Magazine Le Mensuel

Nº 3031 du vendredi 11 décembre 2015

Salon du livre

Les événements de Jean Rolin. Al-Qaïda dans les Bouches-du-Rhône islamiques

Journaliste de formation, Jean Rolin a présenté, au Salon du livre francophone de Beyrouth 2015, son dernier roman, aux éditions P.O.L., Les événements. Quand la France est plongée en pleine guerre civile… Rencontre.
 

Les événements, un sujet d’actualité?
Je ne crois pas que la guerre civile en France soit un sujet d’actualité. Malgré tout ce que les gens peuvent imaginer, dans un pays relativement prospère et en paix, comme la France, même dans un pays de ce genre, cela reste une éventualité. Mais c’est un sujet qui me trottait depuis longtemps dans la tête, l’idée d’une guerre dans un pays qui, de l’extérieur en tout cas, ne présentait aucun signe avant-coureur, m’est venue très banalement de la Yougoslavie, un pays apparemment paisible, plutôt agréable et riant et qui, du jour au lendemain, était déchiré par une guerre civile d’une extrême férocité. Cette idée remonte aux années 90, à une époque où l’idée même d’affrontements violents intercommunautaires en France était très éloignée des esprits. Ce projet n’est donc pas tributaire de l’actualité, même s’il se trouve que j’y ai intégré des éléments d’actualité, comme al-Qaïda dans les Bouches-du-Rhône islamiques.

Pourquoi donc l’avoir écrit maintenant?
J’avais d’abord écrit un texte d’une trentaine de pages sur ce thème, il y a longtemps, peu après la fin de la guerre en Bosnie, qui s’appelait Cherbourg-est, Cherbourg-ouest. J’avais imaginé, assez précisément, où passerait la ligne de démarcation, en sachant que dans Cherbourg, il n’y a pas de communautés qui puissent s’affronter. C’était une pure fantasmagorie, mais j’ai trouvé curieux d’imaginer l’aspect que pourrait présenter Cherbourg après plusieurs mois de guerre civile. La connotation politique était absente, j’avais simplement replacé là des images de Sarajevo et de Bosnie-Herzégovine. Pourquoi est-ce revenu récemment? On ne peut pas exclure que la montée des tensions en France y soit pour quelque chose. Puis c’était à un moment de ma vie où j’avais envie d’écrire de la fiction, de me balader en France, ça convenait à mon humeur du moment. Etrangement, le livre est sorti au moment des attentats contre Charlie Hebdo et le supermarché Hyper Cacher, et en même temps que le livre de Houellebecq qui a suscité une très vive polémique.

Et votre livre?
Dans l’ensemble, les critiques étaient plutôt élogieuses, mais elles n’ont pas fait ressortir ce qu’il y avait de plus litigieux dans le livre. De plus, comme j’ai plutôt l’image d’un écrivain de gauche, on se dit qu’il ne doit pas avoir de mauvaise pensée. A ma grande surprise, ce roman a été perçu comme un livre de plus dans la lignée de ce que je fais d’habitude, alors que c’est quand même très différent. Les gens sont paresseux intellectuellement et, pour l’instant, je ne suis pas dans une position pour faire des déclarations fracassantes et je suis, en outre, peu enclin personnellement à le faire. Mais en France, il suffit de dire quelque chose, de manifester un désaccord quelconque avec ce qui est considéré de gauche, pour être catalogué comme un écrivain réactionnaire, passéiste, fétide. Tout y passe dans cette espèce de climat de pseudo-exaltation. Je ne prends pas dans l’ensemble de position publique. Je ne pense pas que les cinéastes ou les écrivains sont plus qualifiés que d’autres pour guider l’opinion. On peut de temps en temps, même si cela ne sert à rien, s’opposer à quelque chose qu’on considère véritablement monstrueux; on est alors dans un engagement sérieux, et non pour professer des opinions à gauche ou à droite.

Jusqu’à quel point votre travail de journaliste inspire-t-il celui de romancier?
Pour Les événements, il y a vingt ans de distance, c’est le produit de mon expérience en Bosnie auquel j’ai intégré d’autres éléments, libanais par exemple. En tant que reporter, on voit beaucoup de choses, on rencontre beaucoup de gens, on est confronté à toutes sortes de situations, donc forcément cela nourrit l’imaginaire romanesque. C’est aussi un entraînement à l’écriture, même si ce n’est pas exactement la même écriture. J’aime bien m’étendre, de manière parfois ironique, sur un détail, par exemple dans une situation tout à fait dramatique, le narrateur va s’occuper d’une petite plante. Evidemment c’est un genre de luxe qu’on ne peut pas se permettre en reportage. Dans l’écriture littéraire, on s’intéresse à presque tout ce qui n’a pas sa place dans un reportage. Les situations peuvent être les mêmes, mais la manière dont on les envisage est tout à fait différente.

L’écriture romanesque à chaud d’un vécu journalistique est-elle possible?
Oui, par exemple en 2006, je me suis fait envoyer au Liban pour un article dans Le Nouvel Obs autour de la guerre, mais l’idée que j’avais dans la tête était d’intégrer ce matériau au roman que j’écrivais, Un chien mort après lui. Souvent, c’est longtemps après que vous pouvez intégrer dans un livre des matériaux de reportage, quelquefois c’est quasi instantané. Mais, justement, je ne me suis jamais livré à cet exercice, ce serait intéressant de voir les différences qu’il y a entre les deux.
 

Propos recueillis par Nayla Rached

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