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Nº 3012 du vendredi 31 juillet 2015

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Elégie par Nadia Safieddine. Cette part d’ombre, vulnérable

L’artiste peintre Nadia Safieddine expose Elégie à la galerie Agial, jusqu’au 22 août. Entre la violence et l’ombre, quand la peinture devient exploration de l’Etre et du monde…

«Qui/si je crie/pour m’entendre?», lançait Rilke dès la première de ses Elégies de Duino. Nadia Safieddine lance ses «cris» face à ses toiles, les pétrit de couleurs, coupées au cœur des formes qu’elle y insère. Des formes en apparat d’ombres, de reflets, d’autant plus déformés qu’ils exhibent leur monstruosité, leur vulnérabilité. C’est là, dans ces êtres monstres, paradoxalement monstres, que réside toute la poésie des œuvres de Nadia Safieddine.
Des visages, des bustes ou des corps tout entiers; il y a une profonde noirceur dans l’univers d’Elégie. Une violence à peine contenue, même pas contenue. Une violence dont l’artiste n’est peut-être même pas consciente, qu’elle découvre au moment où elle se révèle en peinture. Ses sujets semblent exister seuls, tout seuls, indépendamment d’elle, indépendamment de nous. De par leur présence fixée sur la toile, tout disparaît tout autour. Plus rien n’a d’importance que ce moment figé où le visiteur se laisse emporter, happer, avaler par cette imposante présence. Il lui semble emprunter les chemins de l’imaginaire romantique aux abords du symbolisme. Les réminiscences s’éveillent, s’entremêlent, s’entrelacent pour mieux se distinguer; évocations d’êtres vertébrés qui se dissolvent dans une enveloppe d’opacité transparente.
Aucun espace de la toile n’est épargné à coup de pinceaux trempés dans l’amertume; le fond n’en est pas réellement un, il n’est que le prolongement des personnages. Ou est-ce le contraire? Peut-être que ce sont les personnages qui tentent de préserver leur être face à ce fond de noire mélancolie qui tente de les résorber. C’est à peine s’ils arrivent à résister. Mais ils résistent pourtant, de par leur fixité, leurs mouvements immobiles, leur distorsion par l’artiste. Comme pour explorer leurs multiples facettes, ses multiples facettes, ses personnalités plurielles.
«Seul celui qui se trompe sur soi, qui ignore les motifs de ses actes, peut œuvrer. Un créateur qui est transparent à lui-même ne crée plus», disait Cioran. Le poète maudit, Irrité et fier, Lycanthrope, Prédateur, Autoportrait… «Une exploration du personnel», Elégie l’est assurément, stipule Marie Tomb dans le manifeste de l’exposition. «Epuisée émotionnellement par une période d’angoisse aiguë, incapable de traiter avec sa propre apparence, Nadia Safieddine a, pour la première fois, enrôlé des modèles, et n’a travaillé qu’en leur présence… Ils ont mis ses habits, ceux qui portent sa propre histoire, habitant ainsi son sanctuaire privé… Dans un jeu de double rôle, l’artiste s’est approprié l’apparence physique de ses modèles afin de mieux les manipuler, jusqu’à ce qu’ils deviennent des outils pour peindre son moi intérieur. Les peintures d’Elégie ne sont ni des portraits ni des personnages inventés, mais des autoportraits résultant de ce processus improvisé et inédit». Des autoportraits qui sont autant de moyens de s’explorer pour s’offrir aux autres, à la fois dans la pudeur et la réflexion, à coup de peinture, bruts, brutaux, violents et douloureux. S’offrir pour enclencher en chacun, l’appeler à une plongée dans l’abîme de l’âme humaine. «Qui/si je crie/pour m’entendre?». Seule la peinture pour entendre. Seule la peinture pour répondre. Comme un écho dans le miroir réfléchi de l’Etre face au monde.
 

Leila Rihani

L’exposition se poursuit jusqu’au 22 août, à la galerie Agial, Hamra.

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