’entreprises sur tout le territoire libanais et après avoir examiné des milliers d’échantillons de produits de toutes sortes (viande, poulet, eau, lait, produits laitiers…), des établissements ont été fermés et le verdict est tombé implacable, de la bouche même du ministre: «Les Libanais mangent l’immangeable. Leur nourriture est imprégnée de germes et de matières fécales».
A coups de conférences de presse, des procès-verbaux sont établis et des établissements fermés, les uns après les autres, pour être aussitôt rouverts une fois l’irrégularité corrigée, à une vitesse quelque peu suspecte.
Saisi par la même fièvre, le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, proclame les administrations foncières de véritable «Cour des miracles» et affirme vouloir restituer à l’Etat libanais chaque pouce de terrain volé.
Initiative louable des deux ministres, mais qui suscite quelques interrogations. Si la grande majorité des citoyens est ravie de cette démarche, beaucoup ne cachent pas leur scepticisme et s’interrogent sur les motivations de cette double campagne anti-corruption.

 

Jean Fahd et Ziad Baroud
Pour le président du Conseil supérieur de la magistrature, le magistrat Jean Fahd, l’essentiel dans cette opération serait la persévérance. «Il ne faut pas que cette campagne soit ponctuelle ou passagère. Une action pareille nécessite un effort continu et de la persévérance. Elle a déjà au moins l’avantage d’avoir provoqué un sursaut chez les principaux concernés et une prise de conscience qu’il existe bel et bien un Etat de droit et que l’Etat n’est plus absent». Selon le magistrat, le ministre Abou Faour serait ferme et déterminé à aller jusqu’au bout dans son action généralisée sans aucune distinction de communautés. «La justice a un rôle prépondérant dans cette affaire et celui-ci n’est pas moins important que celui des différents ministères. C’est une responsabilité qui pèse sur la magistrature. Le parquet financier accompagne cette opération et travaille jusqu’à 7 heures du soir sur ces dossiers. D’ailleurs, une augmentation du nombre d’avocats généraux est demandée vu l’ampleur de la tâche». Pour le président Fahd, il faut qu’il y ait un esprit général allant dans le sens d’une volonté réelle de réforme et de changement, auquel tout le monde devrait contribuer. «La presse doit aussi être en alerte et accompagner cette campagne».
Pour l’ancien ministre de l’Intérieur, l’avocat Ziad Baroud, la campagne est louable pourvu qu’elle soit durable et ne s’arrête pas à des moments politiques qui pourraient lui voler la vedette. «On ne peut pas ne pas appuyer ceux qui ont lancé cette campagne, mais je souhaiterais voir les institutions prendre la relève. Celles-ci sont la garantie du citoyen et non pas la personne du ministre. Les institutions devraient fonctionner selon des critères objectifs et d’une manière constante. La véritable garantie est la justice. Cette question n’est pas purement administrative et il faut que la justice soit impliquée dans cette démarche. La corruption ne se limite pas aux seuls domaines cités, elle est partout. Je suis triste que cela s’arrête là. Il faut aller plus loin et il reste encore beaucoup à faire», dit-il.

 

