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Nº 3057 du vendredi 10 juin 2016

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Les bombes de Machnouk. Des interprétations contradictoires

Les propos du ministre de l’Intérieur et des Municipalités, Nouhad Machnouk, sur la LBCI, dans le cadre de l’émission Kalam el-nass, n’ont pas fini de provoquer des remous et de faire couler beaucoup d’encre. Chacun essaie d’expliquer à sa façon les paroles de Machnouk et de leur donner l’interprétation qui lui convient. Les uns y ont vu un blanc-seing donné aux décisions et à l’action de Saad Hariri, d’autres y ont vu, au contraire, une manière d’enfoncer encore plus le chef du Courant du futur, qui vient d’essuyer un retentissant camouflet à Tripoli et de remporter une victoire sans gloire à Beyrouth.

Commençons par le début. Jeudi 2 juin, le ministre de l’Intérieur et des Municipalités a fait exploser une véritable bombe en affirmant que la candidature de Sleiman Frangié n’était pas une idée de Saad Hariri. Celle-ci aurait été lancée par le ministère des Affaires étrangères britannique qui l’a soumise aux Etats-Unis qui, à leur tour, l’ont proposée à l’Arabie saoudite laquelle l’a adoptée. Si jusqu’à la rédaction de ces lignes, il n’y a toujours pas eu de réaction officielle de la part de Saad Hariri, en revanche, les propos de Machnouk ont provoqué un véritable tollé auprès des ambassadeurs britannique, iranien et saoudien, qui ont publié des démentis, chacun à son tour, affirmant que leurs pays n’interviennent pas dans les affaires intérieures libanaises. L’ambassadeur du Royaume-Uni a, dans le même ordre d’idées, démenti toute implication de son pays dans cette question.
En faisant assumer la politique de Saad Hariri (son ouverture sur la Syrie et la visite de Damas) à l’ancienne direction saoudienne, celle du roi Abdallah, Nouhad Machnouk a fait exploser une deuxième bombe. Il a vivement critiqué l’ancienne politique saoudienne et lui a fait endosser la responsabilité de toutes les contradictions manifestées dans l’attitude de Saad Hariri. «L’ancienne politique saoudienne nous a forcés à aller à Damas et à faire la paix avec le régime syrien. Tout le monde pense que c’était notre décision, mais cela n’est pas vrai. C’est l’ancienne direction saoudienne qui nous a demandé et qui a insisté pour qu’on le fasse. Les choix que Saad Hariri a dû faire dans le passé étaient le résultat des instructions saoudiennes», a-t-il déclaré. Il a également affirmé que c’était bien le royaume qui avait rejeté la candidature de Michel Aoun, après que Saad Hariri eut commencé des négociations avec lui.
 

Hariri pris de court?
La première question qui se pose aujourd’hui est de savoir quelles étaient les véritables intentions de Nouhad Machnouk. Pour ceux qui connaissent de près le ministre de l’Intérieur, ils affirment qu’il n’est pas homme à se laisser entraîner dans des conversations, quel que soit le brio avec lequel l’entretien avec lui est mené. Ce n’est pas un homme impulsif. Bien au contraire, en tant qu’ancien journaliste, il connaît parfaitement les mots, leurs valeurs et leurs impacts. Il sait parfaitement comment les placer et il est tout à fait conscient de ce qu’il veut transmettre. De plus, Machnouk était parfaitement bien préparé pour l’interview et il avait des notes devant lui. Il savait ce qu’il disait et avait totalement confiance en lui-même, ne paraissant hésiter à aucun instant. Il est clair que Nouhad Machnouk, après une longue expérience auprès de Rafic Hariri, connaît très bien les rouages de la vie politique et il est évident qu’il cherche à transmettre quelque chose.
A partir de là, il s’agit de savoir si ces propos ont été avancés en coordination avec Saad Hariri ou pas. Selon des sources bien informées, alors qu’il était toujours sur le plateau de la LBCI, Nouhad Machnouk aurait reçu un message (WhatsApp) de Saad Hariri lui disant: «Que cherchais-tu en remuant cette histoire? Ce que je vis actuellement me suffit». Visiblement, Hariri était pris de court. Mais une autre version veut que tout ce qu’a raconté Machnouk durant cette entrevue était établi en concertation avec Saad Hariri. Et selon la version que l’on adopte, les conséquences et les retombées de ces déclarations sont différentes.
Le 8 mars n’a retenu de cette affaire que les ingérences criantes de Riyad dans les affaires libanaises et le manque total d’indépendance du Courant du futur à l’égard des Saoudiens. Jusqu’à présent, le général Michel Aoun et Sleiman Frangié n’ont fait aucun commentaire. Si les vérités que Machnouk a dévoilées se sont faites de plein accord avec Saad Hariri, ceci voudrait dire, tout simplement, que les deux hommes sont en train de planifier l’ouverture d’une brèche dans le blocage de la situation actuelle. En accusant l’ancienne équipe au pouvoir en Arabie de tous les maux, il libère ainsi Saad Hariri du poids que pesaient sur ses épaules l’ouverture vers Bachar el-Assad et la fameuse visite à Damas, en décembre 2009. Dans le même contexte, il pourrait ainsi se retrouver libéré de la candidature de Sleiman Frangié, une candidature pour laquelle il a été vertement critiqué par son propre camp et qui constitue l’une des raisons principales de la montée et de la victoire d’Achraf Rifi.

