Magazine Le Mensuel

Nº 3048 du vendredi 8 avril 2016

Semaine politique

De Moscou à Beyrouth. Les prémices d’un déblocage présidentiel

Brusquement, l’eau stagnante que constitue le dossier présidentiel a été prise de vagues qui donnent l’impression d’un déblocage possible. Il y a eu ainsi la visite-événement du chef du Courant du futur, Saad Hariri, à Moscou et son entretien avec Vladimir Poutine, ainsi que la visite du candidat Sleiman Frangié à Tripoli. De même, le Liban accueille François Hollande dans dix jours, après la visite du patron de l’Onu, Ban Ki-Moon, et du ministre britannique des Affaires étrangères, Philip Hammond.

Mis côte à côte, tous ces développements permettent de croire qu’un déblocage présidentiel serait en vue, surtout qu’en dépit des morts qui continuent de tomber en Syrie, en Irak et au Yémen, la tendance générale est de croire que l’heure de conclure des compromis serait proche. La visite de Saad Hariri à Moscou est, en tout cas, spectaculaire. Car, s’il est courant que les responsables occidentaux ou même arabes reçoivent des leaders libanais, ce n’est pas le cas des dirigeants russes qui, jusqu’à présent, n’ont pas encore ouvert leurs portes aux chefs politiques. De plus, le chef du Courant du futur n’a pas été seulement reçu par le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, mais il a eu aussi un entretien avec le président Vladimir Poutine qui devrait, en principe, recevoir aussi dans le courant du mois le roi d’Arabie saoudite, Salmane Ben Abdel-Aziz.
Les milieux proches du Courant du futur ont annoncé, à cet égard, que la visite de Hariri en Russie est de la plus haute importance puisque ce dernier a soulevé le problème du blocage présidentiel avec ses interlocuteurs russes. Selon les milieux proches du Futur, l’approche de Saad Hariri est simple: c’est le Hezbollah, et derrière lui l’Iran, qui bloque l’élection d’un nouveau président en empêchant les députés de se rendre au Parlement et permettre ainsi d’atteindre le quorum des deux tiers requis pour l’ouverture de la séance. N’ayant pas la possibilité de s’adresser directement à l’Iran pour cause de tensions grandissantes entre Téhéran et Riyad, Hariri a choisi de s’adresser aux Russes, qui ont des relations excellentes avec les Iraniens depuis la visite de Poutine en Iran et la signature d’accords de coopération stratégique. Mais selon les milieux du Futur, Saad Hariri pense aussi qu’il existe d’importantes divergences dans les points de vue russes et iraniens au sujet des crises dans la région, notamment sur le dossier syrien et le sort réservé au président Bachar el-Assad. C’est pourquoi, il serait donc plus facile, dans l’optique de Hariri, de convaincre les dirigeants russes de l’importance d’élire un nouveau président de la République au Liban comme prélude aux règlements éventuels dans la région, mais surtout en signe de bonne volonté à l’égard des Libanais et de Riyad, ainsi qu’à l’égard de l’Occident, qui insiste aussi sur ce point.
Saad Hariri se croyait donc capable de convaincre les dirigeants saoudiens de son point de vue, en promettant aussi qu’une telle démarche de la part de la Russie serait bien vue par les dirigeants occidentaux et par ceux des pays du Golfe, qui regardent avec méfiance l’intervention de Moscou sur la scène syrienne. Dans ce sillage, Hariri pouvait aussi exprimer la satisfaction des Saoudiens et de leurs alliés syriens, ainsi que des Occidentaux, en général, au sujet de la décision du président russe d’effectuer un retrait partiel de ses forces militaires installées en Syrie pour faciliter le processus de négociations politiques. De même, Hariri se présente comme un des chefs de file de l’islam modéré. Par conséquent, il est un interlocuteur indispensable et incontournable pour les dirigeants de tous les pays ayant des musulmans sur leurs territoires. La Russie, toujours selon les milieux du Courant du futur, serait donc intéressée à avoir de bonnes relations avec Saad Hariri, sachant qu’elle a plus de 20 millions de citoyens musulmans et qu’elle tient à maintenir de bonnes relations avec les pays du Golfe et, en particulier, avec l’Arabie saoudite. Pour toutes ces raisons, la visite de Saad Hariri à Moscou est de la plus haute importance.
Les déclarations officielles, notamment celles de Sergueï Lavrov, ne reflètent pourtant pas l’enthousiasme exprimé par les milieux du Courant du futur au sujet d’un accord russe pour intervenir en faveur de l’élection d’un nouveau président au Liban. Lavrov a ainsi exprimé le souhait de voir «le Liban surmonter la crise dans laquelle il se débat, selon la volonté des Libanais, sans interventions étrangères». S’il faut s’en tenir au texte, on pourrait croire que les Russes n’auraient pas été convaincus par les arguments de Hariri et auraient indirectement expliqué qu’ils ne comptent pas intervenir dans les affaires internes libanaises, notamment dans le dossier présidentiel. Mais les milieux du Courant du futur précisent le contraire, ajoutant que les déclarations officielles sont destinées à rassurer les différents protagonistes mais, en réalité, la Russie déploiera des efforts concrets dans ce sens.
 