L’avis des citoyens
Si la grande majorité de la population a réservé un accueil favorable à la campagne contre la corruption alimentaire lancée par Waël Abou Faour, en revanche celle du ministre Ali Hassan Khalil a laissé les citoyens indifférents. Pour Léna, femme active et maîtresse de maison, cette campagne devait être faite depuis longtemps et le contrôle doit se faire de manière systématique. «En tant que mère, j’aime savoir ce que je sers à mes enfants. Je vérifie les listes de produits incriminés et je suis satisfaite de savoir que les produits que nous consommons sont propres. Pour le moment, nos habitudes alimentaires n’ont pas changé, mais cela aurait été le cas si un produit utilisé avait été sur la liste». Comme beaucoup de citoyens, elle ne se fait pas d’illusions sur la durée de cette campagne. «Même si les résultats sont satisfaisants, j’ai des doutes sur les intentions. La manière dont sont tenues les conférences est trop théâtrale. L’approche aurait dû être différente». Nombreuses sont les personnes interrogées qui, à l’instar de Léna, trouvent suspecte la rapidité avec laquelle les établissements, pointés du doigt, ont régularisé leur situation. «Avec toute la bonne volonté du monde, cela ne peut pas se faire en quelques jours. Il n’y a aucune crédibilité. Je me demande pourquoi ce sont uniquement les points de vente qui ont été approchés. Pourquoi pas les importateurs de viande, de poisson ou de volailles?». Très suspect également, le timing auquel la campagne de Ali Hassan Khalil intervient. «Ce qui confirme mon opinion que c’est une affaire politisée. Un ancien ministre de la Santé qui change de casquette et devient ministre des Finances! Aucune crédibilité». Pour Peter, les motifs de cette campagne sont très clairs. «C’est pour retirer le tapis sous les pieds du général Michel Aoun et lui montrer que les autres sont aussi capables de réforme et de changement. Ce sont finalement Walid Joumblatt et Nabih Berry, les deux farouches opposants au général Aoun, qui sont derrière ces deux ministres». Pour Aline, il reste quand même des points d’interrogation. «Je pense que c’est un peu exagéré. Les restaurants sont toujours aussi pleins et les rayons alimentaires dans les supermarchés ne désemplissent pas». Quant à Assaad, les considérations politiques ne sont pas totalement absentes de ces campagnes. «Elles auraient dû aller en crescendo. Il fallait commencer par des mises en demeure, des procès-verbaux, donner aux gens le temps de régulariser leur situation avant la fermeture et tout ce déballage médiatique. Concernant la campagne du ministre des Finances, on ne peut pas parler d’anti-corruption lorsqu’on sait que des membres de son parti se sont approprié les terrains de l’Etat et y construisent sans aucun scrupule». Sous couvert d’anonymat, un propriétaire d’un restaurant confie: «Comment voulez-vous croire à la crédibilité d’un inspecteur à qui vous payez 200 dollars lorsqu’il se présente chez vous pour inspecter l’eau de votre robinet et qu’il déclare celle-ci conforme, alors que l’eau véritablement examinée vient d’une bouteille d’eau minérale?».

Joëlle Seif
 

La route tue plus que la malbouffe
Pendant plus de deux ans, une équipe composée de plusieurs personnes s’est penchée sur le nouveau code de la route et une nouvelle loi a été finalement votée pour remplacer l’ancienne loi qui remonte aux années 60. «Aussitôt votée, alors qu’elle est à effet immédiat, elle n’est pas appliquée. Pire encore, le gouvernement a décidé, sur proposition du ministre de l’Intérieur, de suspendre l’application de la loi et de proroger l’application de l’ancien code de la route», confie Ziad Baroud. Face à cette situation, les ONG concernées ont présenté un recours en annulation de la décision du gouvernement devant le Conseil d’Etat. «Les ONG ont obtenu gain de cause et le Conseil d’Etat a annulé la décision du gouvernement pour excès de pouvoir. La nouvelle loi aurait dû être appliquée tout de suite, non seulement parce qu’elle a un effet immédiat, mais parce que la justice en a décidé ainsi en annulant la décision du Conseil des ministres». Selon l’ancien ministre, il ne faut pas s’attendre à ce que l’application du nouveau code de la route change la donne de manière radicale, mais elle va aider dans ce sens. «Le nouveau code contient des mesures coercitives dont l’effet escompté est préventif dans le but d’empêcher les excès. Si les dispositions sont appliquées comme il faut, le résultat se fera sentir immédiatement». Il rappelle que les quelques mois où des radars ont été installés, le nombre des victimes de la route a baissé de 57%. «Selon les statistiques, le nombre des victimes de la voie publique est quatre fois supérieur à celui des victimes de droit commun».

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