 

Machnouk «schizophrène»
En le libérant de ce lourd passif, Machnouk lui aurait ainsi donné une nouvelle marge de manœuvre, le blanchissant de ses «erreurs» passées, lui offrant l’occasion de se désister de tous ses engagements… y compris celui de la candidature devenue très pesante de Sleiman Frangié. De cette manière, il aurait rendu service au chef du Courant du futur et lui aurait préparé le terrain en vue d’ouvrir une nouvelle page et d’entamer une autre politique. Machnouk aurait ainsi dit tout haut ce que Hariri pense tout bas et murmure dans ses assises privées. Cette théorie pourrait alors se recouper avec les informations qui font état d’un nouveau compromis en gestation concernant la présidence et qui pourrait voir le jour dans les deux prochains mois. Machnouk aurait ainsi ouvert la voie à une solution dans l’impasse présidentielle.
En revanche, si tous ces propos ont été dits sans concertation avec Saad Hariri, alors la situation est plus grave. En avançant ses paroles, Machnouk a fait paraître Saad Hariri comme un homme faible, totalement sous l’emprise du royaume et incapable de tenir tête à l’Arabie. En donnant sciemment cette image de Saad Hariri, on pourrait alors aboutir à d’autres raisons ayant motivé l’action de Machnouk. Dans la lutte des courants au sein du Futur, le ministre de l’Intérieur pourrait tenter de se tailler une part entre Fouad Siniora et Achraf Rifi, dont la victoire à Tripoli en a surpris plus d’un.
Les propos de Machnouk pourraient également s’inscrire dans le cadre d’une lutte de courants en Arabie. Le ministre de l’Intérieur est connu pour être proche de l’héritier du trône, Mohammad Ben Nayef, et en enfonçant Saad Hariri, il pourrait alors faire partie d’un règlement de compte saoudien et jouer le jeu d’un camp saoudien contre l’autre.
Le quotidien saoudien Okaz, quant à lui, n’a pas mâché ses mots à l’encontre de Nouhad Machnouk, le traitant de «ministre du Hezbollah» et de complice de Wafic Safa, responsable sécuritaire du parti de Dieu. Le journal a été même jusqu’à accuser Machnouk d’être atteint de schizophrénie. A l’intérieur du courant «bleu», des voix se sont élevées pour dire que les propos de Machnouk n’engagent que lui et qu’ils ne sont que le fruit d’une analyse personnelle.
Dans la soirée de dimanche, une réunion de deux heures s’est tenue entre l’ambassadeur Ali Awad Assiri et Nouhad Machnouk à l’issue de laquelle le ministre de l’Intérieur a affirmé qu’il assumait entièrement la responsabilité de ses propos. D’après nos informations, l’entretien entre les deux hommes était très amical, en raison des relations chaleureuses qu’entretient Machnouk avec l’Arabie, dans laquelle il compte beaucoup d’amis. Une autre rencontre a eu également lieu entre Machnouk et Hariri, celle-ci a duré trois heures, dit-on…
Sur un autre plan, entre détracteurs et partisans, les propos de Machnouk ont fait l’unanimité sur le point de faire apparaître le Courant du futur comme un simple instrument entre les mains de l’Arabie et non comme un partenaire, ce qui nuit encore plus au slogan que brandit, haut et fort, Saad Hariri «Loubnan awwalan»
(Le Liban d’abord). Alors que son principal adversaire, le Hezbollah, apparaît comme l’allié de l’Iran qui lui donne l’entière liberté de gérer les dossiers au Liban et à l’extérieur, Saad Hariri sort encore plus affaibli de cette affaire. Mais de toute manière, que Hariri ait été mis au courant ou pas, personne ne peut encore établir les véritables raisons derrière les propos de Nouhad Machnouk. L’affaire est loin encore d’être close et les jours prochains apporteront certainement de nouveaux éléments…

Joëlle Seif

Les conseils du Bey
Toujours le premier à capter tout changement dans l’ambiance politique, Walid Joumblatt a adressé une série de conseils à Saad Hariri, dans le cadre de son entrevue télévisée sur la LBCI. Pour le seigneur de Moukhtara, la modération sunnite, représentée par Hariri, est aujourd’hui en danger. Il semble, pour lui, que l’on réclame d’Achraf Rifi des choses que Hariri n’a pas réussi à offrir. Joumblatt s’est adressé à l’ancien Premier ministre en lui disant: «Ne retourne pas à ton ancien discours envers le Hezbollah et les chiites, même s’il ne reste plus personne à tes côtés». Il l’a appelé à être méfiant à l’égard de son entourage, estimant que Nouhad Machnouk et Achraf Rifi ne veulent pas le voir comme le chef unique de la communauté sunnite au Liban. Sur un autre plan, l’entrevue de Joumblatt constitue un nouveau rebondissement dans le dossier de la présidentielle. Le seigneur de Moukhtara a affirmé qu’il n’avait plus désormais d’objection contre la candidature de Michel Aoun tant que celle-ci faisait l’unanimité chrétienne.

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