L’option Frangié
Les milieux du Courant du futur rappellent, dans ce contexte, qu’une visite du général Michel Aoun en Russie était prévue, mais les dirigeants de Moscou ont visiblement préféré entendre ce qu’avait à leur dire Saad Hariri avant de recevoir le chef du Bloc du Changement et de la Réforme… D’autant que le chef du Futur n’a pas seulement tenu des propos théoriques, il a expliqué à ses interlocuteurs russes l’importance pour lui d’avoir choisi pour candidat le chef des Marada, Sleiman Frangié, qui est au cœur du 8 mars. Ce choix représente donc une grande concession de la part de Saad Hariri et une ouverture en direction de ses adversaires politiques, ainsi qu’un signe de bonne volonté.
L’ancien ministre Sleiman Frangié a d’ailleurs saisi la balle au bond et organisé une visite hautement politique à Tripoli pour non seulement concrétiser le rapprochement entre la rue sunnite et le 8 mars dans une ville qui a abrité des mouvements intégristes musulmans et qui a été aussi le théâtre d’affrontements sanglants entre sunnites et alaouites. Tous ces signes de bonne volonté sont destinés à conforter la version de Hariri face à «l’entêtement» du général Aoun et de son allié, le Hezbollah, qui «rejettent tout compromis».
Dans ce contexte, la visite du président français, François Hollande, est aussi censée remuer le dossier présidentiel, la France n’ayant pas caché son appui au compromis que représente l’élection de Frangié à la présidence. Le chef d’Etat français a même appelé le député de Zghorta pour lui exprimer l’appui de la France à ce scénario. Il est donc probable que lors de ses entretiens avec les dirigeants libanais – en principe, il devrait avoir des rencontres officielles avec le Premier ministre Tammam Salam et le président de la Chambre Nabih Berry. Les personnalités politiques, elles, devraient être reçues à la Résidence des Pins –, le président français devrait évoquer le dossier présidentiel et pousser les parties libanaises à mettre, au plus vite, un terme à la vacance à la tête de l’Etat.
Pour toutes ces raisons, les milieux proches du Courant du futur (ainsi que ceux de Aïn el-Tiné) parlent d’un éventuel déblocage dans le dossier présidentiel, dans le courant de ce mois, ou le mois prochain…

Joëlle Seif
 

Machnouk rejoint Hariri 
Le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, se trouvait à Londres en visite officielle. Mais il a, malgré tout, tenu à rejoindre Saad Hariri à Moscou pour sa rencontre avec les dirigeants russes. Les milieux politiques estiment que, d’une part, Machnouk veut être présent dans les discussions et avoir sa part dans les relations du Courant du futur avec les Russes et, d’autre part, avec ce qu’il représente au sein du Courant et en raison de ses relations régionales, il donne sa caution à l’ouverture d’une nouvelle page dans les relations entre la plus importante formation sunnite au Liban et Moscou. Affaire à suivre…  

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